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Le rôle des banques multilatérales de développement pour apporter des solutions aux déplacements liés aux catastrophes
  • Christelle Cazabat, Steven Goldfinch et Faisal Abdul
  • November 2024
Une station touristique détruite par le tsunami de 2022 à Tonga qui a entraîné le déplacement de milliers de personnes, photo prise en 2023. Crédits : Christelle Cazabat

Les banques multilatérales de développement peuvent jouer un rôle clé pour résoudre la question des déplacements liés aux catastrophes en investissant dans l’atténuation des risques, dans l’adaptation au changement climatique et dans des infrastructures qui renforcent la résilience des communautés sur le long terme.

65 % des déplacements dus aux catastrophes, enregistrés dans la région Asie-Pacifique au cours des dix dernières années, concernaient des pays à revenus faibles et à revenus intermédiaires bas.[1] Un faible niveau de développement socio-économique augmente clairement le risque de déplacement dans la mesure où les personnes, les communautés et les pays les plus pauvres sont moins à même de résister à des catastrophes graves ou répétées, et aux conséquences progressives du changement climatique. Le déplacement accentue, quant à lui, le risque de pauvreté et réduit les opportunités de développement, créant ainsi un cercle de vulnérabilité aux effets durables.

On estime que le coût de l’aide d’urgence apportée aux personnes déplacées au sein de leur propre pays s’élève aujourd’hui à 20,5 milliards de dollars à l’échelle mondiale.[2] On constate aussi que le déplacement compromet souvent la capacité des personnes concernées à travailler, du moins temporairement. Sachant que 9,5 millions de personnes sont susceptibles d’être déplacées chaque année suite à des catastrophes dans la région Asie-Pacifique, ce serait 275,5 millions de dollars qui pourraient être perdus pour chaque jour de travail manqué.[3] Bien sûr, les conséquences du déplacement sur le développement vont au-delà des simples coûts et pertes financières. Le déplacement a également des répercussions négatives sur la santé et sur l’éducation des personnes concernées. Il peut aussi limiter le développement humain et les opportunités de croissance.

L’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) et la Banque asiatique de développement ont uni leurs forces pour identifier la meilleure façon dont les banques multilatérales de développement (BMD) pourraient faciliter les solutions apportées aux déplacements internes liés aux catastrophes et au changement climatique.[4] Le déplacement peut avoir pour conséquence de ralentir, voire inverser, le développement socio-économique. Non seulement l’investissement dans la prévention du déplacement et dans l’identification de solutions adaptées relèvent du mandat des BMD, mais le financement du développement peut également assurer la mise à disposition des ressources nécessaires pour traiter cette question de la manière la plus durable et la plus rentable possible.

Faire du déplacement une priorité de développement

Le déplacement doit impérativement être identifié comme une priorité de développement par le pays concerné pour permettre aux BMD de financer des initiatives dans ce domaine. Dans les cas de déplacement important, ou dans les cas de risque de déplacement, le plan de développement national du pays concerné pourrait inclure une approche nationale. Dans d’autres contextes, l’inclusion des besoins liés au déplacement dans les plans sectoriels ainsi que dans les stratégies d’adaptation au changement climatique à moyen et long terme, et dans les plans nationaux de gestion des risques de catastrophe, peut permettre d’orienter les mesures à prendre et le financement requis.

Certains pays ont déjà élaboré des politiques, des stratégies ou des plans nationaux concernant spécifiquement le déplacement. Ils établi une politique claire pour traiter cette question dans divers secteurs dans le cadre d’une approche coordonnée et cohérente. Dans la région Asie-Pacifique, de nombreuses nations comme les Fidji, le Vanuatu, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et les Philippines incluent aujourd’hui le déplacement dans leur architecture politique nationale, et leur modèle pourrait servir de base aux investissements des BMD. Dans les pays sans politique ni cadre spécifiquement liés au déplacement, ou qui n’incluent pas le déplacement dans leurs politiques, les BMD peuvent proposer une assistance technique afin d’élaborer des directives et des cadres axés sur les vecteurs de déplacement, leurs impacts et leurs risques.

