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Coopération intersectorielle pour l’éducation des réfugiés afghans en Iran

L’Iran accueille plus de trois millions et demi d’Afghans déplacés. Quelques 951 000 Afghans jouissent de facto du statut de réfugié par le biais du programme Amayesh[1], qui leur permet de vivre et de se déplacer dans la province où ils ont été enregistrés ; 620 000 détiennent un passeport accompagné d’un visa temporaire ; et entre 1,5 et 2 millions d’Afghans sans papiers vivent en Iran sans aucun statut juridique. Ce dernier groupe est le plus vulnérable dans la mesure où il n’a presque aucun accès juridique aux services essentiels.

Les autorités iraniennes ont toujours permis aux enfants réfugiés détenteurs de papiers d’accéder au système d’éducation publique mais, jusqu’à récemment, les enfants sans-papiers ne bénéficiaient pas de ce privilège. En mai 2015, un nouveau décret a ouvert l’inscription scolaire à tous les enfants afghans sans-papiers. Leur famille peut dorénavant faire une demande de « carte bleue », le passe éducatif qui facilite l’inscription de leurs enfants à l’école. De plus, les détenteurs d’une carte bleue et leur famille ne peuvent pas être renvoyés en Afghanistan tant que l’enfant est scolarisé.

Véritable révolution pour l’éducation des réfugiés en Iran, cette nouvelle approche a permis d’accroître considérablement le nombre d’élèves scolarisés. Toutefois, ce décret a seulement supprimé les obstacles juridiques/documentaires entravant l’accès à l’éducation. D’autres obstacles persistent.

Ce décret n’a fait qu’accroître les pressions qui pèsent sur un système d’enseignement public déjà surchargé, caractérisé par des classes surpeuplées et un manque de fournitures et de matériels pédagogiques. Peu d’investissements ont été réalisés dans les infrastructures scolaires et, selon certains médias, 30 % des écoles sont en mauvais état et ont besoin d’être reconstruites ou rénovées[2].

Il existe également d’importants obstacles financiers. De nombreuses familles n’ont pas les moyens d’assumer les coûts liés à l’éducation (par exemple les uniformes, les fournitures et les examens médicaux). Et la situation se complique encore si l’école est loin et que les enfants doivent s’y rendre par un moyen de transport. Alors même qu’une étude récente a révélé que l’éducation était une priorité des parents afghans, certains d’entre eux n’en ont tout simplement pas les moyens. De nombreux enfants travaillent ou ont uniquement accès à une éducation informelle, qui est moins coûteuse mais qui ne leur délivre aucun certificat officiel pouvant leur permettre de poursuivre leurs études. En outre, la récente réintroduction des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran exacerbe encore davantage les difficultés financières des ménages les plus vulnérables. 

Par ailleurs, tandis que ce décret leur a permis d’accéder à l’éducation primaire, les enfants rencontrent des difficultés à poursuivre des études secondaires. Et ceux qui ont la chance de le faire n’ont que quelques options à leur portée. L’enseignement tertiaire est uniquement accessible à ceux qui détiennent un passeport avec visa ; les possibilités de formation professionnelle sont limitées ; et les entrepreneurs ou propriétaires d’une petite entreprise déploient souvent leurs activités dans l’économie informelle.

Enfin, bon nombre de réfugiés sont établis dans des zones difficiles d’accès et/ou manquent de papiers, si bien qu’il est difficile de les trouver. Toutefois, le décret sur l’éducation a donné aux acteurs humanitaires une occasion d’identifier un grand nombre de ces familles et d’entrer en contact avec elles.

Une réponse globale

Il semblait clair dès le début qu’il ne s’agissait pas simplement d’aider les familles à obtenir une carte bleue et à inscrire leurs enfants à l’école. Il fallait apporter une réponse plus globale. Par conséquent, le Conseil norvégien pour les réfugiés a décidé de fournir une assistance combinant différentes composantes pratiques, en nature et de formation. La plupart des écoles sont mixtes, fréquentées tant par des enfants afghans que des enfants iraniens. Nos équipes chargées du logement ont évalué la condition physique des bâtiments scolaires puis effectué les réparations nécessaires afin de rendre l’environnement d’apprentissage plus sûr et plus agréable. Nos équipes chargées de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH) ont rénové ou construit des installations telles que des stations de lavage des mains, des latrines et des fontaines d’eau potable. Elles ont également fourni des trousses d’hygiène et formé les parents et les enfants iraniens et afghans aux pratiques hygiéniques. Cette formation a permis de rapprocher ces deux communautés dans le cadre d’une activité qu’elles jugeaient toutes les deux importante. Parallèlement, notre unité chargée de l’information, des conseils et de l’assistance juridique a fourni des informations à toutes les familles sans papiers qu’elle a rencontrées à propos des démarches pour obtenir une carte bleue. Elle a également fourni une assistance en espèces qui pouvait être utilisée pour obtenir des papiers et, donc, faciliter l’accès à l’école, ou pour régler directement les frais liés à l’éducation des enfants. Enfin, nos équipes éducatives ont évalué les besoins des écoles et fourni des équipements tels que des bureaux, des bibliothèques et des fournitures pédagogiques. Elles ont également aidé la Direction de l’éducation à dispenser des formations sur les compétences essentielles aux parents afghans et iraniens et aux enseignants.

