Les programmes psychosociaux traditionnels sont fréquemment axés sur des incidents qui ont eu lieu dans le passé et sont mis en œuvre dans des espaces désormais physiquement sûrs. Néanmoins, dans des crises prolongées comme actuellement en Afghanistan, les enfants doivent non seulement réussir à gérer les traumatismes du passé mais aussi des tensions et des craintes persistantes. Dans ces types de contexte, les programmes psychosociaux doivent emprunter une approche différente. Instaurer progressivement un sentiment de sécurité doit chercher à renforcement chez les enfants la prise de conscience du risque et du stress, en leur enseignant des compétences individuelles de survie et en créant un sentiment de sécurité à travers le jeux, l’expression créative et des exercices de confiance en soi.
En Afghanistan, il y a approximativement 767 600 enfants qui ont été déplacés à l’intérieur du pays à cause du conflit[1]. Garantir la continuité de l’éducation pendant la crise est vital pour leur apporter routine et structure, et permettre aux enfants de poursuivre des objectifs à long terme en réduisant les risques de décrochage scolaire à vie. Le Conseil norvégien pour les réfugiés (Norwegian Refugee Council – NRC) assure l’éducation de milliers d’enfants déplacés à travers l’Afghanistan et a découvert que suite à une augmentation de l’exposition à des violences horribles au cours des dernières années, il devient encore plus difficile aux enfants de s’intégrer à leur nouvel environnement et de conserver la motivation pour leur éducation[2].
En réponse, depuis décembre 2017, le bureau de NRC en Afghanistan a mis en place un programme supplémentaire dans les classes des écoles à travers le pays dans le but de répondre aux besoins psychosociaux aigus des enfants touchés par des traumatismes provoqués par le conflit. Ce programme – the Better Learning Programme (BLP, qu’il est possible de traduire par Programme pour mieux apprendre) – a été élaboré par le NRC en collaboration avec l’Université de Tromsø en 2007 et a tout d’abord été piloté en Ouganda puis en Palestine. Ce programme aide les élèves à reconnaître leurs propres réactions face au stress, à leur apprendre des techniques pour se calmer eux-mêmes et se sentir en sécurité, à prendre une part active dans leur propre rétablissement, et à pouvoir parler de leurs problèmes à leurs enseignants et à leurs parents. Il s’efforce également d’instaurer au sein de la communauté qui entoure l’école des mécanismes de résilience en renforçant la coopération entre les enseignants et les parents et en soutenant le bien-être des élèves.
Reconnaitre le stress et se sentir en sécurité
Notre sentiment de sécurité est souvent déformé suite à un événement qui a mis notre vie en péril, et les survivants peuvent se sentir terrifiés au moindre bruit ou rappel sensoriel. Les modèles de rétablissement après un traumatisme sont axés sur la nécessité de rétablir un sentiment de sécurité afin de récupérer le contrôle sur la réponse physiologique du corps face aux événements traumatiques. Les survivants sont encouragés à séparer le passé du présent, à reconnaitre que les événements qui menacent la vie sont dans le passé, et que maintenant dans le présent ils sont en sécurité. Le BLP apprend aux élèves à reconnaitre les sources de leurs réactions face au stress ainsi que les impacts qu’il a sur eux, et à pratiquer des exercices pour se calmer, notamment des exercices de respiration profonde, de contraction et de relâchement des muscles, d’équilibre et plusieurs types d’étirements. Les enfants pratiquent ces exercices à chaque session et sont encouragés à les refaire à la maison avec leurs parents. Les exercices les aident à prendre le contrôle sur leurs symptômes et à se sentir capables de gérer leur propre stress.
