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L’impact de la détention pour cause d’immigration sur les enfants

Au cours de plus de dix ans de recherches en Europe et ailleurs, Human Rights Watch (HRW) a documenté de nombreuses violations graves des droits de l’enfant surgissant de cas de détention d’enfants pour cause d’immigration[1]. Des enfants peuvent être arbitrairement arrêtés, enfermés dans des cellules avec des adultes inconnus, et soumis à un traitement brutal de la part de policiers, de gardiens ou d’autres fonctionnaires. Bien souvent ils sont détenus dans de mauvaises conditions qui sont loin de satisfaire les normes internationales qui fixent les conditions minimales considérées comme appropriées à l’hébergement d’enfants privés de liberté.

Les enfants qui sont détenus pour cause d’immigrations sont des enfants migrants non accompagnés, des enfants faisant partie de familles (y compris des nourrissons), des enfants demandeurs d’asile ou réfugiés, et des enfants dont les parents sont des demandeurs d’asile ou des réfugiés. Bon nombre d’entre eux quittent des pays qui produisent de nombreux réfugiés comme l’Afghanistan, la Somalie et le Sri Lanka, et s’embarquent dans de longs périples en quête de sécurité. Les enfants sont détenus à la fois dans des pays de transit comme l’Indonésie, la Turquie, la Lybie et l’Egypte et dans des pays qu’eux-mêmes et leurs parents considèrent être leur destination ultime, à savoir l’Australie, le Royaume Uni et les pays scandinaves.

La Grèce est l’un des points d’entrée principaux pour les migrants qui abordent l’UE, mais ses pratiques sont connues pour être particulièrement dures à l’égard des enfants migrants[2]. Il peut arriver que des enfants non accompagnés passent des mois dans des installations de détention – souvent dans les mêmes cellules que des adultes qui leur sont inconnus – dans des conditions que le Comité européen pour la prévention de la torture a qualifiées « d’inacceptables ». Sharzad, âgée de douze ans, et son frère Sardar de 16 ans qui viennent d’Afghanistan, par exemple, étaient détenus dans le centre de détention de Kyprinou à Fylakio lorsque nous les avons interrogés en 2008 : « Nous sommes ici depuis 65 jours », nous a-t-elle dit. « Quelqu’un nous a informé que nous allions rester ici pendant trois mois… je veux être libérée et je ne veux pas rester ici plus longtemps ». Sharzad partageait sa cellule avec six autres femmes adultes qui lui étaient inconnues et avec lesquelles elle était incapable de communiquer.  

Une fois libérés des centres de détention en Grèce, les enfants migrants non accompagnés se voient habituellement notifier un ordre de quitter le pays. S’ils ne quittent pas le pays, ils peuvent être détenus à nouveau, quel que soit leur degré de vulnérabilité et même s’ils ont un motif pour demander l’asile. Par exemple, une jeune somalienne de dix ans non accompagnée, détenue dans le centre de détention de Petrou Ralli, nous a expliqué que les autorités grecques l’avaient détenue quatre fois en six mois.

La Grèce n’est pas un cas unique dans les mauvais traitements qu’elle inflige aux demandeurs d’asile qui entre dans l’UE. Malte a une politique sévère qui consiste à détenir automatiquement presque tous les migrants qui arrivent de manière irrégulière sur son territoire (c’est-à-dire sans passer par un point d’entrée officiel)[3]. Alors que certains migrants, notamment des familles, sont relâchés dans les heures ou les jours qui suivent, d’autres sont maintenus en détention pendant de longues périodes ; des demandeurs d’asile peuvent être détenus jusqu’à une année, et ceux dont la demande d’asile est rejetée jusqu’à 18 mois.

À Malte, nous avons découvert que les enfants non accompagnés sont détenus avec d’autres adultes qui leur sont inconnus dans l’attente de résultats permettant de déterminer leur âge. Malte adopte comme position de présumer que toute personne qui n’est pas ‘visiblement’ un enfant, ce qui signifie toute personne qui semble avoir plus de 12 ans, est un adulte. Les migrants qui revendiquent être des enfants doivent se soumettre à un processus prolongé de détermination de l’âge et sont enfermés dans une prison pour adultes pendant des semaines ou des mois jusqu’à ce que les procédures soient terminées.

