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Vers un système juridique de protection uniforme

Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays et la Convention de 2009 sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala) prévoient déjà l’obligation pour les États de mettre en place un cadre juridique de prévention du déplacement. Cependant, trois autres domaines du droit pourraient être évoqués pour montrer la liaison entre les différentes obligations des États et mieux contribuer à la réduction du risque de déplacement: 

1. Réduction des catastrophes naturelles

Le mécanisme de réduction des catastrophes prévu par le Cadre d’action de Hyōgo assigne aux États la responsabilité de réduire les risques environnementaux naturels et anthropogéniques et de  protéger les populations par la mise en place de politiques, de programmes ou de lois visant à réduire les menaces naturelles.[1] Le problème du déplacement n’a pas été initialement intégré à la gestion des catastrophes. Toutefois, les stratégies élaborées renforcent les capacités de réponse à ce type de situation et peuvent contrôler de manière considérable la progression d’un mouvement migratoire.

Au niveau national, une telle obligation a fait l’objet de prévisions constitutionnelles au sein des plusieurs États. À ce titre, la Constitution de l’Éthiopie de 1994 indique que «le gouvernement doit prendre des mesures pour éviter toute catastrophe naturelle ou d’origine humaine, et, en cas de catastrophes, de fournir à temps une assistance aux victimes». D’autres États ont également recouru à l’adoption de réglementations nationales. Le Disaster Management Act de 2005 en Inde, le National Disaster Management Act élaboré en 2008 par les autorités du Tuvalu ou encore le Disaster Risk Reduction and Management Act de 2010 aux Philippines visent l’institutionnalisation des mesures de réduction des risques de catastrophes, afin de renforcer la résilience des communautés vulnérables et faire face au déplacement humain.

Au niveau régional, la même stratégie a été intégrée dans l’Accord de l’ASEAN de 2005 ou encore dans le Cadre d’action de Madang pour 2005-2015 concernant le Pacifique. Tous  deux mettent l’accent sur la création de mécanismes contraignants relatifs à la prévention.  L’Accord européen et méditerranéen de 1987 sur les risques majeurs aspire aussi à renforcer la logique de la prévention des risques naturels et technologiques. Au niveau international, les institutions spécialisées des Nations Unies doivent mener leurs activités de façon à mettre en place le Cadre d’action de Hyōgo.

En ce qui concerne particulièrement le déplacement dû aux accidents industriels, le régime de prévention des catastrophes industrielles n’est pas limité seulement aux obligations du Cadre d’action de Hyōgo. Bien qu’un déplacement de 40.000 personnes ait été provoqué après l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima en mars 2011, plusieurs conventions et accords nationaux et internationaux relatifs à la question de prévention  et d’assistance ont été récemment adoptés. Ces derniers obligent les États à mettre en œuvre une véritable politique nationale concernant la protection de l’environnement et des populations menacées.

2. Protection des droits humains

Pour ce qui est de l’approche centrée sur les droits humains, les conséquences de la dégradation environnementale sur la vie, la santé ou sur la propriété engagent les États à adopter des mesures préventives pour empêcher, dans la mesure du possible, le déplacement des populations ainsi que de satisfaire leurs droits fondamentaux. La Cour européenne des droits de l’homme a précisé, dans l’affaire Ӧneryildiz c. Turquie, que la prévention est le premier devoir de l’État, issu de son obligation positive de sauvegarder le droit à la vie. La même obligation est apparue dans l’affaire Boudaïeva et al. c. Russie, pendant laquelle la Cour a réitéré que l’État a l’obligation positive d’établir un cadre législatif et administratif dans le but de protéger les droits humains contre les conséquences d’une catastrophe.[2] La Commission africaine a elle aussi reconnu, dans l’affaire Federal Republic of Nigeria v. Ogoni Community, que le non-application des mesures de prévention destinées à protéger la communauté de la pollution provoquée et à éviter un déplacement constitue une violation des droits selon la Charte africaine. Dans la même logique, la diffusion des informations en cas de risque industriel, tel que l’accident nucléaire au Japon, et la participation du public lorsqu’il s’agit de prendre une décision relative à une évacuation ou, encore, la possibilité d’obtenir réparation témoignent d’une importance particulière. C’est pour cela que les droits procéduraux, comme le droit à l’information, le droit du public à participer aux décisions ou le droit d’accès à la justice, occupent une place essentielle dans le cadre de la prévention des déplacements.

3. Protection de l’environnement

L’obligation générale de protection de l’environnement corrobore le devoir des États de prendre des mesures nécessaires pour empêcher la réalisation des risques environnementaux susceptibles de conduire à un mouvement migratoire. Alors que les États se voient obligés d’introduire des programmes d’adaptation pour freiner les impacts défavorables du changement climatique et empêcher les déplacements, le principe de prévention, ainsi que celui de précaution, ont acquis une certaine autorité au niveau international. De nombreuses lois et réglementations internationales témoignent de l’obligation des États à mettre en œuvre des mesures de protection destinées à stopper la réalisation d’un risque environnemental, et par conséquent la création d’un phénomène migratoire. Une telle obligation est en plus liée au concept du développement durable, qui exige en effet de procéder à une meilleure évaluation des risques imminents et à la diminution des répercussions au niveau humain. Cette logique apparaît clairement dans la Convention sur la lutte contre la désertification, qui souligne l’importance du développement durable pour lutter contre les impacts importants au niveau social «et ceux qui découlent des migrations et des déplacements de populations».[3]

Complémentarité des systèmes

Bien que dans certains cas l’objectif visé de protection ne soit pas directement la personne déplacée, un tissu de différents textes normatifs a été mis en place pour protéger l’environnement, pour prévenir et réduire les catastrophes, ainsi que pour faire respecter l’application des droits de l’homme en toute circonstance. Les trois domaines constituent en réalité un cadre juridique et opérationnel élargi, qui non seulement met en lumière l’obligation qui incombe aux États de minimiser les effets des catastrophes sur les individus mais, plus fondamentalement, qui montre que c’est aux autorités étatiques qu’il incombe de lutter contre l’origine elle-même du déplacement. Il est alors impératif de ne pas considérer les diverses obligations conventionnelles comme autonomes.  Toutes les obligations imposées aux États, dispersées sur divers domaines du droit, doivent être appliquées comme un système de protection unique et uniforme afin de garantir qu’elles aboutissent à des résultats tangibles. Pour ce faire, il sera indispensable de renforcer la coopération internationale dans ces trois domaines. 

 

Dimitrios Chotouras dchotour@hotmail.com est avocat et docteur en droit de l’Université de Lorraine.



[2] Reportez-vous à l’article de Walter Kälin et Claudine Haenni Dale «L’atténuation des risques de désastre: pourquoi les droits humains sont importants», RMF 31 www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/pdf/MFR31/22.pdf

[3] Paragraphe 9 du préambule de la Convention sur la lutte contre la désertification.

 

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