La Loi sur l’immigration de 2016 a vu l’entrée en vigueur au Royaume-Uni d’un nouveau régime « l’immigration bail[1] – régime de liberté sous caution pour les demandeurs d’asile en attente de résolution de leur droit de résider dans le pays » qui étend les pouvoirs du ministre de l’Intérieur et lui permet d’imposer des restrictions aux demandeurs d’asile, notamment concernant leur droit d’étudier.
Au moment où la Loi de 2016 était en projet, tout indiquait que l’application de cette restriction au droit d’étudier serait exceptionnelle. Il semble également évident au vu des débats parlementaires qui ont entouré l’adoption de la Loi que le pouvoir de restreindre le droit d’étudier ne devait être utilisé que rarement et uniquement pour des objectifs bien spécifiques.
Toutefois, lorsque les dispositions pertinentes sont entrées en vigueur en janvier 2018, les associations d’aide aux migrants et les travailleurs sociaux se sont aperçus que l’imposition de restrictions au droit d’étudier était devenue courante. La réponse du ministère de l’Intérieur suite à une demande d’accès à l’information révèle qu’entre le 15 janvier et le 31 mai 2018, sur 53 901 personnes ayant reçu des formulaires d’immigration bail (un document qui définit les conditions de liberté sous caution auxquelles sont soumis les demandeurs d’asile) du ministère de l’Intérieur, 12 642 parmi elles (à savoir 24 %) avaient été frappées d’une interdiction d’étudier. Le récit des différents parcours des personnes que notre cabinet d’avocat à assistées au cours des huit derniers mois met en lumière toute une gamme d’expériences variées.
Objectifs et espoirs
Sharif, Henry et Farooq[2] sont arrivés au Royaume-Uni en tant que mineurs non accompagnés et ont été inscrits à l’école et ensuite au collège. En tant que jeunes personnes quittant le système d’aide social, ils pouvaient prétendre à un soutien de l’État, notamment à une bourse et à un hébergement fournis par les autorités locales, à condition de poursuivre des études et de les continuer jusqu’à l’âge de 21 ans. Josie, qui est arrivée au Royaume-Uni avec sa mère et son frère, a obtenu une bourse réservée aux demandeurs d’asile qui lui a permis d’accepter une proposition pour étudier les sciences biomédicales à l’université où elle espérait devenir une scientifique en développant les qualifications impressionnantes qu’elle avait obtenues dans le secondaire. Mustafa voulait améliorer son anglais de telle sorte qu’après avoir obtenu le statut de réfugié il puisse étudier l’illustration à l’université et continuer sur la lancée des nombreuses expositions et compétitions auxquelles il avait déjà participé. Ali, une victime de la traite des personnes, voulait étudier le droit et les services de police à l’université, dans le but un jour de démarrer une organisation de lutte contre la traite et pouvoir aider d’autres personnes dans sa situation. Mary, également une victime de la traite, avait été encouragée à s’inscrire à des cours d’affirmation de soi, d’alimentation saine et de compréhension de l’anxiété dans le cadre de son rétablissement post-traumatique pendant qu’elle était sur liste d’attente pour des services de counseling. Kit, une jeune mère, souhaitait participer à un cours « d’anglais pour locuteur étranger » qui offrait une possibilité de garde d’enfants. Elle voulait apprendre l’anglais pour mieux s’occuper de sa fille et pouvoir se débrouiller plus facilement dans les supermarchés, les bus, chez les médecins et les avocats, et aussi pour se lier d’amitié avec d’autres parents.
Les effets des restrictions au droit d’étudier
Lorsqu’une question a été posée au Parlement en avril 2018 à propos des objectifs de ces restrictions au droit d’étudier et du nombre de personnes auxquelles elles avaient été appliquées, le ministre de l’Immigration a répondu que les individus concernés avaient la possibilité de demander une modification des termes de leur caution auprès du centre du ministère de l’Intérieur où ils doivent se présenter régulièrement. Toutefois, suite à l’entrée en vigueur du nouveau régime, chacune des personnes dont nous venons de vous faire le récit a été informée qu’elle n’avait plus le droit d’étudier au Royaume-Uni ; aucune d’entre elles n’a été interrogée sur ses plans d’études ou si elle poursuivait déjà des études. Personne ne leur a expliqué en quoi consistait la restriction ou ne leur a donné des raisons motivant un tel changement. Enfreindre les conditions de sa caution d’immigration est une affaire sérieuse – si ces personnes avaient poursuivi leurs études, « leur refus d’obtempérer » aurait pu être retenu contre elles dans le traitement de leur demande d’asile. Beaucoup d’entre elles n’avaient même pas réalisé que cette restriction leur avait été appliquée avant qu’un travailleur social ou un agent de l’immigration ne s’en soit rendu compte. À ceux et celles qui ont tenté de demander une modification de cette clause, il a été répondu que leur demande devait être soumise par écrit par l’intermédiaire de leurs avocats. Toutefois, les demandes envoyées par les représentants légaux des demandeurs d’asile sont restées sans réponse. Selon notre expérience, le seul moyen pour obtenir la révocation de ces restrictions consistait à menacer le ministère de l’Intérieur de poursuites devant les tribunaux. Dans de nombreux cas, cela ne s’est pas avéré suffisant, et nous avons été contraints d’intenter des actions en justice.
