De grands accomplissements ont été réalisés dans le monde entier en vue de garantir les droits à l’éducation, pour les filles comme pour les garçons. Toutefois, quand une crise ou un désastre frappe ou quand les populations doivent fuir, ces accomplissements sont menacés. Il est difficile d’obtenir des données statistiques sur l’accès des personnes déplacées à l’éducation, et les informations statistiques ventilées par sexe sont encore plus rares. Dans un pays comme le Soudan du Sud, par exemple, qui a subi plusieurs années de guerre, de conflits violents et de déplacement, on estime que 75 % des filles ne sont pas inscrites à l’école primaire[1]. Les situations d’urgence peuvent modifier les dynamiques de genre existantes et toucher différemment les garçons et les filles mais, la plupart du temps, les conflits renforcent les obstacles à l’éducation qui, à leur tour, tendent à renforcer les disparités entre les sexes. Les données tirées des programmes d’éducation en situation d’urgence d’Oxfam IBIS, basées sur un cadre d’analyse et d’atténuation des obstacles à l’égalité entre les sexes face à l’éducation,[2] identifient plusieurs de ces obstacles :
Stéréotypes de genre et dévalorisation de l’éducation des filles : Traditionnellement, les hommes sont censés subvenir aux besoins de la famille tandis que les femmes doivent devenir des mères et des épouses. Par conséquent, l’éducation de ces dernières est jugée moins importante. En dépit des progrès réalisés pour promouvoir l’égalité entre les sexes face à l’éducation, il arrive que les gains réalisés dans un contexte stable soient effacés en temps de crise ou de déplacement : l’intervention se concentre sur d’autres domaines, si bien qu’il est difficile d’inscrire l’éducation parmi les priorités. Et lorsqu’une éducation est véritablement fournie pendant une situation d’urgence, il est souvent difficile de trouver les ressources permettant de poursuivre les efforts et les initiatives spécifiquement axés sur la promotion de l’égalité des sexes initialement mis en œuvre par les États et les organisations non-gouvernementales.
Stéréotypes de genre et facteurs économiques : Les familles pauvres tendent de généralement à donner priorité à l’éducation des garçons et, dans les situations de crise, elles sont encore moins susceptibles de favoriser l’éducation des filles. Lorsque des familles sont déplacées, tant les garçons que les filles peuvent se retrouver forcés d’abandonner l’école ou de s’en absenter afin de trouver un emploi ou de s’adonner à la prostitution en vue de subvenir à leurs propres besoins ou à ceux de leur famille, ou les parents peuvent arranger le mariage de leur fille à un âge encore précoce. Une étude récemment conduite à Nyal, au Soudan du Sud, à proximité de certains combats les plus brutaux des cinq années de conflit, a révélé que cette localité présentait aujourd’hui l’un des taux de mariage précoce les plus élevés du monde : on estime en effet que 71 % des filles y ont été mariés avant la 18 ans, soit un taux nettement supérieur à la moyenne nationale pré-conflit, qui s’élevait à 45 %[3].
Violence et sécurité : Aussi bien les garçons que les filles, mais plus particulièrement ces dernières, sont exposés au risque de harcèlement et de violence sexuelle à l’école et sur le chemin de l’école, et d’autant plus dans les situations de crise. Ce risque se trouve encore accru dans les situations de conflits, aussi bien pour les enfants scolarisés que pour le nombre important d’enfants qui se retrouvent sans accès à l’éducation. Par exemple, à Nyal, la plupart des membres de la communauté interrogés estimaient que les risques de violence sexuelle étaient particulièrement élevés pour les femmes et les filles. Ils avaient également l’impression que ces risques s’étaient accentués en conséquence de la crise, au point que les femmes et les filles ne pouvaient plus se déplacer seules ou se rendre à l’école sans risque.
Promouvoir l’égalité entre les sexes
Bien qu’en situation d’urgence, les approches visant à garantir l’égalité des sexes dans l’éducation soient les mêmes qu’en période de stabilité, des actions de plaidoyer sont nécessaires pour s’assurer que tous les acteurs impliqués dans les situations d’urgence élaborent des programmes éducatifs sensibles au genre et que les autorités et les bailleurs apportent les financements nécessaires. Les interventions doivent se baser sur une analyse de genre initiale identifiant, d’une part, comment la crise modifie les conditions pour les garçons et les filles et les jeunes hommes et les jeunes femmes et, d’autre part, les risques particuliers auxquels ils sont exposés ainsi que des entraves à leur éducation et leur sécurité[4]. Il est primordial que tous les acteurs, y compris les autorités locales et nationales, les organisations internationales et non-gouvernementales, considèrent les interventions suivantes :
Faire évoluer les stéréotypes de genre : Les interventions éducatives dans les communautés touchées par une crise ou par le déplacement devraient, entre autres, sensibiliser les parents à l’importance de l’éducation en période de crise tant pour les filles que pour les garçons, et leur montrer comment l’éducation peut protéger leurs enfants, promouvoir l’égalité entre les sexes et être également un investissement dans un avenir meilleur et plus égalitaire. Pour garantir un accès égalitaire, il conviendrait de former les enseignants à la promotion de l’égalité entre les genres et de la sécurité en classe, et inciter les enseignantes à agir en tant que modèles et défenseuses de l’éducation des filles. Par exemple, dans un programme d’enseignement accéléré pour les Sud-Soudanais de 12 à 18 ans qui n’avaient jusqu’alors pas été en mesure d’accéder à l’éducation à cause de la crise, les enseignantes se sont montrées fermement en faveur de l’inscription des filles et d’activités qui aidaient les filles à poursuivre leur éducation, en mettant à leur disposition des trousses d’hygiène menstruelle et des latrines séparées[5].