Dans les lieux de détention, les enfants peuvent être soumis à la violence ou à l’exploitation. Abdi, un demandeur d’asile somalien qui avait 17 ans lorsqu’il a été détenu, a dit à HRW : « Tous les jours, un Malien de stature imposante venait et me disait, ‘Donne-moi ta nourriture’. Et un jour, j’ai dit non et il m’a frappé. Je suis resté au sol [inconscient] pendant une demi-heure. J’en ai parlé [aux gardiens] mais ils m’ont répondu, ‘On n’en a rien à faire’ ».  

Dans d’autres endroits du monde, les enfants demandeurs d’asile et réfugiés ne sont pas mieux traités. En Indonésie, des milliers d’enfants migrants, particulièrement des enfants non accompagnés provenant du Sri Lanka, d’Afghanistan, de Birmanie et d’ailleurs, risquent d’être détenus et maltraités dans des prisons où ils n’ont aucun accès à l’éducation et ne bénéficient que de très peu ou pas d’assistance de base. La législation indonésienne prévoit jusqu’à dix de détention pour cause d’immigration sans révision judiciaire, et le gouvernement indonésien ne fournit aucune possibilité aux enfants migrants et à leurs familles d’obtenir un statut légal, comme par exemple de demander l’asile. L’Indonésie détient fréquemment les migrants sans papier, y compris les enfants non accompagnés et les enfants qui voyagent en famille, pendant des mois ou des années dans des conditions déplorables, sans éducation, et dans certains cas sans aucune possibilité de récréation à l’air libre. Nous avons documenté des cas de brutalités dans plusieurs centres de détention dans lesquels les gardiens frappaient des enfants migrants non accompagnés, ou les forçaient à regarder pendant qu’ils frappaient des adultes.

Les conditions auxquelles sont soumis certains enfants détenus avec leurs parents peuvent être inhumaines et dégradantes. Nous avons rencontré un jeune garçon de trois ans dans le centre de détention pour immigrés (CRI) de Suan Phlu à Bangkok en Thaïlande, qui a passé pratiquement toute son existence en détention[4]. Il était détenu avec son père, un réfugié somalien, alors que sa mère était détenue dans la section des femmes du CRI avec sa sœur. Le père du garçon a décrit leurs conditions de détention en ces termes :

La pièce dans laquelle nous sommes logés compte en ce moment 50 occupants, dont la plupart sont fumeurs… il fait chaud et la pièce est sale, et à cause de cela, mon fils est souvent malade. Son alimentation est la même que celle des adultes et ne consiste en rien d’autre que du riz. Il a besoin de manger des fruits qui ne sont ni fournis ni disponibles à l’achat. … Il est excessivement difficile pour un garçon de trois ans de grandir au milieu d’une cinquantaine d’hommes adultes, enfermé dans une pièce et de ne pouvoir sortir au soleil que tous les trois jours pour une courte période de moins de deux heures.  

La détention pour cause d’immigration fait subir aux enfants un prix élevé. Trop souvent, les enfants sont privés d’éducation pendant des mois et parfois des années. La détention pour cause d’immigration – dont la durée n’est souvent pas limitée de manière précise – entraine des répercussions sur la santé psychique de nombreux détenus, et ce problème est particulièrement grave dans le cas des enfants[5]. Un psychologue qui travaille bénévolement dans un centre de détention pour immigrés en Indonésie a confié à HRW, que ses clients qui sont des enfants subissent une détérioration psychologique en lien avec cette attente prolongée et mal définie : « Ils perdent espoir, ils n’arrivent plus à rêver. Ils n’ont pas de repères leur indiquant quand ils pourront retrouver une vie normale à l’extérieur comme des êtres humains, et tout dela les mène au désespoir et à la dépression[6] ».

Les limites au recours à la détention des enfants pour cause d’immigration

Dans de trop nombreuses situations de détention pour cause d’immigration, les États répondent par la privation de liberté à l’entrée irrégulière des enfants sur le territoire, et ce d’une manière routinière plutôt que comme une mesure de dernier ressort. Toutefois, le droit international spécifie que des enfants ne devraient pas être détenus pour des raisons touchant à leur statut de migration, et impose des limites strictes au recours à la détention :

  • L’Article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) prescrit que toute détention, quelle qu’elle soit, ne doit être qu’une « mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ».
  • L’Article 37 de la CDE prescrit que tous les enfants privés de liberté (y compris les enfants détenus à des fins d’immigration) ont le droit « d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ».  
  • Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a affirmé que « par principe, les enfants migrants ne devraient pas être soumis à la détention[7] ».
  • Le Comité sur les droits de l’enfant dans son Observation générale n°6 a statué que « les enfants non accompagnés ou séparés de leur famille ne devraient pas, en règle générale, être placés en détention », et « leur détention ne saurait être justifiée … par leur seul statut au regard de la législation relative à l’immigration ou à la résidence, ou à l’absence d’un tel statut ».