Toutefois, en Afghanistan, les risques liés au conflit perdurent et continuent d’affecter les enfants même lorsqu’ils ont été déplacés dans des provinces plus sûres. Il est courant que des enfants continuent d’entendre des tirs de roquettes et des fusillades dans leurs nouvelles communautés, et encourager les enfants à penser qu’ils sont maintenant en sécurité pourrait en fait s’avérer préjudiciable et les rendre vulnérables face à de nouveaux traumatismes s’ils vivent d’autres incidents – ou qu’ils sont forcés de se déplacer à nouveau. L’un des exercices appelé « espace sûr », aide les enfants à visualiser un endroit réel ou imaginaire dans lequel ils se sentent sûrs, leur permettant ainsi de ressentir et d’internaliser un sentiment de sécurité. Des exercices comme celui-ci ont pour objet d’aider les élèves, non seulement à faire face aux cauchemars ou aux souvenirs intrusifs mais aussi à gérer des rumeurs, des expériences ou des sons déstabilisants auxquels ils peuvent être confrontés dans leur vie quotidienne. Les enfants ont été encouragés à utiliser les exercices lorsqu’ils étaient réveillés pendant la nuit par une explosion (uniquement bien entendu s’ils n’étaient pas en danger immédiat) et ce faisant ils se sentaient capables de rester calmes même en cas de combats dans des quartiers proches.
« J’apprécie vraiment mon espace de sécurité. Pouvoir fermer mes yeux et penser à un endroit calme et sûr, un endroit agréable… c’est extraordinaire ».
Rester physiquement en sécurité
Au cours de la phase de pilotage du BLP, nous avons remarqué que les enfants se sentaient en sécurité pendant les sessions mais qu’ils pouvaient ensuite rencontrer des situations effrayantes en dehors de la salle de classe. Sur le chemin de l’école, les enfants sont confrontés à la possibilité d’être enlevés ou de tomber au milieu d’affrontements armés, d’explosions, d’être exposés à des mines antipersonnel, d’être harcelés par certains membres de la communauté ou d’être témoins d’un accident de la route. Il existe également de nombreux cas de violence domestique et de travail des enfants. Dire aux enfants qu’ils sont en sécurité lorsqu’ils sont entourés de risques aussi nombreux de manière régulière peut contribuer à les rendre impuissants en les laissant peu ou mal préparés. Pendant la deuxième phase de développement du BLP, une nouvelle session a été ajoutée afin d’aider les enfants à prendre pleinement conscience des risques qui existent au sein de leurs communautés et à identifier des mesures leur permettant de rester en sécurité, comme par exemple de rester groupés sur la route de l’école ou de trouver d’autres trajets. Les enfants sont encouragés à dessiner une carte de leur communauté et à discuter les risques potentiels ; avec le soutien d’un enseignant, ils peuvent alors explorer les différents moyens de se maintenir en sécurité.
L’association de solutions pratiques à des problèmes réels et de stratégies de survie pour faire face aux impacts émotionnels a contribué à augmenter le sentiment de sécurité des élèves. Parallèlement, les enseignants ont également trouvé les sessions utiles pour les aider à mieux comprendre les risques tant particuliers qu’individuels auxquels sont confrontés certains élèves, et les différents moyens dont ils disposent en tant qu’enseignants pour les soutenir. Les élèves ont également éprouvé davantage de confiance pour rechercher l’aide des adultes concernant des risques qu’ils rencontraient au sein de la communauté. Cette nouvelle session nécessitera toutefois une évaluation plus approfondie en vue de déterminer l’efficacité des stratégies d’atténuation des risques.
Créer de la sécurité à travers le jeu
Pour de nombreux enfants qui vivent en Afghanistan, il est difficile de trouver un endroit qui soit physiquement entièrement sécurisé et/ou ami des enfants. Dans cette optique, le BLP a cherché à aider les enfants à ressentir une sensation de sécurité qui ne dépend pas de leur environnement physique. Chaque session du BLP s’est déroulée selon le même schéma, chaque semaine, de manière à développer un sentiment de familiarité et de prévisibilité. Et les exercices créatifs et les jeux sont une partie intégrante et essentielle de cette routine hebdomadaire.
