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Renforcer les systèmes éducatifs pour des interventions éducatives à long terme

Entre 2016 et 2017, Street Child et son partenaire congolais Ebenezer Ministry International (EMI) ont appuyé le secteur de l’enseignement secondaire dans le camp de réfugié de Lusenda, dans la région du Sud-Kivu de la République démocratique du Congo (RDC), qui abrite environ 32 000 réfugiés burundais[1]. Le système scolaire, auquel les enfants réfugiés ont été intégrés, souffre de négligence et de sous-investissement depuis de nombreuses années[2], si bien que les écoles étaient mal préparées à recevoir 7 000 élèves réfugiés (dont plus de 1 200 de niveau secondaire) qui ont commencé à arriver en juin 2015. Pour répondre à la demande, plusieurs nouvelles écoles secondaires ont été rapidement établies dans des bâtiments loués ou partagés et des personnels enseignants principalement non qualifiés ont été recrutés.

Street Child et EMI ont fourni des formations et des ressources pour répondre aux besoins éducatifs immédiats et urgents, y compris la distribution d’uniformes, de ressources pédagogiques, de fournitures et de ressources récréatives, l’amélioration des infrastructures et les formations destinées aux enseignants sur des sujets adaptés au contexte, par exemple la pédagogie sensible au genre, la psychologie de l’enfant et la planification de contingence. En outre, l’appui apporté intégrait des éléments empruntés à un modèle de renforcement durable des systèmes éducatifs dirigé par la communauté. Développé par les partenaires pendant plus de dix ans pour des non-réfugiés dans le Sud-Kivu, ce modèle durable vise à améliorer l’autonomie par la construction de structures et le renforcement des capacités et des compétences afin de donner aux enseignants, aux directeurs d’école et aux parents d’élèves les moyens d’apporter et de s’approprier des améliorations de la qualité dans chaque école, sans l’assistance des autorités.  

Éléments du renforcement des capacités à long terme

Le premier élément adopté de cette approche à long terme consiste à donner priorité au renforcement des compétences pédagogiques de base, y compris la gestion des classes, l’évaluation des élèves, l’apprentissage centré sur les enfants et la discipline positive, dans l’objectif de contrebalancer le manque de qualifications et d’expériences du personnel enseignant existant et nouveau et d’améliorer durablement la qualité globale de l’enseignement. Cet élément englobe des activités de formation en groupe, suivies par une année de mentorat au sein de l’école, assurée par des enseignants dédiés de l’EMI. Dans les contextes de développement sur le long terme, au Sud-Kivu mais aussi ailleurs, ce type de soutien continu en classe a donné d’excellents résultats en matière d’amélioration des connaissances et des compétences des enseignants et d’élimination des mauvaises pratiques persistantes, telles que l’absence de planification des leçons, l’adoption de méthodes d’enseignement non participatives et le recours régulier aux châtiments corporels.

Le deuxième élément consiste à accorder une attention soutenue aux capacités de gestion de l’école dans les domaines de la finance, de l’administration et de la pédagogie en travaillant avec les directeurs d’écoles et les comités de parents d’élèves, en vue d’établir des systèmes de gestion scolaire solides et durables. Cette approche allie également des séances de formation en groupe et un mentorat à l’école visant à consolider les acquis et les bonnes pratiques. À Lusenda, cette approche a eu pour principal bénéfice d’aboutir à l’établissement de comités de parents d’élèves (qui n’existaient dans aucune des écoles auparavant), qui incluent tant des représentants de sexe féminin que des membres de la communauté de réfugiés.

Un troisième élément concerne l’introduction de projets générateurs de revenus au sein de l’école, dirigés conjointement par les enseignants, les élèves et les parents. Les écoles conservent le revenu généré et Street Child recommande qu’elles dépensent 20 % de ces bénéfices pour acquérir des ressources (telles que des supports pédagogiques ou des bourses scolaires) conformément à leurs priorités et qu’elles réinvestissent le reste dans le développement et l’expansion du projet, en particulier s’il n’en est qu’à ses débuts. Dans les contextes de développement à long terme, cette approche s’est révélée être un moyen efficace de créer des ressources supplémentaires pour l’école, d’inciter davantage les parents à participer aux activités scolaires et d’élargir les compétences entrepreneuriales des élèves ainsi que leurs connaissances et leurs expériences commerciales.

Un an après la fin de cette intervention, les résultats initiaux de ces trois éléments sont prometteurs. L’observation des enseignants, de même que leurs autoévaluations, révèlent une amélioration notable de leurs compétences essentielles et de leurs pratiques en salle de classe, ainsi qu’une plus grande confiance en eux. La gestion des écoles montre des améliorations continues, tandis que toutes les écoles utilisent dorénavant des registres, des livres de comptes, des calendriers d’enseignement et des dossiers scolaires. Des comités de parents d’élèves ont été établis dans toutes les écoles, et la plupart d’entre eux se rencontrent régulièrement et contribuent véritablement aux décisions de la direction de l’école. Deux tiers des entreprises scolaires ont engrangé des bénéfices, dont une partie a été investie dans des améliorations infrastructurelles et des ressources pédagogiques. Enfin, toutes les écoles signalent des changements positifs en termes d’intégration et de coopération des réfugiés, tant parmi les étudiants qu’au niveau des comités de parents d’élèves.

