Le terme « problèmes de communication » se rapporte aux obstacles entravant la participation à la société auxquels se heurtent les personnes éprouvant des difficultés à comprendre ce que les autres essaient de leur communiquer ou à se faire comprendre lorsqu’ils tentent de communiquer avec les autres. Malgré la nature inclusive des politiques pour le développement de la petite enfance et des politiques éducatives du gouvernement rwandais (et des organisations humanitaires qui soutiennent ces politiques), il est toujours difficile de proposer une éducation de qualité inclusive et équitable (Objectif de développement durable no 4) pour les enfants souffrant de problèmes de communication si bien que de nombreux enfants sont exclus du système éducatif dès le plus jeune âge.
Au Rwanda, les services éducatifs et de développement de la petite enfance destinés aux enfants réfugiés originaires de la République démocratique du Congo et du Burundi sont bien établis. Toutefois, le niveau d’accès à ces services par les enfants souffrant de handicap et leur famille soulève certaines préoccupations. Les réfugiés souffrant de handicap sont reconnus comme l’un des groupes les plus exclus et les plus vulnérables du monde, mais aussi l’un des plus notoirement sous-identifiés. Par conséquent, l’assistance humanitaire dont ils ont besoin ne leur est pas apportée[1]. En général, ceux qui sont identifiés souffrent d’un handicap visible ou couramment reconnu. Mais les personnes souffrant de difficultés moins visibles (par exemple de déficience intellectuelle ou de la communication) passent souvent inaperçues, leur exclusion étant perpétuée par le manque d’identification ou d’enregistrement de leurs besoins sanitaires, sociaux, éducatifs et de protection.
Les problèmes de communication englobent diverses difficultés pouvant exister indépendamment ou être l’un des symptômes d’autres troubles et/ou problèmes de santé. Ces troubles sont souvent perçus comme exclusivement provoqués par une déficience auditive, une interprétation perpétuée par l’utilisation du terme « troubles de l’ouïe et de la parole » dans le secteur humanitaire. Ces deux troubles sont ainsi regroupés sous un seul et même handicap, ce qui a pour effet de masquer l’existence et les besoins des personnes souffrant d’autres problèmes de communication, par exemple le bégaiement ou la compréhension limitée du langage, ou encore des personnes dont les problèmes de communication sont le résultat d’une maladie, par exemple le neuropaludisme, un AVC ou un traumatisme crânien, qui n’ont pas forcément perdu l’ouïe mais qui peinent à s’exprimer et/ou à comprendre les autres.
Combler les lacunes de données
Pour combler le manque de données solides à ce sujet, nous avons entrepris une étude dans deux camps de Congolais et un camp de Burundais établis au Rwanda, chacun à une étape différente de l’intervention humanitaire (après-urgence, déplacement prolongé et urgence, respectivement)[2]. Cette étude à méthodologie mixte s’appuie également sur les renseignements de la base de données des inscriptions de l’HCR à propos des problèmes de communication au Rwanda, analyse les politiques et les directives relatives à l’enregistrement des réfugiés, au développement de la petite enfance et à l’offre éducative, et étudie les données qualitatives collectées auprès des responsables, des prestataires de services, des membres de la communauté et des usagers des services. En premier lieu, cette étude vise à comprendre les raisons pour lesquelles les problèmes de communication sont sous-identifiés. Deuxièmement, elle étudie les besoins et les souhaits des personnes qui s’occupent des enfants réfugiés (de 2 à 12 ans) souffrant de problèmes de communication, et analyse les difficultés qu’elles rencontrent pour identifier les besoins des enfants et garantir leur accès aux services.
L’analyse de la base de données de l’HCR, entreprise en septembre 2017, a révélé que seulement 0,01 % des réfugiés établis au Rwanda étaient actuellement enregistrés comme souffrant d’un « trouble/handicap de la parole » et que seulement 10 enfants réfugiés de moins de 12 ans sur près de 55 000 établis au Rwanda étaient enregistrés comme présentant des besoins éducatifs particuliers. Pourtant, les recherches suggèrent que 15 % de toute population est susceptible de souffrir d’un handicap[3], cette prévalence pouvant même être supérieure parmi les réfugiés, dont certains souffrent de handicap dû à un traumatisme, par exemple de problèmes de communication. Cette analyse initiale montre donc clairement que la prévalence des problèmes de communication (et les besoins connexes) est actuellement sous-estimée parmi les réfugiés établis au Rwanda.