Nous collaborons également avec une organisation publique, l’Organisation du mouvement pour l’alphabétisation. Les enfants qui avaient besoin de suivre un programme éducatif accéléré (des cours de « rattrapage ») ont été inscrit aux cours de lecture et de mathématiques de cette organisation (qui s’accompagne de sessions sur les compétences essentielles) et ont ensuite été autorisés à s’inscrire au niveau d’études correspondant à leur âge afin qu’ils puissent étudier avec des enfants du même âge. Aujourd’hui, ce programme est également ouvert à tous les enfants sans papiers.

Notre objectif est d’appliquer une approche intégrée et globale qui considère l’unité familiale comme un ensemble afin que l’environnement familial soit tout aussi propice à l’apprentissage et au développement cognitif que l’environnement scolaire. Cette approche intégrée implique de répondre aux besoins de l’environnement d’apprentissage dans l’ensemble ; des services essentiels tels que l’abri, la santé, l’état civil et les moyens d’existence font également tous partie de cette approche, qui s’articule avant tout autour de la protection, en vue d’aider les familles dans la plus grande mesure du possible à envoyer leurs enfants à l’école et faire en sorte qu’ils restent scolarisés. Par exemple, aider l’un des adultes du ménage à trouver un emploi peut permettre de garantir qu’un des enfants du ménage n’ait plus besoin de travailler, tandis qu’aider une famille à mettre à jour son statut juridique dans le pays peut favoriser l’accès des adultes à un plus vaste éventail de professions. De plus, un projet pilote que nous avons déployé en 2016 en collaboration avec l’HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a montré que lorsque les parents participent aux cours de lecture et de mathématiques aux côtés de leurs enfants, ils parviennent mieux à apprécier la valeur de l’éducation. Par exemple, de nombreux pères qui s’étaient opposés à la scolarisation de leurs filles ont ensuite changé d’avis et d’attitude vis-à-vis de l’éducation de ces dernières.

Éléments clés de cette approche

Une évaluation récemment conduite par un consultant externe a permis d’identifier les éléments suivants en tant que facteurs du succès de cette approche[3].

Structure organisationnelle décentralisée : Nous nous sommes éloignés des méthodes de travail très centralisées (avec un centre de décision principalement basé dans le bureau pays) en nommant des grands responsables des programmes et des équipes de programme spécialisées pour chaque compétence essentielle, mais aussi des équipes de soutien dans chaque bureau local. Cela nous a permis de nous concentrer sur la mise en œuvre des projets de haute qualité au niveau provincial, y compris en réalisant fréquemment des visites de terrain. Cette structure permet une expansion plus rapide, lorsque c’est nécessaire, dans de nouvelles provinces où des besoins éducatifs demeurent insatisfaits. Les spécialistes de haut niveau de chaque compétence essentielle, basés à Téhéran, apportent leur soutien à des équipes dans différentes zones géographiques dans le cadre de la mise en œuvre du projet. Les spécialistes des programmes contribuent à la conception des projets, soulèvent d’importantes questions de nature politique et technique, et fournissent une formation au personnel chargé de la mise en œuvre. Ces spécialistes sont également chargés de l’orientation stratégique et de la qualité technique du programme pays dans son ensemble.

Concentration des efforts et des ressources dans un nombre limité d’emplacements : En nous concentrant initialement sur deux provinces seulement, à savoir Qom et Kerman, nous avons pu faire une véritable différence pour les grandes populations afghanes qui y étaient établies. En rendant fréquemment visite aux acteurs de l’éducation et au Bureau des étrangers et de l’immigration[4] (tant au niveau central à Téhéran qu’au niveau provincial dans les zones d’opération), nous avons pu construire de véritables relations. Grâce à cette concentration des efforts, il était également plus facile de mesurer l’impact du programme pilote et d’en tirer des enseignements avant d’élargir la couverture géographique du programme.

