Les personnes déracinées et déplacées de chez elles sont encore plus vulnérables si elles ne savent ni lire ni écrire. L’éducation des adultes et le programme d’alphabétisation fonctionnelle des adultes (Functional Adult Literacy – FAL, ci-après « programme FAL ») – c’est-à-dire la capacité d’appliquer les compétences de lecture, d’écriture et de calcul aux exigences de la vie quotidienne – sont des services essentiels pour que les réfugiés puissent exercer leurs droits à l’éducation, au développement et à une participation significative dans la société. Le Cadre d’action global pour les réfugiés (Comprehensive Refugee Response Framework – CRRF) et les Pactes mondiaux sur les réfugiés et pour la migration soulignent la nécessité de trouver des moyens d’aider les personnes déplacées à accéder aux emplois et à des opportunités de revenus, pour lesquelles le programme FAL est essentiel. Cependant, même dans les contextes de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays lorsqu’il est promu et qu’il figure dans les plans de réponse nationale, le programme FAL ne reçoit souvent que peu ou pas de financement.
L’Ouganda et l’Éthiopie accueillent les plus grandes populations de réfugiés d’Afrique. La majorité de ces réfugiés viennent du Soudan du Sud, un pays dont le taux d’alphabétisation est d’à peine 27 %. Ces deux pays sont des pays pilotes du CRRF et tous deux ont mis en place des politiques relatives aux réfugiés (en plus des engagements du CRRF) qui promeuvent l’éducation des adultes : dans le cas de l’Ouganda, par le biais de sa Stratégie de protection et de solutions durables 2016–2020 ; et dans le cas de l’Éthiopie, par le biais de sa Stratégie pour l’éducation des réfugiés 2015–2018. Cependant, la réalité en termes de mise en œuvre et d’appui aux programmes FAL pour les réfugiés est restée décevante.
En Ouganda, le Conseil finlandais pour les réfugiés (CFR) soutient le programme FAL et anime des groupes d’apprentissage de l’anglais dans les lieux d’installation et dans les camps de réfugiés depuis 1997, mais demeure la seule organisation non gouvernementale (ONG) à le faire, à part l’ONU Femmes qui a récemment lancé un programme d’alphabétisation pour les femmes sud-soudanaises dans quatre districts de la région nord. Dans les zones d’installation où le CFR ne travaille pas, il n’y a qu’une ou deux ONG qui organisent quelques groupes d’apprentissage (pour compléter leurs activités habituelles). Le HCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) en Ouganda n’a pas consenti d’attribution de financement au programme FAL dans son budget pour l’éducation et, au cours des cinq dernières années, le Gouvernement ougandais n’a alloué aucun financement au programme FAL.
En Éthiopie, le CFR a récemment mené une évaluation des besoins dans la région de Gambella, où sont hébergés des réfugiés du Soudan du Sud ; les résultats indiquent qu’en septembre 2018, seuls deux petits projets FAL, touchant à peine quelques centaines d’apprenants, étaient en cours de mise en œuvre, alors qu’un objectif ambitieux d’inscrire 25 000 adultes figurait dans la Stratégie d’éducation des réfugiés de l’Éthiopie.
Mise en place du programme FAL en Ouganda
La demande pour le programme FAL parmi les réfugiés sud-soudanais est très forte, y compris en anglais qui est non seulement la langue de communication avec les responsables gouvernementaux, les prestataires de services sociaux et les Ougandais mais aussi la langue qui permet d’étudier et d’interagir à l’intérieur du marché. Pour la période 2015–2017, quelque 9 000 apprenants en Ouganda, issus à la fois des communautés de réfugiés et des communautés d’accueil, ont suivi régulièrement des cours du programme FAL du CFR dans leur langue maternelle (68 % des apprenants) et en anglais fonctionnel (32 %).
Le cycle d’apprentissage comprend deux niveaux : élémentaire (durée de 11 mois) et intermédiaire (cinq mois). Pas plus de 30 apprenants sont inscrits par groupe d’apprentissage qui est organisé par un instructeur issu de la communauté. La fonctionnalité est privilégiée tout au long du cycle d’apprentissage, ce qui inclut les compétences essentielles dont les réfugiés ont besoin pour être actifs dans leurs communautés et pour fonctionner avec plus de confiance, d’efficacité et d’autonomie. Les sujets traités incluent la santé et la nutrition maternelle et infantile, l’hygiène et l’assainissement, les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, les connaissances financières de base pour les transactions et l’épargne, ainsi que l’égalité des sexes, les droits et les obligations. Les supports de lecture ont été reproduits dans les langues les plus largement parlées dans les sites d’installation et des bibliothèques mobiles ont été créées pour faire circuler des livres permettant aux apprenants de mettre en pratique et de maintenir les compétences acquises.
