En Iran, suite à la révolution de 1979 qui avait abouti à l’instauration de la République islamique, le nouveau Gouvernement a très rapidement adopté une politique accueillante envers les réfugiés afghans, qui puisait ses racines dans les valeurs et les principes religieux de l’Islam.[1] En conséquence, des millions de réfugiés ont traversé la frontière pour s’installer en Iran, sans souffrir aucune restriction. Ces réfugiés afghans se sont relativement bien intégrés en raison de la communauté de langage et de culture avec leur pays d’accueil. Ils se sont également bien intégrés au marché du travail même si, en raison de la nature des emplois qu’ils trouvaient, un nombre élevé de réfugiés afghans devait aller travailler dans des régions reculées pendant que leur famille restait en ville. Inévitablement, ces réfugiés devaient faire des allers-retours entre leur lieu de travail et leur lieu de résidence.
Les Afghans présents en Iran pouvaient se déplacer librement et sans difficulté d’un endroit à un autre jusqu’en 2000, lorsque les autorités iraniennes, ayant décidé de régulariser le statut des Afghans, ont lancé un vaste plan d’enregistrement des réfugiés en collaboration avec l’UNHCR.[2] Ce plan initial a été suivi par des mesures complémentaires, dont la délivrance de permis de séjour temporaires à ces réfugiés. Bien que ces permis délivrés par les autorités iraniennes régularisaient et légalisaient le statut des Afghans d’Iran, ils leur imposaient également de sévères restrictions de mouvement.
En 1976, l’Iran a adhéré à la Convention de 1951 et au Protocole de 1967 mais en formulant des réserves à quatre articles, dont l’article 26 permettant le libre mouvement des réfugiés. Les autorités iraniennes ne se sentent donc pas contraintes par les dispositions de cet article, dont la section finale exige que la partie signataire permette la liberté de mouvement des réfugiés tout en l’assujettissant aux réglementations applicables aux étrangers dans des circonstances semblables.
Depuis la délivrance de la première série de permis de résidence en 2003, les Afghans et les autres réfugiés ont été autorisés à se déplacer librement au sein de la province désignée comme leur province de résidence. En revanche, s’ils désirent se rendre dans d’autres provinces, les réfugiés doivent en informer les autorités afin d’obtenir un laissez-passer avant de prendre le départ. Sans ce document, les réfugiés n’ont pas le droit de sortir de leur province désignée ou de leur ville de résidence. Toute infraction peut entraîner l’arrestation, la détention et même l’expulsion, à la discrétion des autorités. Bien que l’obligation de détenir un laissez-passer ne constitue pas en soi un problème majeur pour les réfugiés, il arrive parfois que ces derniers aient du mal à l’obtenir, soit en raison des démarches à suivre, soit en raison des frais de délivrance à couvrir.
En outre, les réfugiés afghans ont uniquement le droit de travailler dans les limites de leur zone de résidence. Sans laissez-passer, ils ne peuvent pas quitter leur zone désignée pour aller travailler ailleurs. Seulement, il arrive que les zones de résidence désignées soient si limitées que les Afghans peinent à y trouver un emploi. De surcroît, les réfugiés afghans ont le droit d’être embauchés uniquement pour certains types d’emplois, une disposition qui limite manifestement leurs possibilités de trouver du travail.
Zones interdites
En 2007, le Conseil suprême de la sécurité nationale de l’Iran a déclaré certaines provinces, ou certaines villes dans une province donnée, comme des zones interdites aux étrangers, y compris aux réfugiés. Sur le plan juridique, cette décision se base sur l’article 13 de la Loi sur les droits d’entrée et de résidence des ressortissants étrangers en Iran, qui donne au Gouvernement le pouvoir de déclarer certaines zones comme interdites aux motifs de la «sécurité nationale», de l’«intérêt public» et de la «santé».[3] Au moment de la mise en application de cette nouvelle politique, la majorité des zones interdites déclarées étaient situées dans des zones frontalières mais elles ont ensuite été progressivement élargies, au point d’inclure aujourd’hui des provinces et des villes à travers tout le pays.