L’analyse initiale des données des entretiens et des groupes témoins a révélé une compréhension erronée du concept des problèmes de communication à tous les niveaux, des usagers des services jusqu’aux responsables de l’élaboration des politiques. Le système d’enregistrement des besoins spécifiques de l’HCR ne permet pas d’enregistrer les problèmes de communication sous d’autres formes que « troubles/handicap de la parole » et « troubles auditifs ». L’interchangeabilité des mots « trouble » et « handicap » est le premier point de confusion[4], le deuxième provenant du fait que les problèmes de communication coexistent souvent avec d’autres troubles et/ou problèmes de santé. La plupart du temps, seul l’un des troubles ou seulement le trouble le plus visible est documenté mais le handicap correspondant et les besoins individuels ne le sont pas.
Ce sont les collecteurs de données qui, durant la phase initiale d’enregistrement/de vérification, ont pour responsabilité de décider si une personne doit être orientée pour une évaluation de ses besoins particuliers. Ainsi, il est possible que les besoins des réfugiés ne soient pas signalés si le collecteur de données ne communique pas directement avec lui. Cela est particulièrement fréquent pour les troubles fortement stigmatisés, par exemple les handicaps intellectuels (qui entraînent souvent des problèmes de communication). Un grand nombre des enfants souffrant de problèmes de communication sont enregistrés par un adulte qui les accompagne, si bien que leurs besoins de communication risquent de ne pas être signalés ou enregistrés. Les données semblent indiquer que les besoins des enfants souffrant d’une déficience auditive, en particulier de déficience non verbale, sont les plus susceptibles d’être identifiés et enregistrés. Cela peut contribuer à la conception erronée selon laquelle les problèmes de communication sont uniquement liés à une déficience auditive et, par conséquent, cela peut contribuer à l’importance accordée aux services spécialisés conçus pour les malentendants (tels que l’enseignement de langue des signes) au détriment des services destinés à d’autres besoins.
Comme les besoins de nombreux enfants souffrant de problèmes de communication ne sont pas même identifiés, il n’est pas surprenant que leurs besoins dans l’environnement éducatif demeurent principalement insatisfaits, les services conçus pour les personnes handicapées établies dans les camps du Rwanda se concentrant principalement sur la rééducation physique et la fourniture de dispositifs d’assistance pour les déficiences physiques et sensorielles. Les parents d’enfants souffrant de handicap sont encouragés à envoyer leurs enfants au centre de développement de la petite enfance ou à l’école, mais les enseignants ne suivent aucune préparation pour les prendre en charge tandis que les partenaires éducatifs confient souffrir d’un déficit de connaissances et de compétences au sein de leur organisation pour former les enseignants aux pratiques inclusives.
Certains enseignants ont suivi une formation à la langue des signes mais de manière sporadique et souvent sans soutien continu, si bien qu’ils doivent continuer d’essayer d’apprendre la langue des signes par eux-mêmes. Lorsque ces enseignants partent, un déficit de compétences demeure. De plus, les prestataires de services de tous niveaux ont tendance à envisager la langue des signes comme une panacée pour toute personne souffrant de problèmes de communication – une hypothèse dangereuse dans la mesure où la langue des signes est complexe et qu’elle doit être enseignée de manière cohérente et en incluant les familles, les communautés et les prestataires de services. Elle implique parfois aussi un degré d’adaptation considérable pour les personnes dont la compréhension est limitée. Et pourtant, nous avons recueilli peu de données indiquant la connaissance de l’utilisation d’autres méthodes de soutien à la communication de la langue des signes pour faciliter et soutenir l’accès à l’éducation (par exemple, les approches basées sur des illustrations ou des symboles, qui facilitent la compréhension et peuvent constituer un mode de communication alternatif).
Apprentissage dans le système général ou parallèle
Malgré les preuves sans cesse plus nombreuses indiquant que l’éducation inclusive est rentable et qu’elle donne de meilleurs résultats éducatifs et sociaux pour certains enfants souffrant de handicap et pour leurs pairs, plusieurs enfants souffrant de déficience intellectuelle légère ou modérée et de troubles connexes de la communication, ainsi que des enfants souffrant de déficience auditive, ont été envoyés dans des internats ou des centres résidentiels spécialisés à l’extérieur des camps. Cette option est particulièrement appréciée par les parents car, tout comme les enseignants, ils pensent que c’est le seul moyen d’offrir une éducation à leurs enfants. Toutefois, envoyer les enfants souffrant de problèmes de communication dans des établissements éducatifs spécialisés et distincts suppose un certain coût, et pas seulement sur le plan financier.