Le jeu est essentiel pour le développement d’un enfant et il crée et renforce également un sentiment de sécurité. Le jeu aide les enfants à traiter et exprimer des émotions d’une manière mesurée et peut aider à renforcer l’estime de soi. Cependant en Afghanistan, bien peu d’enfants ont une opportunité de jouer, même à l’école. Les méthodes d’enseignement tendent à être traditionnelles, l’enseignant transmet des connaissances pendant que les enfants prennent des notes. Au début de la mise en pratique du BLP, les enseignants avaient tendance à beaucoup parler, à expliquer les concepts du programme, ce qui réduisait le temps et l’espace disponibles pour que les enfants puissent s’exprimer. À mesure que le programme s’est développé, des jeux ont donc été introduits à chaque session ce qui remplissait un double objectif, premièrement d’aider les élèves et les enseignants à se détendre et renforcer un sentiment de confiance et de sécurité à l’intérieur du groupe, et deuxièmement s’assure que les enfants quittaient la session en se sentant bien. Au vu du manque de services ou de réseaux de soutien au sein des communautés – et notamment un accès extrêmement limité à toute forme d’accompagnement psychosocial pour les enfants – il était important, en cas d’émergence d’émotions ou de souvenirs difficiles au cours de la session, de veiller à ce qu’un jeu puisse être utilisé pour aider à chasser les sentiments pénibles.
Depuis l’introduction de jeux au cours de chaque session, un changement notoire a été remarqué à la fois chez les élèves et chez les enseignants, en particulier en ce qui concerne les rires, la sensation d’aise dans la salle et le lien étroit qui s’établit entre les membres du groupe. Les enseignants ont dit à quel point ils avaient apprécié de voir leurs élèves rire et comment cela avait contribué à renforcer la confiance qu’ils avaient en eux-mêmes en tant qu’enseignants. Les observations ont montré que le sentiment de sécurité des enfants avait augmenté et qu’ils étaient capables d’exprimer leurs sentiments et d’être aidés à les gérer – les enfants que l’on a vu pleurer au milieu d’une session pendant qu’ils racontaient une histoire finissaient la session en riant et en souriant après avoir participé à un jeu en groupe.
Impact et mise en place
Le BLP peut être mis en place pratiquement n’importe où et même lorsque des classes doivent être transférées pour des problèmes d’insécurité, le sentiment de sécurité peut être rétabli parce qu’il s’appuie sur la confiance à l’intérieur du groupe, plutôt que sur l’espace physique[3]. À ce jour, l’évaluation du programme a montré une réduction des cauchemars, des réactions de détresse et des troubles physiques ainsi qu’un regain de motivation pour aller à l’école et finir ses devoirs, et plus important peut-être, une augmentation du sentiment de sécurité. Soixante-dix-huit pour cent des enfants qui ont participé au BLP ont dit qu’ils étaient moins effrayés à cause du groupe de BLP. Les élèves considéraient le BLP comme un espace dans lequel ils se sentaient à l’aise, détendus et en sécurité, et ils ont dit qu’ils étaient capables de rappeler ces sensations à eux à n’importe quel moment à la maison en pratiquant les exercices du BLP, soit seul ou avec des amis ou des membres de leur famille.
La mise en place du programme BLP en Afghanistan a nécessité plusieurs séries d’adaptation et nous en sommes encore à développer des plans de session et des formations d’enseignants, et aussi à nous demander comment nous y prendre pour impliquer au mieux les parents et plus largement la communauté toute entière. Le programme nécessitera encore bien d’autres adaptations et renforcements au vu de la détérioration de la situation sécuritaire en Afghanistan.
Bethan McEvoy bethan.mcevoy@nrc.no
Conseillère en éducation, Conseil norvégien pour les réfugiés, Afghanistan www.nrc.no
[1] À compter de septembre 2018.
[2] NRC (2018) Education in Emergencies; Children in Distress. A Child Protection Risk Analysis for NRC Afghanistan’s Education Programme.
www.nrc.no/resources/reports/education-in-emergencies-children-in-distressnew-page/
[3] Pour obtenir davantage d’information sur le BLP du Conseil norvégien pour les réfugiés, veuillez-vous adresser à : sonia.gomez@nrc.no.