Sharif, Henry et Farouk se sont retrouvés dans une situation terrible, ils ont eu à choisir entre l’obligation de cesser leurs études ce qui signifiait également la perte du soutien accordé par les autorités locales (y compris leur hébergement) – ou poursuivre leurs études, et potentiellement, enfreindre les conditions de leur caution d’immigration. Mary était profondément inquiète ne sachant pas si les cours auxquels elles s’étaient inscrites dans le cadre de son rétablissement post-traumatique pouvaient être considérés comme « des études ». Mustafa et Kit ont dû abandonner leur cours d’anglais pour locuteurs étrangers, alors que Josie et Ali ont vu leur proposition d’études révoquée par leurs universités respectives.
Selon les propres termes du ministère de l’Intérieur à propos de sa politique d’immigration bail, les restrictions ont pour objectif légitime de maintenir le contact avec les demandeurs d’asile pendant la période de traitement de leurs dossiers et de réduire les risques de voir s’enfuir ces personnes. Il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle il serait possible et logique d’argumenter que la restriction du droit d’étudier contribue à cet objectif légitime. De fait, chaque fois qu’une contestation a été présentée lors d’une procédure judiciaire ou par écrit préalablement à l’engagement d’une procédure, le ministère de l’Intérieur a cédé dans tous les cas en révoquant la restriction sans jamais avoir été capable de justifier de son imposition.
Modification de la politique
Le 8 mai 2018, suite à une série de contestations judiciaires couronnées de succès alliées à l’attention des médias et à l’intervention de certains membres du Parlement, le ministère de l’Intérieur a modifié sa politique en amendant significativement la section consacrée aux restrictions d’étudier. La nouvelle politique contient maintenant davantage d’indications sur les personnes susceptibles d’être soumises à une restriction du droit d’étudier, et clarifie que dans la plupart des situations les demandeurs d’asile devraient être et seront autorisés à étudier.
Le ministère de l’Intérieur a également initié une procédure destinée à identifier ceux et celles auxquels la restriction sur les études avaient été appliquée à tort et a renvoyé à ces personnes de nouveaux formulaires d’immigration bail ne comportant pas de restrictions d’étudier. Dès la fin de ce mois, le ministère de l’Intérieur avait révoqué les restrictions d’étudier de 4709 personnes, ce qui en toute probabilité laissait encore fin mai 2018, 7933 personnes soumises à cette restriction. Un fonctionnaire de haut rang du ministère de l’Intérieur doit maintenant donner son approbation préalable à l’application d’une condition d’immigration bail. Un courrier a également été envoyé aux organisations non gouvernementales pour leur permettre d’encourager les personnes préoccupées à prendre contact avec le ministère de l’Intérieur en vue d’obtenir une modification de leurs conditions d’immigration bail. Néanmoins et malgré toutes ces mesures, de nombreuses personnes continuent de nous être adressées parce que des restrictions du droit d’étudier leur ont été appliquées à tort et sans justification.
La bataille concernant les restrictions du droit d’étudier montre comment des pouvoirs statutaires accordés pour un motif spécifique et limité peuvent être dévoyés par un gouvernement dont les politiques rendent la vie très difficile à ceux qui au Royaume-Uni se trouvent sans statut légal. Les organisations d’entre-aide, les médias et les travailleurs sociaux ont un rôle crucial à jouer et doivent contrôler la manière dont des pouvoirs exécutifs sont appliqués en vue de prévenir des restrictions à la fois injustifiées et irrationnelles des libertés et droits personnels.
Helen Baron HelenS@Duncanlewis.com
Chargée de cas, Duncan Lewis Solicitors www.duncanlewis.co.uk
[1] L’immigration bail correspond au statut temporaire accordé aux personnes sans autorisation de séjour (comme les demandeurs d’asile). Ce statut leur permet de rester au Royaume-Uni et de résider dans la collectivité (il est souvent assorti à une assignation à une certaine adresse) en attendant le traitement de leur demande ou de l’audition de leur appel. Tous les demandeurs d’asile au Royaume-Uni qui ne sont pas placés en détention sont soumis au régime de l’immigration bail, un système de liberté sous caution.
[2] Par souci de préserver leur anonymat, les noms de tous les demandeurs/demandeuses d’asile ont été modifiés.