Les parents, de même que les comités chargé du handicap dans les camps[5], signalent un certain nombre de difficultés, notamment l’isolement dont souffrent les enfants lorsqu’ils retournent chez eux durant les vacances scolaires alors que leur famille peine toujours à communiquer avec eux et qu’ils ont peu d’amis, voire aucun, hors de leur environnement scolaire. D’ailleurs, on signale que les enfants sont encore plus isolés après qu’ils ont été envoyés dans un internat ou un centre résidentiel et qu’ils sont considérés comme « différents » par la communauté puisqu’ils n’en font plus partie. Quant aux enfants souffrant de problèmes de communication graves ou profonds, souvent liés à d’autres déficiences, ils sont exclus tant des centres spécialisés que de leur établissement local d’enseignement général. Ironiquement, les enfants souffrant de problèmes de communication légers ou modérés seraient les plus à même de s’adapter à un établissement scolaire ou de développement de la petite enfance général, tandis que les financements actuellement utilisés pour envoyer un petit nombre de ces enfants dans des écoles spécialisées pourraient éventuellement être utilisés pour former et soutenir des équipes entières et de nombreux enfants dans les centres et les écoles de développement de la petite enfance généraux, dans les camps et les communautés d’accueil, et pour fournir les ressources supplémentaires qui permettraient à ces enfants d’accéder aux programmes d’enseignement.
Travailler ensemble pour identifier des solutions
Les communautés, les prestataires de services et les personnes qui s’occupent d’enfants souffrant de problèmes de communication reconnaissent de plus en plus la capacité d’exclusion du système d’enregistrement et des services éducatifs et de développement de la petite enfance actuels, et souhaitent des services qui répondent mieux à leurs besoins. Ils demandent notamment :
- la mise en œuvre d’un programme de sensibilisation communautaire pour promouvoir l’évolution des comportements
- la formation des soignants et des prestataires de services à différentes méthodes de communication avec les enfants
- la formation et le développement professionnel des enseignants et des partenaires éducatifs sur l’éducation inclusive et les méthodologies d’apprentissage inclusives, ainsi qu’un soutien continu de la part de spécialistes dans les domaines de l’éducation inclusive et des problèmes de communication.
Pour que ces services répondent aux besoins des familles qui soutiennent les enfants souffrant de problèmes de communication, il est indispensable que ces dernières puissent faire entendre leur voix mais aussi participer à la planification des services. Nous sommes impatientes de mener à bien notre étude et de formuler des recommandations qui pourraient améliorer l’accès à des services de développement de la petite enfance et d’éducation inclusifs pour les enfants réfugiés souffrant de problèmes de communication au Rwanda, en veillant à ce qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte.
Helen Barrett helen.l.barrett@stu.mmu.ac.uk
Conseillère en handicap et inclusion sociale ; doctorante à l’Université métropolitaine de Manchester (MMU)/Université du Rwanda
Julie Marshall J.E.Marshall@mmu.ac.uk
Maîtresse de conférences en Handicap de la communication et développement, MMU
Juliet Goldbart J.Goldbart@mmu.ac.uk
Professeure en déficiences développementales, MMU
www2.mmu.ac.uk/health-psychology-and-communities/
[1] Voir le numéro 35 de la RMF (2010) sur le thème « Handicap et déplacement » www.fmreview.org/fr/handicap
[2] Les auteurs souhaitent remercier l’HCR Rwanda (en particulier Machtelt De Vries, Nathalie Busien, Anna-Katharina Reiser, Jackson Ndagijimana, Sophie Mwiseneza et Claudine Mukagatare), l’ensemble des partenaires d’exécution et les réfugiés ayant pris part à cette recherche.
[3] OMS et Banque mondiale (2011) Rapport mondial sur le handicap
http://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/70671/WHO_NMH_VIP_11.02_fre.pdf?sequence=1
[4] La déficience est le véritable trouble, tandis que le handicap se rapporte à l’expérience d’une limitation fonctionnelle causée par l’interaction avec la condition, l’environnement social et physique, et la personne.
[5] Chaque camp est doté d’un comité chargé du handicap, composé d’un représentant de chaque quartier du camp. Le secrétaire exécutif de ce comité est également membre du comité exécutif du camp.