Skip to content
La détention examinée à la loupe

Détenir pendant une période conséquente un individu qui n’a pas commis de délit et n’a aucune intention d’en commettre un est une injustice flagrante. Aucun pays civilisé ne devrait tolérer volontairement une telle injustice. Lord T. Bingham, The Rule of Law (Londres: Allen Lane, 2010), page 73.

Le recours généralisé et de plus en plus fréquent à la détention des migrants fait l’objet d’une attention considérable depuis ces  dernières années. La détention des migrants, en tant que moyen pour contrôler l’entrée sur le territoire national et comme forme, supposée, de dissuasion est de plus en plus largement remise en question pour des motifs tant pratiques que fonctionnels ainsi que pour des motifs juridiques et de respect des droits humains. Au niveau politique également, de nombreux pays rencontrent une opposition croissante au recours à la détention des migrants.

Il semble évident que la migration clandestine peut potentiellement remettre en cause l’efficacité des systèmes d’asile dans de nombreux pays. Les États sont de plus en plus souvent confrontés à des phénomènes  complexes de mouvements mixtes de populations, notamment au trafic illicite et à la traite des personnes ainsi qu’à toute la gamme multiple de facteurs d’attraction/répulsion qui déterminent ces mouvements. Être en mesure d’expulser rapidement des individus qui n’auraient pas de motif de rester dans le pays fait également partie des objectifs gouvernementaux. Pendant longtemps, le HCR a considéré que le retour des demandeurs d’asile rejetés était un élément important du fonctionnement du système d’asile, un élément probablement nécessaire en vue de préserver les mécanismes nationaux et/ou régionaux de protection, et d’éviter des mouvements secondaires[i].

Les gouvernements sont également préoccupés par des considérations touchant à la sécurité nationale et aux activités criminelles, ce qui à son tour a contribué à propager un climat de plus en plus hostile et xénophobe dans de nombreux pays.  La xénophobie, le racisme, et l’intolérance qui s’y rattache, sont utilisés par les médias, les politiciens et d’autres personnalités influentes de manière subtile ou déclarée pour susciter des peurs ‘de l’autre’ au sein des communautés hôtes ; ce sont ces peurs qui représentent certaines des menaces les plus sérieuses au système mondial d’asile, et il est impératif qu’elles soient combattues[ii]

Alors que les gouvernements ont tenté de répondre à ces défis, on a assisté dans certains contextes à une extension des pratiques et des politiques de détention ; celles-ci, toutefois, n’ont pas toujours réussi à établir suffisamment de différence entre la situation particulière des individus nécessitant une protection internationale et la catégorie plus générale des migrants irréguliers. Il arrive parfois que des personnes soient détenues dans des établissements pénitentiaires, y compris dans des prisons de haute sécurité, qui ne répondent pas aux besoins particuliers des demandeurs d’asile ou des autres migrants et qui, de fait, ont pour effet de les assimiler à des criminels. Ce sont là des tendances préoccupantes, et pas uniquement parce que la dernière étude empirique en date démontre que même les politiques de détention les plus strictes n’ont aucun effet dissuasif sur la migration clandestine et qu’elles ne réussissent pas à décourager les personnes de chercher un refuge[iii]. De fait, une étude récente commandée  par le HCR suggère que de nombreux demandeurs d’asile ignorent quelles sont les politiques de détention pratiquées par les pays qu’ils ont choisis comme destination, ou qu’ils n’ont, en réalité, que peu ou aucune influence sur leur itinéraire ou leur destination finale[iv].

Les conséquences physiques et psychologiques négatives et parfois même graves de la détention sont bien documentées même si elles ne semblent avoir qu’un impact limité sur la prise des décisions politiques de certaines nations. Une étude réalisée par le Jesuit Refugee Service révèle que les demandeurs d’asile, même lorsqu’ils ne présentent aucun signe de traumatisme au début de leur détention, présentent tous des symptômes de ce type après seulement quelques mois de détention. L’étude concluait que toute personne placée en détention devient vulnérable[v]. Les effets psychologiques de la détention et tout particulièrement de la détention prolongée, peuvent également affecter la capacité des réfugiés à s’intégrer dans leurs pays d’accueil et les empêcher de   contribuer positivement à la société dans laquelle ils viennent de s’installer.  

De nouveaux principes directeurs relatifs à la détention

En octobre 2012, le HCR a publié de nouveaux Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et les alternatives à la détention (2012)[vi].  Ces dix principes directeurs interconnectés [voir : quatrième de couverture] abordent différentes facettes du droit à la liberté et de l’interdiction de la détention arbitraire des demandeurs d’asile. Ces principes directeurs, qui s’appuient sur les normes fixées par le droit international des réfugiés et celui des droits de l’homme, ont pour objectif d’orienter les gouvernements dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques d’asile et de migration lorsque celles-ci impliquent un élément de détention, et d’assister les fonctionnaires chargés de prendre des décisions, y compris les juges, lorsqu’ils évaluent la nécessité de détenir un individu particulier.

Les principes directeurs du HCR sur la détention exposent le cadre juridique international applicable dans différentes situations et donnent des informations sur les alternatives à la détention. Les politiques de nombreux pays industrialisés sont par exemple en complet décalage avec les recherches les plus récentes. Il ressort des preuves qui ont été réunies que les solutions de remplacement à la détention fonctionnent bien dans la réalité, qu’il s’agisse par exemple d’une obligation de se présenter régulièrement aux autorités, d’une assignation à résidence ou de mesures de surveillance au sein de la communauté. Les études indiquent également que les demandeurs d’asile respectent systématiquement, dans plus de 90 % des cas[vii], les conditions de leur remise en liberté.