Surmonter les obstacles économiques: Même dans les situations où les moyens d’existence ou le revenu des familles se trouve réduit en raison de la situation d’urgence, plusieurs types de soutien peuvent aider les familles touchées et déplacées à envoyer tous leurs enfants à l’école. Il pourra s’agir par exemple d’offrir des repas scolaires gratuits (sans oublier que l’insécurité alimentaire touche particulièrement les femmes et les filles), de fournir des ressources pédagogiques gratuites et de donner accès à des programmes de microcrédit. Ce type d’assistance est particulièrement important pour les jeunes et les adolescents, qui peuvent se retrouver laissés à leur propre sort dans une situation de crise et pourraient avoir besoin de soutien économique ainsi que d’une formation professionnelle et d’une assistance pour trouver des moyens de subsistance dignes. Les adolescentes interrogées dans le cadre de l’étude à Nyal ont cité la pauvreté comme un obstacle particulier à l’enseignement des filles et suggéré que des mesures incitatives pourraient les aider à poursuivre leur scolarité. Enfin, les évaluations du programme pour l’éducation des filles au Soudan du Sud ont révélé que les transferts monétaires versés directement aux filles pour faciliter leur accès à l’éducation et atténuer la pauvreté à domicile et dans la communauté les ont aidés à poursuivre leur scolarité plus longtemps et à améliorer leur taux de présence à l’école.
Éliminer la violence et garantir la sécurité : Il faut mettre en place des mesures spéciales pour lutter contre la violence et le harcèlement basés sur le genre, à l’école comme à l’extérieur, y compris en veillant à ce que le chemin de l’école soit sûr, en mettant à disposition des garçons et des filles des toilettes séparées, et en offrant un soutien psychosocial aux enfants victimes de violence basée sur le genre ou souffrant de stress en raison de la crise. La mise en place de programmes sensibles aux conflits peut également contribuer à la réduction des violences basées sur le genre. Tout cela n’est toutefois pas possible sans l’implication de la direction de l’école, des associations de parents et des enseignants, et sans sensibiliser les parents et les communautés, sans établir de système de protection et de mécanismes de signalement des infractions et sans définir de code de conduite pour les enseignants et le personnel de l’école. Dans le programme d’enseignement accéléré au Soudan du Sud, par exemple, des membres de l’association parents-enseignants remplissaient le rôle de gardes pendant les cours pour empêcher que les jeunes ne prennent part à des attaques de représailles ou n’en soient les victimes.
Dans les situations de crise, l’égalité entre les sexes est menacée. Toutefois, la fourniture d’une éducation sensible au genre dans les situations d’urgence est un moyen efficace de protéger tant les garçons que les filles de certains risques importants, et de leur donner une chance de reconstruire leur avenir.
Eva Iversen evaiversen.consult@gmail.com
Consultante
Else Oestergaard eos@oxfamibis.dk
Conseillère principale en éducation, Oxfam IBIS https://oxfamibis.org/educationglobal/
[1] UNESCO (2018) Global Initiative on Out of School Children: South Sudan Country Study http://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/global-initiative-out-of-school-children-south-sudan-country-study.pdf
[2] Oxfam IBIS (2017) Education and Gender Equality, document de réflexion https://oxfamibis.dk/sites/default/files/media/pdf_global/ny_education_gender_equality_oxfam_ibis_concept_paper_eng.pdf
[3] Oxfam (2019) Born to Be Married. Addressing child, early and forced marriage in Nyal, South Sudan, Rapport de recherche d’Oxfam https://bit.ly/Oxfam-Born-to-be-Married-2019
[4] Voir INEE (2010) Égalité des genres dans l’éducation et par l’éducation : Guide de poche de l’INEE sur le genre, qui contredit l’argument selon lequel, dans une situation d’urgence, l’éducation sensible au genre est un luxe qui doit être considéré à un stade ultérieur.
https://toolkit.ineesite.org/resources/ineecms/uploads/1009/INEE_Pocket_Guide_to_Gender_FR.pdf
[5] Nicholson S (2018) Evaluation of Oxfam’s Accelerated Education Programme in Greater Ganyliel, South Sudan 2014–2018 Against Global Best Practice https://oxfamibis.dk/sites/default/files/media/pdf_global/evaluation_report_oxfam_alp_ganyliel_south_sudan_2018.pdf