À la fin de chaque cours, des tests écrits évaluent les compétences des apprenants en lecture, écriture et calcul et leur capacité à adapter les acquis dans la vie quotidienne, tandis qu’un outil de suivi qualitatif appelé Pathways of Empowerment (Chemins vers l’autonomie) saisi des informations sur le sentiment d’autonomisation et d’autosuffisance des apprenants. Par exemple, certains apprenants sont devenus moins dépendants des autres, comme en témoigne leur nouvelle capacité d’utiliser les téléphones mobiles de manière indépendante pour passer des appels, envoyer des SMS et effectuer des calculs simples. D’autres ont indiqué qu’ils pouvaient trouver leurs noms sur les listes de distribution et vérifier s’ils avaient bien reçu les produits alimentaires et non alimentaires auxquels ils avaient droit. Les parents, en particulier les mères, ont été en mesure d’aider davantage ou au moins de motiver leurs enfants à faire leurs devoirs et elles ont aussi réussi à vérifier leurs progrès à l’école et à suivre les instructions données par écrit sur des prescriptions médicales.
En 2017, le CFR a entrepris de piloter des groupes d’apprentissage dans trois sites d’installation – Kyangwali, Kyaka et Nakivale – avec des programmes plus finement ciblés. Les cours durent six mois et proposent des programmes fonctionnels adaptés aux intérêts fondamentaux de chaque groupe d’apprentissage, tels l’élevage de volailles ou la création d’un groupe d’épargne et de crédit. Les sujets d’alphabétisation découlent naturellement des activités de subsistance dans lesquelles les apprenants sont engagés.
Les bonnes pratiques et les enjeux persistants
La présence forte du programme au sein des communautés d’apprenants s’est révélée utile ; les bureaux et le personnel sont situés dans les lieux d’installation ou à leurs proximités et le programme fait usage de la structure de direction locale pour impliquer les communautés (réfugiés et hôtes) et pour rechercher et identifier parmi les membres de la communauté de potentiels instructeurs/animateurs (pour lesquels une formation de qualité optimale des instructeurs s’est avérée un aspect vital). Le programme s’efforce de répondre à des demandes et des besoins particuliers et pertinents dans le contexte des réfugiés ; les sujets et les thèmes sont souvent suggérés directement par les apprenants, et il est évident que la combinaison de cours d’alphabétisation/de langue avec une formation qui vise à accroitre les compétences en matière de moyens de subsistance motive davantage les apprenants.
Cependant, il reste des défis à relever. Malgré l’utilisation de l’outil de suivi Pathways of Empowerment, l’impact du programme n’est toujours pas correctement enregistré ni documenté ; cela nécessitera de la part de l’équipe de suivi des efforts supplémentaires ainsi que l’amélioration de leurs compétences et des outils disponibles d’évaluation et d’apprentissage. Le programme n’est pas encore totalement inclusif ; grâce aux actions spécifiques entreprises pour les inclure (par exemple, en encourageant les jeunes mères à assister aux cours avec leur bébé), les femmes représentent maintenant la majorité des apprenants, mais quel que soit leur genre, le taux de participation des personnes handicapées reste faible. Des évaluations des besoins spécifiques devraient être effectuées, éventuellement par les personnes handicapées elles-mêmes, dans le but de créer des environnements d’apprentissage conviviaux et accessibles aux apprenants ayant des besoins éducatifs spéciaux.
En outre, recruter des réfugiés avec le niveau d’éducation requis pour devenir instructeurs peut être difficile. Et des instructeurs qualifiés démissionnent fréquemment pour saisir de meilleures opportunités d’emploi ailleurs, alors que la mobilité entre réfugiés et un roulement inévitable signifient que le programme doit continuer à trouver et à encadrer de nouveaux animateurs. De nombreuses langues sont parlées dans les sites d’installation mais l’organisation de cours du programme FAL dans toutes les langues n’est pas réalisable et il existe toujours le risque que le choix d’une des langues ethniques principales par rapport aux autres suscite des tensions entre les groupes ; cependant, le fait d’avoir reproduit des supports de lecture dans autant de langues que possible, même si les cours ne peuvent pas être dispensés dans ces langues, s’est avéré très utile.
L’application effective du CRRF dans des pays pilotes tels que l’Ouganda ne peut avoir lieu si l’accès des réfugiés à une gamme plus étendue de services d’éducation de meilleure qualité continue d’être négligé. L’expérience du CFR en matière de fourniture et de promotion de services d’éducation pour adultes et d’alphabétisation fonctionnelle au cours des 20 dernières années, par le biais d’une approche axée sur le développement, met en évidence le potentiel de ce type d’interventions. Avec d’autres ajustements, davantage de coordination avec les organisations d’éducation des adultes et des synergies avec des programmes de moyens de subsistance, ce modèle pourrait être élargi pour avoir un impact beaucoup plus important sur l’amélioration des compétences, de la productivité et des revenus des personnes déplacées, les aidant ainsi à réduire leur vulnérabilité et à accroitre leurs opportunités.
Massimo Lanciotti massimo.lanciotti@refugeecouncil.fi
Conseiller spécial, Département international, Conseil finlandais pour les réfugiés www.refugeecouncil.fi