Le Pacte mondial sur les réfugiés comme le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières poursuivent tous deux une « approche associant l’ensemble de la société[1] ». Une telle approche offre d’importantes possibilités pour ancrer une participation et un leadership significatifs des réfugiés, des migrants ainsi que des membres des communautés d’accueil à l’infrastructure développée en vue de mettre en œuvre, suivre et évaluer les Pactes. Un aspect applicable tant aux contextes opérationnels que stratégiques au niveau des instances locales, nationales, régionales et mondiales.
Y parvenir nécessitera l’engagement de tous les acteurs afin d’établir des environnements propices à la fois sécurisés, inclusifs et durables. Cela signifiera le respect de tous les engagements en relation à l’âge, au genre et à la diversité ainsi que l’adoption de mesures qui soutiendront les organisations dirigées par les réfugiés et les migrants (y compris celles dirigées par des femmes, des jeunes et d’autres groupes susceptibles de rencontrer des obstacles à leur participation) lors de la planification et de la discussion des politiques et des propositions sans avoir à craindre la discrimination, les interférences politiques, la détention, la déportation ou la mise en péril des revendications en matière de protection. Encourager des conditions pour une plus grande autonomie personnelle – comme l’accès aux droits du travail et à des conditions décentes de travail, aux marchés du travail et à la justice – permettra encore d’amplifier la voix des réfugiés et des migrants ainsi que leur capacité d’action et de direction, surtout pour ceux se trouvant dans des situations de vulnérabilité.
La poursuite d’une stratégie associant l’ensemble de la société est en accord avec des demandes plus larges pour une amélioration de l’engagement entre les acteurs des Nations Unies et les autres acteurs. Renforcer la coopération et la coordination entre les chefs de file mandatés et les agences responsables à l’intérieur du système onusien et en dehors de celui-ci sera crucial à une mise en œuvre effective des Pactes et permettra de garantir la complémentarité de leurs processus respectifs[2]. Une approche associant l’ensemble de la société toute entière envisage également une « approche gouvernementale globale » ce qui inclut aussi bien les villes que les autorités municipales dans des rôles de première ligne.
Même si bien accueillie, la manière précise dont cette approche sera mise en œuvre nécessite encore des clarifications, comme le nécessitent également les opportunités et les défis qu’elle soulève. Il sera déterminant, par exemple, de garantir le maintien du caractère humanitaire et du leadership de la protection des réfugiés lorsque divers acteurs – y compris certains sans mandat humanitaire ou de protection – sont impliqués. Un engagement permanent des migrants, des réfugiés et des autres acteurs de la société civile dans les discussions sur la mise en œuvre de l’approche sera crucial.
Mise en œuvre, suivi et bilan
Le Pacte mondial sur les réfugiés : l’adoption décisive du Pacte mondial sur les réfugiés est un appel à améliorer la réponse de l’ensemble de la communauté mondiale face aux situations de réfugiés, et elle implique un partage plus équitable et plus prévisible des responsabilités parmi un éventail plus étendu d’acteurs. Même s’il a été développé pour répondre aux défis des situations à grande échelle et prolongées, de manière plus générale le Pacte sur les réfugiés reste applicables à l’ensemble des situations de réfugiés et il signale les points de contact entre différents types de déplacement ainsi que les facteurs dont il faut tenir compte en vue de garantir une bonne gestion des interventions ainsi qu’un niveau renforcé de protection. Le Pacte sur les réfugiés incorpore le Cadre d’action global pour les réfugiés (Comprehensive Refugee Response Framework ou CRRF en anglais), qui a été progressivement déployé dans toute une série de pays et de contextes sous-régionaux[3]. Ces déploiements ont généré des initiatives positives ainsi que la participation d’acteurs diversifiés, et peuvent servir plus généralement à informer l’application du Pacte. Ils incluent l’adoption de déclarations sous-régionales accompagnées des plans nationaux correspondants qui impliquent les pays d’origine, de transit et de destination et ont été soutenus par des financements et une assistance technique sur plusieurs années et par des initiatives au niveau des pays et de certains secteurs, telles l’adoption de législation nationale sur les réfugiés et l’incorporation d’enfants et d’enseignants réfugiés aux systèmes scolaires nationaux. Certains déploiements ont également signalé des domaines nécessitant un développement supplémentaire, par exemple en vue de garantir un engagement solide et cohérent des acteurs de la société civile. Depuis l’adoption en 2016 de la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants, des développements significatifs en termes de financement ont également été accomplis, tel l’établissement par la Banque mondiale par exemple d’un fonds de 2 milliards de $ US consacré à soutenir des pays à faible revenu qui accueillent de nombreux réfugiés pour leur permettre de réaliser des investissements à moyen et long terme en vue de gérer les impacts du déplacement sur les réfugiés et les communautés d’accueil. Pour être admissibles à ce fonds les pays doivent être dotés d’un cadre de protection des réfugiés adéquat assorti du plan d’action correspondant, et potentiellement également de réformes politiques.