Renforcement du système éducatif par l’enseignement accéléré

Depuis janvier 2018, Street Child met en œuvre un programme de l’enseignement accéléré informel financé par l’Unicef pour 5 700 enfants dans le nord-est du Nigéria, dont la plupart sont déplacés de l’intérieur. Le déplacement et l’insécurité engendrés par les conflits dans les États du nord-est ont eu un impact dévastateur sur l’enseignement primaire[3] et, comme en RDC, avant le déclenchement des violences, le système scolaire avait déjà souffert de plusieurs décennies d’abandon et de sous-investissement si bien qu’il était extrêmement mal préparé à affronter le défi d’un déplacement d’une telle ampleur. Près de 3 millions d’enfants déplacés de l’intérieur et issus des communautés d’accueil ne sont pas scolarisés, tandis que 57 % des écoles de l’État de Borno sont fermées et que 42 % des classes accueillent plus de 80 enfants.

Alors qu’il donne priorité à la satisfaction des besoins éducatifs immédiats par la fourniture d’une assistance éducative en situation d’urgence (y compris la distribution de matériel d’enseignement et d’apprentissage, la remise en état des écoles et la une formation aux enseignants), ce programme de l’enseignement accéléré a également été conçu pour renforcer les systèmes éducatifs sur le long terme.

Le premier élément contribuant à cet objectif est la conception innovante des 60 centres d’apprentissage temporaires qui ont été créés dans les états de Borno, Yobe et Adamawa. Ils sont dotés d’un sol en béton robuste, de murs bas pouvant être élevés au fur et à mesure que les ressources deviennent disponibles et de solides soutènements, dans l’objectif de pouvoir les convertir à l’avenir en structures permanentes de manière facile et à faible coût. Un grand nombre de ces centres ont été construits sur les terrains des écoles primaires existantes, si bien qu’ils pourront devenir des salles de classe permanentes. Dans les endroits plus éloignés, des centres d’apprentissage temporaires ont été établis dans des communautés où il n’existait aucune autre infrastructure scolaire, si bien que leur conversion en centre d’apprentissage permanent pourrait s’avérer nécessaire à moyen terme, en l’absence d’un programme exhaustif de construction d’écoles à l’échelle nationale. Des comités éducatifs communautaires (CEC) ont été établis pour gérer ces centres et Street Child mène actuellement des activités de plaidoyer concertées auprès des autorités éducatives nigérianes dans l’objectif de les standardiser. Cela impliquerait d’établir un mécanisme pour les transformer en structures permanentes, de reconnaître formellement les CEC et d’autoriser les centres d’apprentissage temporaire à bénéficier de la même assistance des pouvoirs publics que les établissements équivalents du secteur formel.

Le deuxième élément donne priorité à la création de nouvelles capacités d’enseignement au sein des communautés les plus sous-desservies. La difficulté de recruter des enseignants qualifiés dans les écoles rurales est l’un des grands défis du système éducatif dans le nord du Nigéria. Street Child a recruté 120 enseignants bénévoles communautaires locaux en collaboration avec les CEC. Cette approche permet aux enseignants, qui détiennent déjà un minimum de qualification et sont généralement intégrés dans la communauté, d’acquérir des compétences pédagogiques et une expérience de l’enseignement en ayant l’occasion d’enseigner en langue locale dans leur communauté reculée. Ces enseignants reçoivent des visites de mentorat régulières de la part du personnel enseignant public afin de les motiver et de les appuyer, tandis que Street Child travaille étroitement avec les autorités éducatives nigérianes pour élaborer un mécanisme par lequel ces enseignants pourront déposer leur candidature auprès du Conseil d’enregistrement des enseignants du Nigéria afin d’obtenir leur accréditation en tant qu’enseignants du primaire. Cette accréditation leur permettrait d’obtenir un poste permanent dans le secteur formel et, par là-même, d’ouvrir la voie à une multiplication du nombre d’enseignants qualifiés dans les localités les plus difficiles d’accès.

L’approche de Street Child dans le nord-est du Nigéria est centrée sur une collaboration étroite avec les autorités publiques des États et fédérales, et sur des activités de plaidoyer continues auprès de ces dernières. Dans le cadre d’un consortium d’organisations non-gouvernementales, Street Child aide les autorités à élaborer un programme d’enseignement national accrédité pour l’éducation en situation d’urgence, qui intègre des compétences fonctionnelles essentielles en même temps que la lecture et l’écriture et qui définit des parcours précis pour réintégrer les enfants qui ont reçu l’éducation en situation d’urgence dans le système éducatif général.

