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L’éducation des enfants non accompagnés dans les centres d’accueil des États-Unis

Depuis 2014, plus de 250 000 enfants non accompagnés sont arrivés à la frontière sud-ouest des États-Unis, en quête de protection[1]. Dès leur arrivée, la plupart de ces enfants sont placés sous la garde du Bureau de réinstallation des réfugiés du Département des services sanitaires et humains des États-Unis (HHS/ORR) puis transférés vers des installations d’accueil financées par les pouvoirs publics. Le Bureau sous-traite ces installations pour fournir aux enfants non accompagnés divers services, notamment des soins médicaux et de santé mentale, la gestion de cas, des loisirs et des programmes éducatifs. Comme les enfants non accompagnés ne sont pas autorisés à s’inscrire directement à l’école publique tant qu’ils vivent dans un centre d’accueil, ils doivent bénéficier d’un enseignement sur place qui leur transmet les connaissances et les compétences nécessaires pour opérer une transition vers une école locale[2], lorsqu’ils quittent le centre d’accueil et sont placés chez un tuteur approuvé.

Besoins éducatifs dans les centres d’accueil

Aux États-Unis, tous les enfants ont le droit à un enseignement primaire et secondaire gratuit, quel que soit leur statut migratoire. Le pays dispose de directives spécifiques qui définissent les normes et les services éducatifs minimaux pour les enfants non accompagnés qui sont accueillis dans des centres. Ces directives ont été adaptées par HHS/ORR dans ses politiques et procédures relatives au programme pour enfants non accompagnés (désignées ci-après sous le nom de « Guide de l’ORR »)[3]. Selon le Guide de l’ORR, les centres d’accueil permanent doivent fournir :

  • une évaluation éducative initiale dans les 72 heures suivant l’admission d’un enfant afin de déterminer son niveau de développement scolaire, d’alphabétisation et de compétences linguistiques
  • des services éducatifs incluant six heures d’enseignement par jour, du lundi au vendredi, dans un environnement structuré en salle de classe, tout au long de l’année civile
  • un enseignement dans les matières de base dont les sciences, les études sociales, les mathématiques, la lecture, l’écriture, l’éducation physique et le perfectionnement en langue anglaise
  • des rapports scolaires et des notes de suivi pour chacun des élèves
  • des ressources pédagogiques et des fournitures scolaires qui reflètent la diversité des enfants et sont sensibles aux différences
  • des ressources dans toutes les langues maternelles représentées dans le centre
  • des programmes incluant des cours de rattrapage, des séances de soutien scolaire et des possibilités d’évolution scolaire, notamment des projets spéciaux, des études indépendantes et des cours de préparation au test d’évaluation en éducation générale (General Education Development, GED), qui aboutit à une certification équivalente à un diplôme d’études secondaires aux États-Unis.

 

Pratiques et défis

HHS/ORR administre actuellement plus de 100 centres permanents dans 17 États, avec des capacités variables comprises entre moins de 30 enfants et plus de 400. Alors que ces centres doivent respecter les exigences éducatives minimales établies par le Guide de l’ORR, le programme éducatif proposé diffère d’un centre à l’autre en raison de plusieurs facteurs tels que la surface même de l’établissement, l’expertise du personnel, le manque de programmes scolaires standardisés et le degré de soutien apporté par le district scolaire local. Comme l’assistance apportée par HHS/ORR est limitée, de nombreux centres peinent à trouver le temps et les ressources nécessaires pour élaborer des programmes scolaires et mettre en place des services éducatifs novateurs et adaptés.

Souvent, les centres ne disposent que d’un espace limité et doivent donc faire quelques adaptations pour dispenser un enseignement à tous les enfants. Certains centres contournent ce problème en divisant les élèves en groupe du matin et groupe de l’après-midi ; toutefois, il peut être difficile de trouver des enseignants disponibles durant cette journée prolongée. Il arrive également que les centres augmentent le ratio élève–enseignant afin d’accueillir un plus grand nombre d’élèves. Ce sont les enseignants du centre qui décident si les élèves sont regroupés par âge ou en fonction de leur niveau scolaire et de leurs compétences linguistiques, ces deux options posant chacune des défis pour l’enseignement en classe.

Il arrive qu’aucun enseignant qualifié ne soit disponible pour réaliser l’évaluation éducative initiale, auquel cas il pourra être remplacé par un membre du personnel moins bien formé. Lorsque les postes enseignants deviennent vacants, il est possible qu’il soit offert à des candidats ne répondant pas à l’ensemble des critères idéaux (bilinguisme, certification pour enseigner aux personnes apprenant l’anglais et connaissances des enfants non accompagnés) afin d’éviter l’interruption des services éducatifs fournis aux enfants.