Un Forum mondial sur les réfugiés se tiendra tous les quatre ans, avec des forums intérimaires de bilan à mi-parcours au niveau ministériel. Le premier Forum mondial sur les réfugiés (en décembre 2019) aura pour objet d’annoncer les engagements de soutien à tous les objectifs du Pacte, encourager les initiatives entre acteurs multiples et les initiatives jumelées, mettre en commun les pratiques positives en vue d’informer de futurs engagements, et donner des informations actualisées sur le développement de différents mécanismes comme ceux relatifs à la mesure de l’impact et aux indicateurs, le groupe de soutien sur la capacité d’asile et sur le projet de réseau universitaire du Pacte. Le premier Forum sur les réfugiés doit fonctionner comme « preuve conceptuelle » d’un partage renforcé des responsabilités et d’une approche de partenariat entre acteurs multiples centrée sur les réfugiés – deux éléments également essentiels d’une mise en œuvre réussie du Pacte. Et même s’il semble que le Forum sur les réfugiés sera basé à Genève, sa mise en œuvre devra être dirigée au niveau local et national et devra comporter une solide implication régionale. Le développement de plans d’action nationaux et la création d’environnements propices permettant l’éclosion d’initiatives engageant des acteurs multiples seront des aspects déterminants de ce processus.
Le Pacte mondial pour la migration : En sa qualité de premier instrument mondial destiné à fournir des directives et un cadre commun couvrant toutes les dimensions de la migration internationale, l’adoption du Pacte mondial pour la migration est une réalisation novatrice en matière de coopération internationale. Le Pacte réitère un engagement envers le droit international, il réaffirme que les droits humains des migrants doivent être respectés, indépendamment de leur statut et de l’endroit où ils se trouvent, et souligne l’importance d’aligner la mise en œuvre du Pacte sur le programme des Objectifs de développement durable (ODD).
La mise en œuvre du Pacte doit être appuyée, entre autres, par le Réseau sur la migration de l’ONU nouvellement créé qui compte plusieurs agences onusiennes au sein de son comité exécutif et dont l’OIM assure le secrétariat. Avec pour mandat « d’assurer le soutien effectif, opportun et coordonné à l’échelle de l’ensemble du système des États membres », le réseau rendra compte au Secrétaire général de l’ONU tous les deux ans. Son « mécanisme de renforcement des capacités » inclura une plaque tournante de connexion (pour faciliter les connexions entre pays, partenaires de mise en œuvre et financeurs), un fonds de démarrage et une plateforme de connaissances à travers laquelle différents partenaires pourront contribuer des ressources techniques, financières et humaines. Le Réseau semble avoir un potentiel significatif mais pour être efficace il devra surmonter une série de défis clés tels que réussir à garantir un niveau de financement adéquat, combattre la méfiance entre agences onusiennes, impliquer une participation effective d’autres partenaires (société civile et migrants y compris) tout en ayant pour obligation de dépasser le mandat et les résultats de son prédécesseur le Groupe mondial pour la migration. Ses réalisations dépendront de l’engagement politique et de l’efficacité de sa structure. Il sera également essentiel que l’OIM, le secrétariat du Réseau, réussisse à développer une approche fondée sur les droits effective et rigoureuse.