Approche intersectorielle intégrée : Les équipes techniques (qui couvrent toutes les compétences essentielles et les fonctions transversales) sont encouragées à travailler en tant qu’une seule équipe intégrée, dans la mesure du possible. Ces équipes entreprennent conjointement l’évaluation des besoins, la mise en œuvre et le suivi. Les différentes équipes locales sont également encouragées à partager leurs connaissances, leurs expériences, leurs contacts et leurs documents. Cette approche a été identifié comme étant « intersectorielle », les activités étant déployées entre et parmi les secteurs techniques. Ce n’est pas la même chose qu’une approche « multisectorielle », qui pourrait impliquer des programmes distincts, mis en œuvre séparément. 

Que pouvons-nous améliorer ?

L’évaluation externe de notre programme a mis en lumière deux principaux aspects à surveiller. Premièrement, pour répondre au besoin urgent de places supplémentaires dans les écoles, nous devons davantage sensibiliser les bailleurs et la communauté internationale pour soutenir le ministère de l’Éducation, qui s’efforce d’accueillir tous les enfants.

Le deuxième aspect concerne le recours aux distributions d’espèces pour améliorer l’accès à l’éducation et les taux de rétention. Grâce au suivi de la distribution des espèces, nous avons quelques données indiquant que les familles consacrent cet argent à l’éducation. Toutefois, nous avons besoin de recueillir de plus amples informations pour confirmer si ces sommes sont consacrées à l’éducation de la manière visée par l’approche intégrée. Nous examinons actuellement l’utilisation spécifique des espèces dans les programmes éducatifs et les différentes modalités possibles. L’une de ces modalités pourrait consister à introduire un certain élément de conditionnalité, par exemple en étalant les paiements sur plusieurs versements, de manière à ce que le second versement soit effectué après réception d’une preuve de l’inscription des enfants à l’école. Une autre modalité actuellement à l’étude consiste à distribuer l’argent a des points d’enregistrement dans les écoles et à aider les familles à compléter les formalités d’inscription. Un programme pilote sera mis en œuvre pour déterminer la méthode la plus efficace.

Quels obstacles reste-t-il à surmonter ?

Il reste encore de nombreux obstacles. L’approche intersectorielle est peut-être plus efficace mais, en raison du manque de financement, notre capacité à élargir les espaces d’apprentissage demeure limitée. En effet, les coûts liés à l’expansion des écoles ou à la construction de nouvelles écoles représentent le plus grand défi pour le secteur de l’éducation. En outre, les familles elles-mêmes rencontrent encore des obstacles financiers et un grand nombre d’entre elles dépendent du revenu gagné par leurs enfants.

Bien que l’évolution des politiques puisse apporter des changements considérables, elle doit s’accompagner d’une stratégie de mise en œuvre. En effet, un changement de politique ne se traduit pas immédiatement en résultats : les familles ne sont pas aussitôt pleinement informées de leurs droits et ne savent pas aussitôt comment les exercer. Les acteurs de l’éducation doivent adopter une approche systématique et durable afin de s’assurer que les grands changements apportés aux politiques sont mis en œuvre de manière efficace. Cette approche pourrait être facilitée par la capacité à entreprendre un mappage et une analyse plus approfondie des mécanismes d’inscription à l’école, afin d’identifier plus précisément les lacunes et comment les combler.

En dépit des immenses efforts déployés par les autorités iraniennes, les besoins éducatifs demeurent immenses eux aussi. Il faut donc agrandir l’échelle de l’assistance humanitaire et, dans cette situation de déplacement prolongée, il faut également adopter une approche du développement axé sur le long terme, accompagnée des financements nécessaires. Entre-temps, il faut mettre en lumière les avancées telles que celles réalisées en Iran afin d’encourager les autres pays d’accueil à adopter des politiques semblables qui contribueront à garantir le droit à une éducation élémentaire pour tous.

 

Reem Shammout reem.shammout@nrc.no
Spécialiste de l’éducation

Olivier Vandecasteele olivier.vandecasteele@nrc.no
Directeur pays

Conseil norvégien pour les réfugiés, Iran www.nrc.no/countries/middle-east/iran/

 

[1] En 2003, l’Iran a mis en place un nouveau système appelé « Amayesh » (« logistique » ou « préparation » en persan) pour enregistrer tous les ressortissants afghans alors établis en Iran. La majeure partie des Afghans arrivés depuis n’ont pas été inscrits au programme et ne disposent pas de carte Amayesh. Les détenteurs d’une carte Amayesh bénéficient d’une protection en grande partie conforme aux droits accordés par la Convention de 1951 mais ils doivent renouveler leur statut tous les 12 à 18 mois.

[2] Tehran Times (26 juillet 2018) www.tehrantimes.com/news/425795/30-of-schools-in-Iran-dilapidated-official

[3] Talbot C (2018) External Evaluation of NRC’s Education Programme in Iran (financé par la Direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes).

[4] La principale entité publique chargée des questions relatives aux réfugiés et la partenaire principale des organisations humanitaires non gouvernementales internationales.

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