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Données sur l’éducation en situation d’urgence : qui décide et pourquoi c’est important

À l’occasion du Sommet humanitaire mondial d’Istanbul de 2016, Dubai Cares[1] s’est engagé à accroître la part de son assistance aux programmes d’éducation dans les situations d’urgence (ESU) jusqu’à ce qu’elle atteigne 33 % de son portefeuille financier ; 10 % de cette augmentation seront par ailleurs investis dans la recherche sur l’ESU. Plus tard cette même année, nous avons lancé le budget de recherche pour l’éducation dans les situations d’urgence (Evidence for Education in Emergencies Research Envelope, « E-Cubed »). D’un montant total de 10 millions $ US, qui seront décaissés sur une période de cinq ans, ce fonds de recherche a pour but de produire des données sur les stratégies de préparation et d’intervention efficaces dans le domaine de l’ESU.

Tout au long du processus d’établissement d’E-Cubed et dans nos communications avec d’autres bailleurs de la recherche, nous nous sommes retrouvés à nous demander ce que cela signifiait réellement de financer des données en faveur de l’ESU. Quel rôle les bailleurs peuvent-ils et doivent-ils jouer alors que nous nous engageons à fournir les financements nécessaires pour combler les carences de données dans le domaine de l’ESU ? Nous souhaitons partager nos réflexions préliminaires dans l’objectif d’ouvrir un dialogue sur la manière dont nous pouvons agir ensemble pour produire des données qui seront le plus favorables possible à l’éducation des enfants et des jeunes dans les contextes de crise.

L’engagement de Dubai Cares à financer de nouvelles données sur l’ESU est une réponse au sous-financement constant de l’ESU tant par les autorités que par les acteurs humanitaires. Afin d’encourager l’investissement dans l’ESU et de veiller à ce que des ressources déjà limitées soient orientées vers des modèles fondés sur une véritable compréhension des facteurs de réussite de l’ESU, nous devons investir dans le développement et la diffusion d’un ensemble de données probantes qui saisissent l’efficacité de ces modèles. Toutefois, le financement de données relatives à l’ESU n’est pas suffisant en soi. Nous devons également nous assurer que les données que nous finançons parviennent aux bonnes personnes et qu’elles sont activement adoptées et utilisées par les acteurs de l’ESU au bon échelon du processus décisionnel. Cela signifie de financer des recherches auxquelles les personnes et les institutions sur le terrain dans les contextes de crise peuvent accéder librement, qui sont conçues pour elles et qui tiennent compte de leur opinion. Cela implique donc que nous suivions un processus d’apprentissage guidé par leurs besoins et par leurs questions, plutôt que de laisser les pays du Nord définir pour elles ce processus d’apprentissage.

Afin de pouvoir atteindre les acteurs qui sont le plus conscients des données manquantes, Dubai Cares a établi un partenariat avec le Réseau Inter-Agences pour l’Éducation en Situations d’Urgence (Inter-Agency Network for Education in Emergencies, INEE) pour concevoir et administrer le fonds. En tant que réseau mondial composé de plus de 15 000 membres individuels issus d’agences de l’ONU, d’organisations non-gouvernementales, de bailleurs, de gouvernements, d’universités, d’écoles et de populations touchées, qui travaillent ensemble pour que toutes les personnes aient le droit et la possibilité d’accéder à une éducation de qualité dans les situations d’urgence et de relèvement après-crise, l’INEE est le destinataire naturel du budget de recherche E-Cubed.

Absence d’inclusion des acteurs locaux

E-Cubed a été établi pour produire des biens publics mondiaux[2] pour le secteur de l’ESU dans son ensemble. Ainsi, ni Dubai Cares ni l’INEE n’ont identifié d’axes thématiques ou géographiques pour chaque appel à propositions, reconnaissant que ce sont les personnes sur le terrain qui sont les plus à même d’identifier les carences d’informations sur le terrain. Toutefois, le processus d’examen des soumissions pour les financements d’E-Cubed a révélé que le contenu éducatif et le mode d’enseignement ne s’inspiraient encore que rarement de solutions locales. Par exemple, durant l’évaluation des soumissions au deuxième appel à candidatures d’E-Cubed, nous avons observé que la majorité des propositions de recherche se penchait sur l’apprentissage social et émotionnel (ASE) dans les contextes d’urgence.[3] En analysant ces propositions, nous avons remarqué que la plupart d’entre elles souhaitaient tester la mise en œuvre d’approches de l’ASE définies par l’organisation elle-même, qui avaient été élaborées par des acteurs dans des pays stables et à revenus élevés pour des acteurs travaillant dans des contextes d’urgence. Trop souvent, la contribution des utilisateurs finaux visés était absente à chaque étape des propositions de recherche : de la sélection du modèle à tester à la formulation des questions de recherche et aux hypothèses sur lesquelles elles se basaient, et jusqu’à la diffusion des résultats de ces recherches. Cette observation est profondément préoccupante, en particulier à la lumière du fort intérêt que la recherche sur l’ASE pour l’ESU a suscité ces dernières années tant chez les bailleurs que chez les chercheurs.