Les États dirigeront le suivi et l’évaluation du Pacte pour la migration à travers un Forum d’examen des migrations internationales (International Migration Review Forum – IMRF, en anglais). Des consultations auront lieu en 2019 sur ses méthodes et processus, et le forum se tiendra ensuite tous les quatre ans à partir de 2022. Une fréquence aussi limitée est décevante car elle risque d’entraver l’impulsion et d’affecter l’engagement des États et des autres acteurs ; plus encourageant toutefois, des examens régionaux intérimaires menés par l’ONU (entre autres) auront également lieu à partir de 2020[4]. Le degré de répercussion de l’engagement envers le Pacte pour les migrations au niveau national et régional constituera un test clé du succès, ou non, de ces mécanismes.
Le Pacte mondial pour les migrations a suscité une forte dynamique initiale qui a clairement le potentiel de changer la vie des migrants dans certains domaines comme la prise de conscience spécifique du fait que le changement climatique, les catastrophes et les dégradations environnementales peuvent entrainer le déplacement ou la suggestion de voies et de soutiens nouveaux en faveur des personnes affectées par un déplacement causé par le climat. Les États membres, les agences onusiennes et la société civile planifient déjà des initiatives conjointes dans ce domaine. D’autres domaines semblables concernent l’engagement de poursuivre une approche fondée sur les droits humains en matière de détention des migrants avec pour corollaire de chercher à mettre un terme à la pratique de la détention d’enfants dans le contexte de l’immigration internationale. Des efforts visant à appliquer cet engagement sont déjà en cours au Mexique, en Thaïlande et en Équateur grâce à une collaboration entre gouvernements et sociétés civiles[5]. Parmi ces efforts, il convient de signaler la signature en janvier 2019 d’un Protocole d’entente par le gouvernement royal thaïlandais s’engageant à stopper la détention d’enfants dans des centres d’immigration et à explorer des alternatives à la détention. Le Pacte traite également le cas de migrants en situations de vulnérabilité, prenant des engagements comme l’examen des politiques et des pratiques liées à ces situations de vulnérabilité, l’introduction de mesures spécifiques à l’égard des enfants vulnérables, le recours à une approche sensible au genre, la promotion de politiques et de partenariats clés ainsi que des mesures pour faciliter l’accès à la justice et à des évaluations individuelles.
Essentiellement, le Pacte sur les migrations incite les États à étoffer ou à créer des plans nationaux de mise en œuvre. Certains gouvernements en Amérique latine, comme celui du Costa Rica, prévoient de réviser la législation en vigueur à la lumière du Pacte, alors que la Corée du Sud élabore un nouveau manuel pour analyser les carences de ses lois et pratiques en relation au Pacte. Le Bangladesh s’emploie à une mise en œuvre complémentaire des deux Pactes et élabore un projet de stratégie nationale à cet effet. Au Salvador, le gouvernement a lié de manière formelle la mise en œuvre du Pacte sur les migrations à la mise en œuvre officielle des Objectifs de développement durable et s’efforce de poursuivre une approche associant l’ensemble de la société. Il est impératif que ces progrès pleins de promesses se propagent à travers les frontières nationales et continentales.
L’absence d’une complémentarité intégrale entre les deux Pactes, la question de la volonté politique et de l’étendue de l’engagement des États membres ainsi que le fonctionnement effectif d’une approche associant l’ensemble de la société figurent parmi les obstacles potentiels à la mise en œuvre de ces initiatives prometteuses.
Les Pactes dans la région Asie-Pacifique
De nombreux États et acteurs de la société civile dans la région Asie-Pacifique se sont engagés de manière cohérente dans les processus de préparation des deux Pactes et les États de la région Asie-Pacifique les ont pratiquement tous adoptés. La complémentarité des Pactes constitue une préoccupation particulière dans la région Asie-pacifique dans la mesure où cette région ne cesse de produire et d’accueillir de nombreux réfugiés (notamment dans le cadre de situations prolongées) et qu’elle est également la région au monde qui compte le nombre le plus élevé de migrants internationaux (principalement Sud–Sud). La migration mixte est courante, et les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants sans papier subissent souvent des conditions de précarité extrême et peuvent aussi rencontrer des difficultés significatives et communes à tous pour obtenir le respect de leurs droits. De nombreux États de la région Asie-Pacifique ne sont pas partie à la Convention sur les réfugiés, et il n’existe pas à l’échelle de la région de cadre global de protection des réfugiés. La région est également tout particulièrement touchée par les catastrophes dues au climat, à la dégradation environnementale et aux déplacements qui y sont associés.