L’élaboration d’un programme scolaire répondant à la diversité des besoins éducatifs des enfants non accompagnées dans les centres d’accueil est un défi constant. Selon le Guide de l’ORR, le contenu du programme scolaire devrait se baser sur les normes éducatives locales, être compatible avec la durée moyenne de séjour dans le centre concerné et être adapté au niveau et aux capacités spécifiques de chaque enfant. Toutefois, les classes accueillent des étudiants de différents âges et de différents niveaux d’instruction qui arrivent au centre et le quittent à différents moments. Ces facteurs, conjugués aux problèmes comportementaux, au niveau variable d’intérêt pour l’éducation et aux réactions post-traumatiques, limitent souvent la capacité des enseignants à préparer correctement les étudiants à intégrer le système scolaire local après leur sortie. Il peut facilement arriver que les besoins individuels des étudiants ne soient pas satisfaits. Les étudiants qui restent dans le centre pour une durée plus longue que la moyenne suivent une deuxième fois le programme d’enseignement si le personnel du centre ne parvient pas à leur trouver d’autres opportunités d’apprentissage, ce qui risque de désengager les étudiants concernés et de les priver de progrès éducatifs.

Comme les centres d’accueil sont des installations louées auprès des autorités fédérales et subventionnées, elles doivent respecter les lois et les normes fédérales conçues pour protéger les élèves présentant un handicap, des besoins particuliers ou des compétences limitées en anglais, et prendre en compte d’autres facteurs tels que l’origine ethnique, l’identité de genre et l’âge. Bien que la plupart des enfants non accompagnés arrivant à la frontière sud-ouest soient hispanophones, certains parlent des langues mayas autochtones tandis que d’autres proviennent de pays tels que la Guinée, le Ghana, l’Inde et le Bangladesh, si bien que les classes se caractérisent par la diversité linguistique. Il peut être difficile de trouver des interprètes locaux et des ressources pédagogiques adaptées sur le plan culturel aux langues les moins couramment parlés, ce qui entrave l’accès des élèves concernés. En outre, bien que la législation fédérale protège les droits des personnes souffrant de handicap, il est possible que les élèves hébergés dans les centres ne soient pas correctement diagnostiqués en raison de leur accès limité à des évaluateurs qualifiés et certifiés. Et en l’absence d’un diagnostic exact et d’un accès aux services d’assistance requis, l’apprentissage des élèves souffrant de handicap peut en pâtir.

Enfin, comme les programmes éducatifs en centre d’accueil ne bénéficient généralement pas de financements publics ou locaux et ne sont pas contraints par la loi de respecter les normes et directives éducatives de l’État, ce dernier n’inspecte pas les programmes d’enseignement. En revanche, HHS/ORR assure un niveau minimum d’inspection. Les élèves ne participent pas aux évaluations standardisées de l’État ou du pays tandis qu’aucun critère ni seuil d’apprentissage n’a été fixé pour ces programmes.

Malgré ces difficultés, nous proposons plusieurs recommandations et voies possibles pour encourager la réussite des étudiants, aussi bien dans les centres d’accueil qu’au moment de leur transition vers une école locale.

Introduction dans l’école d’accueil

Les enfants non accompagnés ont suivi une grande variété de parcours éducatifs et la plupart d’entre eux ne connaissent pas les normes et les pratiques de l’enseignement aux États-Unis. La salle de classe peut être un environnement complètement nouveau pour l’élève, surtout s’il n’a jamais fréquenté l’école régulièrement ou si, dans son pays d’origine, son école manquait sévèrement de ressources. Les enseignants des centres d’accueil devraient aider les élèves à comprendre les règles, les normes, les pratiques et les attentes des écoles américaines. En effet, les élèves qui n’apprennent pas à se comporter correctement risqueront d’être perçus négativement et d’être exclus de la classe après leur transition vers une école locale. Il est donc important d’enseigner des comportements positifs dès le départ. Il peut être bénéfique d’organiser des séances d’orientation, individuelles ou en petits groupes, en dehors de la salle de classe habituelle, dirigées par un enseignant assistant ou par d’autres personnels auxiliaires, afin d’accueillir les étudiants et de les aider à s’ajuster tout en évitant qu’un même enfant suive cette séance d’orientation plusieurs fois, puisque de nouveaux enfants arrivent plusieurs fois par semaine.  Nous recommandons également aux enseignants d’intégrer les compétences essentielles quotidiennes et les normes sociales américaines à leur enseignement, puisque les élèves n’auront probablement pas été exposés à ces informations précédemment.

Évaluation et apprentissage

Les évaluations des élèves en centre d’accueil devraient se concentrer sur leurs atouts et leurs compétences dans leur langue maternelle, plutôt que mettre en lumière leurs lacunes ou leur manque de maîtrise de l’anglais. Ces évaluations devraient être rigoureusement conçues de manière à saisir toutes les informations nécessaires. Nous recommandons que ces évaluations soient conduites par un éducateur qualifié disposant des ressources et de la formation requises pour identifier correctement les besoins des élèves. L’intervention d’un interprète pourrait également s’avérer nécessaire pour évaluer correctement certains élèves. En outre, les centres devraient éviter de proposer des instructions à suivre soi-même, à moins que l’élève concerné ait achevé le programme d’enseignement standard du centre ou qu’il s’agisse d’un élève doué. Dans ce type de cas, il est recommandé d’utiliser des programmes d’apprentissage à distance permettant aux étudiants de gagner des crédits du secondaire, à condition que ce programme soit supervisé par un enseignant du centre. Pour les élèves dont les compétences en anglais ou en lecture et écriture sont limitées, les plateformes d’apprentissage linguistique en ligne et les outils d’audio-apprentissage peuvent renforcer ce qu’ils apprennent en classe.