Les mêmes études ont montré que lorsque les demandeurs d’asile sont traités avec dignité et humanité, ils font preuve d’un degré élevé de coopération au cours de l’ensemble des procédures d’asile, y compris en fin de processus. Des éléments tendraient même à montrer l’existence d’une corrélation entre le fait d’avoir bénéficié d’une solution de remplacement à la détention et un taux plus élevé d’acceptation du départ volontaire suite à un rejet de la demande d’asile[viii].

Les principes directeurs du HCR sur la détention insistent sur le fait que la demande d’asile ne constitue pas un acte illégal, et qu’à ce titre, même ceux qui sont entrés ou séjournent dans un territoire sans autorisation sont protégés, et qu’ils ne sauraient être pénalisés pour ce simple fait, notamment qu’ils ne devraient pas faire l’objet d’une mesure de détention ou de toute autre restriction de leurs mouvements. Les principes directeurs s’appuient également sur le droit de l’homme à la liberté, et à l’interdiction de la détention arbitraire qui en est le corollaire, qui s’applique à toute personne indépendamment de son statut de migrant, de demandeur d’asile, de réfugié ou autre. Les principes directeurs expliquent quels sont les paramètres attachés au droit à la liberté applicables au contexte de  l’asile, et placent une importance toute particulière sur l’obligation des États de prévoir des conditions d’accueil ouvertes et humaines à l’intention des demandeurs d’asile, et notamment de prévoir des solutions de substitution à la détention.  

Ces nouveaux principes directeurs remplacent ceux que le HCR avait publiés en 1999 et incluent une annexe spéciale consacrée aux alternatives à la détention, une section étendue sur les groupes particuliers et vulnérables qui – pour des raisons de handicap, d’âge, de sexe, d’orientation sexuelle ou d’identité de genre – nécessitent la mise en place de mesures particulières. Est incluse également une recommandation pour que les lieux de détention soient surveillés et inspectés de manière indépendante. En vue de soutenir cette dernière recommandation, le HCR collabore avec l’Association pour la prévention de la torture et l’International Detention Coalition à la rédaction d’un Manuel conjoint sur la surveillance des lieux de détention qui devrait être publié fin 2013. Les principes directeurs prévoient des garanties minimales en matière de procédures ainsi que des  conditions humaines et dignes de détention. 

Même si la détention fait souvent partie de l’arsenal des systèmes d’asile et de migration, dans le cas des demandeurs d’asile, celle-ci doit en principe être évitée et n’être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles, tel est fondamentalement le message du HCR. La détention ne devrait être utilisée que lorsqu’il a été déterminé qu’elle est nécessaire, raisonnable et proportionnelle à l’objectif légitime correspondant au cas individuel, et dans tous les cas des solutions alternatives à la détention doivent être envisagées. 

 

 

Alice Edwards edwardsa@unhcr.org est Coordinatrice juridique principale et Chef de la Section des politiques de protection et des conseils juridiques au sein de la Division de la protection internationale, UNHCR, Genève. Pour plus d’informations sur le travail du HCR relatif à la détention, veuillez contacter Ariel Riva riva@unhcr.org  Juriste, Section des politiques de protection et des conseils juridiques. www.unhcr.org

Voir également Edwards A (à paraître) ‘Introductory Note to UNHCR’s Guidelines on Detention and Alternatives to Detention’, International Journal of Refugee Law. Voir également la page consacrée à la détention de Refworld : www.unhcr.org/refworld/detention.html

 


[i] UNHCR, Protection Policy Paper: The return of persons found not to be in need of international protection to their countries of origin: UNHCR’s role, novembre 2010, paragraphe 3 www.refworld.org/docid/4cea23c62.html; UNHCR, Protection Policy Paper: Maritime interception operations and the processing of international protection claims: legal standards and policy considerations with respect to extraterritorial processing, novembre 2010, paragraphe 32 www.refworld.org/docid/4cd12d3a2.html.

[ii] A. Edwards, ‘Measures of First Resort: Alternatives to Immigration Detention in Comparative Perspective’, 2011 7 Equal Rights Review Special Feature on Detention and Discrimination, 117-142 www.equalrightstrust.org/ertdocumentbank/ERR7_alice.pdf.

[iii] A Edwards, Back to Basics: The Right to Liberty and Security of Person and “Alternatives to Detention” of Refugees, Asylum-Seekers, Stateless Persons and Other Migrants, UNHCR Legal and Protection Policy Research Series, PPLA/2011/01.Rev.1, avril 2011 www.unhcr.org/refworld/docid/4dc935fd2.html; International Detention Coalition, There are Alternatives, A Handbook for Preventing Unnecessary Immigration Detention, 2011, http://idcoalition.org/cap/handbook/; ONU, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeau, A/HRC/20/24, 2 avril 2012 www.unhcr.org/refworld/docid/502e0bb62.html.

[iv] C Costello & E Kaytaz, ‘Building Empirical Research into Alternatives to Detention: Perceptions of Asylum-Seekers and Refugees in Toronto and Geneva’, UNHCR Legal and Protection Policy Research Series, juin 2013. www.unhcr.org/51c1c5cf9.html

[v] Jesuit Refugee Service, Europe, Becoming Vulnerable in Detention, juin 2011 www.unhcr.org/refworld/docid/4ec269f62.html

[vi] Les Principes Directeurs sont disponibles sur: http://tinyurl.com/Principes-Directeurs-Detention

[vii] Edwards, note de fin de texte n°3.

[viii] Edwards et IDC, note de fin de texte n° 3.

 

DONATESUBSCRIBE
This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.