Un solide ensemble de données issues de pays stable à revenus élevés indiquent que les programmes d’ASE peuvent améliorer les résultats scolaires, sociaux, émotionnels et comportementaux des enfants. En outre, la documentation récente révèle que les compétences transmises par l’ASU peuvent être des outils indispensables pour renforcer la résilience des enfants et des jeunes touchés par une crise. Par conséquent, l’étude des approches de l’intégration de l’ASE dans l’ESU pourrait s’avérer prometteuse. Mais à quels besoins cette voie de recherche répondrait-elle si l’utilisateur final visé n’est jamais présent tout au long du processus de recherche ? Aux questions de quels acteurs répondrait-elle en définitive ?

La recherche dans l’ESU peut fournir des orientations précieuses aux acteurs travaillant dans les contextes d’urgence, en leur permettant de faire un usage optimal des ressources et d’élaborer des modèles pouvant améliorer la vie des enfants et des jeunes touchés par les crises. Cependant, cela ne peut pas se produire si nous ne mettons pas les opinions des praticiens locaux au cœur du processus de recherche. Sans leur contribution, les recherches que nous finançons n’ont plus de sens. Au lieu d’investir dans ce qui fonctionne réellement pour l’ESU, nous finissons par imposer notre propre vision de ce qui, selon nous, devrait fonctionner. Afin de favoriser la production d’un ensemble de données qui nous permette de comprendre plutôt que d’imposer, nous devons prendre des mesures pour apporter notre soutien aux approches de la recherche qui autonomisent explicitement les acteurs locaux et renforcent leurs capacités à définir eux-mêmes le programme d’apprentissage.

Dubai Cares a spécifiquement choisi l’INEE comme partenaire pour la conception et la gestion d’E-Cubed en raison de son engagement à diversifier ses membres et à utiliser des approches collaboratives pour s’assurer que l’opinion de chacun d’entre eux est prise en compte.Depuis sa fondation en 2000, l’INEE est devenue une ressource essentielle pour les praticiens à la recherche d’outils et de directives pour mettre en œuvre des programmes d’ESU. Reconnaissant le mandat de l’INEE en tant que rassembleur et plate-forme neutre pour le secteur de l’ESU, nous reconnaissons qu’il a le potentiel de se placer au cœur de tous les efforts afin de collecter des données pour le secteur de l’ESU et des réunir toutes les parties prenantes œuvrant à cette fin.

En tant que bailleur de recherches sur l’ESU, nous devons être conscients du pouvoir que nous détenons et de la capacité de nos programmes d’apprentissage et de nos décisions de financement à influencer la recherche dans ce domaine. Nous devons donc nous assurer que nos approches du financement suivent des processus consultatifs et démocratiques qui prennent en compte toutes les personnes concernées et qui répondent aux besoins du secteur de l’ESU dans son ensemble. 

 

Nadeen Alalami Nadeen.alalami@dubaicares.ae
Analyste de recherche, Dubai Cares www.dubaicares.ae

 

Ressources INEE

Le Réseau Inter-Agences pour l’Éducation en Situations d’Urgence (Inter-agency Network for Education in Emergencies, INEE) fournit à ses membres les ressources et l’appui dont ils ont besoin pour mener à bien leurs activités liées à l’éducation en situations d’urgence.

Le manuel des Normes minimales de l’INEE définir le niveau minimum d’accès à l’éducation et de qualité éducative qui doit être fourni pendant les urgences, de la préparation à l’intervention et jusqu’au relèvement. Il est disponible dans de nombreuses langues.
www.ineesite.org/fr/normes-minimales 

Le site Web de l’INEE, également disponible en plusieurs langues, contient un vaste éventail d’outils et de ressources pratiques et adaptés au terrain, dont la boîte à outils pour l’éducation en situations d’urgence (EiE), le glossaire EiE, une base de données interrogeable (sur laquelle les membres peuvent charger des ressources), un blog, une liste d’offres d’emplois et des forums interactifs.
www.ineesite.org/fr 

 

[1] Une organisation philanthropique œuvrant pour améliorer l’accès des enfants à une éducation de qualité dans les pays en développement.

[2] Un bien public mondial est une ressource ou une marchandise disponible en source ouverte et à disposition de tout le monde, et dont l’usage par une personne n’en réduit pas la disponibilité aux autres personnes. 

[3] L’apprentissage social et émotionnel peut être défini comme « le processus d’acquisition de valeurs, de comportements, de compétences, de connaissances et d’aptitudes sociaux et émotionnels qui sont essentiels à l’apprentissage, à l’efficacité, au bien-être et à la réussite dans la vie ».
http://s3.amazonaws.com/inee-assets/resources/INEE_PSS-SEL_Background_Paper_ENG_v5.3.pdf

 

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