Dans le cadre de ce contexte difficile, au cours des dernières années un nombre prometteur d’initiatives impliquant des acteurs multiples ont émergé au niveau local, national, sous-régional et régional. Parmi celles-ci, il convient de signaler le développement d’une infrastructure juridique et politique domestique de protection des réfugiés, des alternatives à la détention pour motif d’immigration dans les pays signataires ou non de la Convention sur les réfugiés ainsi qu’une collaboration intersectorielle soutenue et le développement d’un cadre sous-régional visant à combattre la traite des personnes, notamment à travers la création de plans nationaux intégrés associés à une coopération internationale. La collaboration de la société civile a également été considérablement renforcée avec l’émergence du Réseau pour les droits des réfugiés de la région Asie-Pacifique (Asia Pacific Refugee Rights Network – APRRN) qui avec plus de 350 membres, parmi lesquels des leaders réfugiés, des organisations communautaires, des ONG nationales, des organisations confessionnelles, des avocats et des chercheurs de 28 pays différents qui tous s’efforcent ensemble de faire progresser les droits des réfugiés et des autres personnes déplacées.
S’ils sont mis en œuvre de manière effective, les Pactes peuvent apporter des avantages substantiels et durables aux réfugiés, aux migrants, à ceux qui les accueillent et à la communauté mondiale dans son ensemble, notamment en renforçant les instances de direction et l’élan déjà existant à travers la mise à disposition de ressources, l’entrée en jeu de nouveaux acteurs et une amélioration du partage des responsabilités. La société civile, réfugiés, migrants et communautés d’accueil y compris, apportera une expertise et une expérience vitales à ce processus et jouera un rôle déterminant dans la région Asie-Pacifique, comme partout ailleurs.
Tamara Domicelj tdomicelj@actforpeace.org.au
Chef de file régional pour la protection et la défense des réfugiés, Act for Peace www.actforpeace.org.au et Présidente, Groupe de travail régional pour la protection et point focal, Pacte mondial sur les réfugiés, Réseau Asie-Pacifique pour les droits des réfugiés (Asia-Pacific Refugee Rights Network – APRRN)
Carolina Gottardo carolina.gottardo@jrs.org.au
Directrice, Jesuit Refugee Service – Australie www.jrs.org.au et
Présidente, Groupe de travail femmes, genre et diversité, Membre du conseil et point focal, Pacte mondial pour les migrations
https://aprrn.info
[1] Le Pacte sur les réfugiés fait référence à « une approche impliquant des parties prenantes et des partenariats multiples » ; nous utilisons le terme du Pacte pour les migrations « approche associant l’ensemble de la société » parce qu’elle est intrinsèquement et entièrement inclusive. Le concept sous-jacent provient de la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants.
[2] Voir par exemple, HCR (2019) Joint Letter from IOM and UNHCR on the Collaboration Between the two Organizations, 25 janvier 2019 https://www.refworld.org/docid/5c519a614.html
[3] Le CRRF a été annexé à la Déclaration de New York sur les réfugiés et les migrants, adoptée en 2016. Des mises à jour opérationnelles peuvent être consultées : http://www.globalcrrf.org.
[4] Ils seront menés par la Commission économique régionale de l’ONU ou par les Processus consultatifs régionaux et l’IMRF dans le cadre d’un processus en alternance qui aura lieu tous les deux ans à partir de 2020.
[5] La Coalition sur la détention internationale (International Detention Coalition) dirige principalement ces efforts, comme par exemple au Mexique, où elle travaille avec le gouvernement à l’élaboration d’une feuille de route pour mettre un terme à la détention d’enfants pour motif d’immigration. Des travaux inter-régionaux sont également en cours et une plate-forme d’enseignement par les pairs a été mise en place. https://idcoalition.org