Partenariats

Certains centres d’accueil ont exploré la possibilité d’établir des partenariats avec leur district scolaire local pour les aider à fournir des services éducatifs aux enfants non accompagnés[4]. Ces partenariats peuvent élargir l’accès à des enseignants qualifiés, à des services éducatifs spécialisés et à des évaluateurs expérimentés des besoins éducatifs et des handicaps. Pour les élèves qui séjournent dans un centre pendant une période prolongée, les partenariats avec les districts scolaires peuvent également leur donner accès à de meilleurs programmes scolaires et à la possibilité d’obtenir des crédits pour les matières qu’ils réussissent. Il est ainsi plus probable ils finissent par satisfaire les exigences du cursus d’enseignement secondaire avant d’atteindre l’âge limite pour obtenir un diplôme de secondaire (21 ans dans la plupart des États américains). Les partenariats avec les districts scolaires locaux pourraient également renforcer la supervision générale des programmes éducatifs dans les centres d’accueil pour mieux s’assurer qu’ils répondent aux exigences de l’État concerné. Étant donné que les districts scolaires locaux ne sont pas obligés d’enseigner aux élèves des centres d’accueil et qu’ils ne reçoivent pas de financement de l’État à cette fin, nous recommandons que HHS/ORR fournisse un soutien financier pour renforcer cette collaboration sur le long terme.

Districts scolaires locaux

L’éventail complet des professionnels participant à l’éducation des enfants non accompagnés devrait promouvoir l’inscription rapide et équitable des élèves dans les écoles locales après leur sortie d’un centre d’accueil. Une fois inscrit, nous recommandons que l’élève ait accès à une orientation et qu’il soit évalué avant de déterminer correctement en quelle année l’inscrire et les services de soutien dont il aura besoin. Les enseignants des centres peuvent soutenir ces efforts en établissant un dossier éducatif détaillé et des recommandations de services spécifiques ou un plan éducatif individualisé pour l’enfant, lorsque celui-ci quitte le centre. Il faudrait expliquer au tuteur d’apporter ces documents au moment de l’inscription de l’enfant et également de les remettre à l’enseignant le premier jour d’école. Qui plus est, les écoles doivent suivre les directives publiées par le Bureau des droits civiques du Ministère de l’Éducation des États-Unis[5] et veiller à ce que les documents soient traduits et à ce qu’un interprète soit proposé pour épauler les tuteurs dont la maîtrise l’anglais est limité, afin qu’ils puissent jouer un rôle actif dans l’éducation de leur enfant. Enfin, nous recommandons aux éducateurs et aux autres prestataires de services de continuer à rechercher de nouvelles stratégies pour obtenir de bons résultats et pour promouvoir le traitement équitable de tous les enfants non accompagnés dans leur communauté.

 

Kylie Diebold KDiebold@usccb.org
Spécialiste des services aux enfants, Service de la migration et des réfugiés, Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB)
www.usccb.org/about/migration-and-refugee-services/

Kerri Evans kerri.evans@bc.edu
Doctorante, École des travailleurs sociaux du Boston College

www.bc.edu/socialwork

Emily Hornung emilyehornung@gmail.com
Consultante spécialiste du comportement/thérapeute mobile, Services de conseil de Pennsylvanie, et prestataire indépendante, Service luthérien pour l’immigration et les réfugiés
www.lirs.org

Les opinions exprimées ici sont celles des auteures uniquement et ne représentent pas nécessairement les opinions ou les positions de l’USCCB, des Services de conseil de Pennsylvanie ou du Service luthérien pour l’immigration et les réfugiés.

 

[1] Est considéré comme enfant non accompagné tout enfant de moins de 18 ans qui arrive à la frontière américaine sans statut d’immigration légal et sans parent ni tuteur légal pour s’en occuper et en assurer la garde physique.

[2] Aux États-Unis, les écoles publiques sont regroupées en districts scolaires, qui sont gouvernés par des conseils scolaires. Chaque district est une administration publique ad hoc indépendante, dont le fonctionnement est régi par les directives du gouvernement fédéral des États-Unis, de chaque gouvernement d’État des États-Unis et de sa commission scolaire locale.

[3] Bureau de réinstallation des réfugiés (2015) ORR Guide: Children Entering the United States Unaccompanied

https://www.acf.hhs.gov/orr/resource/children-entering-the-united-states-unaccompanied

[4] Ho S (2018) « US school districts weigh duty to youth migrant shelters » https://www.boston.com/news/education/2018/08/18/us-school-districts-weigh-duty-to-youth-migrant-shelters

[5] Ministère de l’Éducation des États-Unis (2018) Schools’ Civil Rights Obligations to English Learner Students and Limited English Proficient Parents www2.ed.gov/about/offices/list/ocr/ellresources

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