 

Le HCR soutient spécifiquement que « les enfants en quête d’asile ne doivent pas être placés en détention [et que] cela est tout particulièrement important dans le cas des enfants non accompagnés[8] ». Dans les cas exceptionnels où des enfants en quête d’asile seraient placés en détention, le HCR insiste pour demander que cette détention soit conforme aux dispositions prévues à l’article 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Les États sont également tenus d’adhérer aux termes des Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, notamment en séparant les enfants des autres adultes, à moins qu’il ne soit pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de procéder de la sorte, et en veillant à assurer leur éducation en toutes circonstances. Lorsque des enfants sont détenus pour cause de migration avec leur famille, les États ne devraient pas séparer un ou une enfant de ses parents contre son gré. La CDE (tout comme les Notes du HCR sur les politiques et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête d’asile) insiste pour demander que la détention d’enfants pour cause d’immigration se fonde sur « une éthique de compassion »[9], et que l’intérêt supérieur de l’enfant prédomine sur l’application de la législation sur l’immigration.

En février 2013, le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant a demandé instamment aux États de «mettre un terme, rapidement et complètement, au placement en détention d’enfants au regard de leur statut d’immigration » au motif que ce type de détention n’a jamais lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant[10]. Dans l’intervalle, alors que la mise en détention d’enfants se poursuit, les États devraient imposer une durée stricte à la détention des enfants afin de minimiser le temps perdu en termes d’éducation ainsi que l’impact causé sur leur santé psychique.  

Néanmoins, alors que les parcours migratoires deviennent plus compliqués et que les demandeurs d’asile traversent de nombreux pays en quête d’un refuge, les États recourent de plus en plus à la détention à des fin d’immigration. Des enfants – et même des enfants non accompagnés – sont maintenus en détention alors que les États devraient au lieu de les détenir, eux et leurs familles, utiliser des alternatives à la détention et leur donner l’occasion de retrouver une forme de normalité au milieu du chaos de leurs vies déracinées.

 

 

Alice Farmer farmera@hrw.org est chargée de recherche à la Division des droits de l’enfant de Human Rights Watch www.hrw.org/topic/childrens-rights/refugees-and-migrants



[2] HRW, Left to Survive: Systematic Failure to Protect Unaccompanied Migrant Children in Greece, décembre 2008 www.hrw.org/reports/2008/12/22/left-survive

[3] HRW, Boat Ride to Detention: Adult and Child Migrants in Malta, juillet 2012 www.hrw.org/reports/2012/07/18/boat-ride-detention-0

[4] HRW, Ad Hoc and Inadequate: Thailand’s Treatment of Refugees and Asylum Seekers, septembre 2012 www.hrw.org/node/109633/section/12

[5] Dr Allan S Keller et al, ‘Mental health of detained asylum seekers’, The Lancet, vol 362, issue 9397, 22 novembre 2003, pp1721-23; International Detention Coalition, Captured Childhood: Introducing a New Model to Ensure the Rights and Liberty of Refugee, Asylum Seeker and Irregular Migrant Children Affected by Immigration Detention, Melbourne, 2012, pp48-49.

[6] HRW, entretien avec C A, psychologue, 5 septembre 2012.

[7] Conseil de l’Europe, Document de synthèse sur les droits des migrants mineurs en situation irrégulière Position du Commissaire aux droits de l’homme (2010)6, Strasbourg, 25 juin 2010. https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=16543777

[8] UNHCR, Note sur les politiques et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête d’asile 1997. paras 7.6-7.8 www.unhcr.org/refworld/pdfid/3ae6b3360.pdf

[9] UNHCR, Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention, 2012, para 52 http://tinyurl.com/Principes-Directeurs-Detention   

[10] Comité de l’ONU sur les Droits de l’Enfant, Rapport de la Journée 2012 de Discussion Générale sur les Droits de Tous  les Enfants dans le Contexte de la Migration Internationale, février 2013, para 78.  http://tinyurl.com/OHCHR-CRC-2012

 

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