En vertu de la politique en cours, les Afghans n’ont pas le droit de résider ni de se rendre dans les zones interdites Une fois les zones interdites identifiées et publiées, les réfugiés disposent d’un délai pour décider s’ils souhaitent se réinstaller dans l’une des régions d’Iran désignées par les autorités ou être rapatriés en Afghanistan. S’ils choisissent la réinstallation, ils continuent de bénéficier de certains droits fondamentaux tels que l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement dans un environnement sûr. Toutefois, la réinstallation n’en est pas moins problématique pour les réfugiés afghans qui, après avoir vécu à un endroit donné pendant plusieurs années, ont fini par y tisser des liens économiques et sociaux et s’y créer des réseaux économiques.[4]
Les réfugiés qui ne se soumettent pas aux exigences de la politique de zones interdites se voient refuser la délivrance d’un nouveau permis de séjour, et sont alors considérés comme des ressortissants étrangers en situation irrégulière; en raison de leur nouveau statut, les forces de police ont le pouvoir de les arrêter et de les expulser vers l’Afghanistan.
Considérations humanitaires
Bien que l’établissement et la mise en œuvre de la politique des zones interdites soient juridiquement bien fondés, ils soulèvent malgré tout certaines préoccupations sur le plan humanitaire. Même si le délai accordé aux réfugiés pour préparer leur départ est important, l’impact d’un tel déplacement n’en est pas moins profond. Mais surtout, le coût de cette réinstallation est élevé pour les Afghans, qui comptent parmi les populations les plus pauvres et les plus vulnérables de la société iranienne, et la recherche d’un emploi dans leur nouvel environnement vient encore s’ajouter aux obstacles qui jalonnent leur chemin.
Afin d’atténuer les impacts socio-économiques de la réinstallation des réfugiés, les mesures suivantes pourraient être considérées avant, pendant et après la réinstallation:
- Désigner des zones de réinstallation qui soient plus proches en termes de distance comme de caractéristiques socioculturelles et environnementales relativement au précédent lieu de résidence des réfugiés. Plus le nouveau lieu de vie est proche, moins les frais de transport et de réinstallation seront élevés. Les similitudes socioculturelles et environnementales pourraient faciliter l’intégration des réfugiés dans leur nouveau cadre de vie, ce qui serait bénéfique non seulement pour eux mais aussi pour les communautés d’accueil.
- Étant donné que la réinstallation présente un coût élevé pour les réfugiés, les autorités iraniennes et les organisations internationales pourraient collaborer pour leur venir en aide, soit en leur apportant une assistance financière directe, soit en leur fournissant les équipements logistiques adaptées.
- Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la réintégration au sein de la nouvelle zone de résidence. Les ONG locales pourraient porter assistance aux réfugiés dans le domaine du logement, de l’emploi et de la scolarisation des enfants.
Farshid Farzin farzinfarshid@gmail.com et Safinaz Jadali Safinaz.jadali@gmail.com sont chercheurs indépendants et membres du personnel de l’UNHCR en Iran. Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux des auteurs et ne représentent pas nécessairement ceux de l’UNHCR.
[1] Consultez «Islam, human rights and displacement», Supplément de la Revue des migrations forcées sur le thème de l’Islam, les droits humains et le déplacement (uniquement disponible en anglais et en arabe) www.fmreview.org/human-rights
[2] Bruce Koepke «The situation of Afghans in the Islamic Republic of Iran Nine Years After the overthrow of the Taliban Regime in Afghanistan» (La situation en République islamique d’Iran neuf ans après le renversement du régime taliban en Afghanistan), février 2011 www.refugeecooperation.org/publications/Afghanistan/03_koepke.php
http://tinyurl.com/Koepke-Afghans-in-Iran-2011
[3] Branche iranienne du Conseil norvégien pour les réfugiés, Refugee matters in Iran, Vol. 1, no1, juillet 2012 www.nrc.no/arch/_img/9659994.pdf
[4] Dépêche de l’ONU, 6 juin 2012 http://tinyurl.com/UNDispatch-Shuja-060612