Leçons tirées des programmes d’éducation en situation d’urgence

Bien que les contraintes et les difficultés ne soient pas les mêmes dans l’est de la RDC dans le nord-est du Nigéria, il est possible de tirer des leçons des expériences des programmes d’éducation en situation d’urgence dans ces deux emplacements.

Premièrement, l’exemple de la RDC démontre qu’une intervention d’éducation en situation d’urgence peut servir à la fois à approfondir et à élargir les compétences et les aptitudes essentielles des enseignants, au-delà du minimum requis pour répondre aux besoins pédagogiques immédiats, et qu’une telle approche peut être intégrée avec facilité et peu de moyens, même dans une intervention à court terme. Dans les zones où les capacités et les compétences des enseignants constituent une faiblesse fondamentale du système éducatif, ces études de cas suggèrent que même les interventions précoces donnent l’occasion de mieux reconstruire en s’attaquant à l’éventail complet des compétences pédagogiques et scolaires fondamentales des enseignants.

Deuxièmement, les exemples de la RDC et du Nigéria montrent tous les deux qu’il n’est jamais trop tôt, dans le cadre d’une urgence, de remettre en état la gestion inefficace des écoles et de revigorer la participation inefficace de la communauté en instituant des modèles stimulants, dirigés par la communauté et axés sur l’autonomisation. Ce genre de transformation peut apporter des avantages durables et soutenables à une école. Les structures telles que les associations de parents d’élèves ou les comités de gestion scolaire font partie intégrante de ces modèles et doivent être renforcés, non seulement grâce à une formation et un mentorat en continu mais aussi par l’accès à des financements, en particulier au moyen de projets générateurs de revenus durables. Une collaboration efficace entre parents et enseignants apporte l’avantage supplémentaire de renforcer la coopération et de briser les barrières entre les communautés déplacées et d’accueil, tout en comblant une lacune essentielle en l’absence d’un soutien solide de l’État et de l’application de normes de qualité d’éducation publique.

Troisièmement, le cas du Nigéria fournit un solide exemple de la capacité d’une intervention d’urgence à résoudre les difficultés chroniques liées à la pénurie d’enseignants dans des zones reculées et difficiles d’accès. Si, comme nous l’anticipons, les autorités nigérianes instituent un mécanisme permettant d’accélérer la conversion des enseignants bénévoles communautaires dans les écoles formelles, le système éducatif en tirera alors un avantage permanent, et plus particulièrement les écoles du nord-est du Nigéria, tandis que cela marquera une grande victoire pour tous les acteurs qui ont prôné cette solution.

Enfin, le modèle d’infrastructure piloté au Nigéria, qui évolue du temporaire ou permanent, pourrait offrir une approche convaincante pour répondre au manque d’infrastructures à long terme (dans un tel contexte et dans d’autres), quoiqu’il reste encore beaucoup à faire pour que les autorités approuvent un tel modèle et pour instituer des mécanismes favorisant la transition, qu’ils soient dirigés par la communauté ou financés publiquement. La collaboration avec les autorités publiques est plus fiable dans certaines situations que dans d’autres mais dans toutes les situations, les interventions d’éducation en situation d’urgence devraient donner priorité au rôle central des communautés et à la nécessité de travailler en coordination étroite avec les autres acteurs humanitaires.

La nature de courte durée de la plupart des financements de l’éducation en situation d’urgence reste un grand défi à surmonter, c’est pourquoi il faut continuer les efforts de plaidoyer auprès des bailleurs pour évoluer vers des financements flexibles et pluriannuels. L’un des objectifs fondamentaux de ce type d’intervention est de résoudre, du moins en partie, les problèmes de durabilité découlant de ces financements à court terme. Pour ce faire, ces interventions favorisent le volontariat, renforcent les compétences des capacités au cœur des écoles et créent des solutions génératrices de revenus, entre autres choses. Au Nigéria, où il semble raisonnable d’espérer que les autorités publiques prennent le relais de ces interventions, nous nous sommes concentrés sur des activités telles que le recrutement des enseignants et la création de salles de classe de manière à ce que les autorités locales puissent les poursuivre à l’avenir. En RDC, où l’administration publique demeure fragile à court et moyen terme, nous nous concentrons avant tout sur le renforcement des communautés à l’intérieur et autour des écoles afin d’accroître leurs ressources et d’améliorer les normes de gestion et d’enseignement de manière durable.

 

Thea Lacey thea@street-child.co.uk
Responsable de programme pour les Grands Lacs, Street Child www.street-child.co.uk/democratic-republic-of-congo

Marcello Viola marcello@street-child.co.uk
Directeur de programme, Street Child Nigeria www.street-child.co.uk/nigeria

 

[1] En 2007, l’organisation Children in Crisis a établi un partenariat avec EMI en RDC et mené à bien les activités pour la période 2016–17 analysées dans le présent article. Children in Crisis a fusionné avec Street Child début 2018.   

[2] Children in Crisis (2015) Étude d’évaluation de référence

[3] ACAPS (2017) Joint Education Needs Assessment: Northeast Nigeria bit.ly/ACAPS-Education-Needs-NENigeria-2017

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