Le soutien financier des priorités liées au déplacement devrait se fonder sur une estimation des impacts actuels et à venir du déplacement, et identifier les besoins de financement ainsi que le retour sur investissement potentiel en termes de résultats de développement. Pour qu’un projet soit financé par les BMD, il doit impérativement démontrer qu’il est viable et qu’il répond efficacement aux besoins et aux impacts identifiés. Or, on constate de nombreuses lacunes dans les données disponibles sur l’ampleur et les conséquences des déplacements internes liés aux catastrophes et au changement climatique, ainsi que sur leurs impacts sur le développement socio-économique à plus long terme.

Une évaluation de l’IDMC réalisée en 2021 dans la région Asie-Pacifique a révélé que 32 pays sur 65 ne communiquaient aucune information à propos du nombre de personnes évacuées ou déplacées de manière préventive pendant et après les catastrophes, du nombre d’habitations détruites et de la durée de ces déplacements. Ces lacunes empêchent bien souvent les gouvernements de préparer des analyses de rentabilisation qui permettraient d’obtenir des investissements pour prévenir les déplacements et trouver des solutions adaptées au déplacement. Les BMD peuvent intervenir à ce niveau et aider les gouvernements à obtenir les informations dont ils ont besoin en investissant notamment dans des systèmes de données nationaux, comme des services statistiques, une assistance technique, des programmes de subventions de recherche ou des analyses menées par les BMD.

Une fois ces exigences remplies, les pays pourront utiliser le financement accordé par les BMD pour le développement afin de réduire le risque de déplacement, de répondre aux besoins immédiats des personnes déplacées et des communautés d’accueil, et d’investir dans une planification à plus long terme (dans les zones d’origine ou de destination) pour, au final, proposer des solutions durables. Ce soutien pourrait se présenter sous diverses formes : soutien structurel dans le cas d’infrastructures physiques, ou soutien non structurel dans le cas des prestations de services ou de l’élaboration de politiques.

Comment le soutien des BMD en matière de développement peut-il apporter une solution en matière de déplacement ?

L’un des moyens les plus efficaces de traiter la question des déplacements liés aux catastrophes est d’investir dans des solutions qui limitent leurs causes profondes, qui atténuent l’impact destructeur qu’ont les catastrophes subites sur le logement et d’autres infrastructures, et qui réduisent la détérioration des moyens de subsistance attribuable aux effets du changement climatique. Les BMD peuvent soutenir ces efforts en finançant des initiatives gouvernementales axées sur l’atténuation du changement climatique, l’adaptation à ces phénomènes, la réduction des risques de catastrophe ou les programmes de réinstallation.

Les BMD ont déjà une grande expérience en matière d’investissement dans la réduction des risques de catastrophe et dans le renforcement de la résilience des communautés et des systèmes face aux dangers et aux crises. Plus de 45 % des projets financés par la Banque asiatique de développement en 2023 incluaient des éléments de gestion des risques liés aux catastrophes. Il s’agit donc là d’un terrain particulièrement favorable pour introduire des mesures permettant de réduire les déplacements et d’investir dans la résilience des communautés vulnérables par le biais d’initiatives de réduction des risques. Ces mesures englobent la gestion des risques d’inondation et de l’érosion fluviale, l’amélioration des productions agricoles par l’irrigation, et l’introduction de cultures résilientes au climat. D’autres mesures pertinentes peuvent être envisagées : élargissement de l’accès aux marchés par l’amélioration des routes et des chaînes d’approvisionnement, financement et transfert des risques au moyen de programmes de crédit et d’assurance, et gouvernance des risques par le renforcement des codes du secteur du bâtiment, des exigences de conformité, et des systèmes d’alerte précoce.

Dès lors que les gouvernements de pays à revenus faibles seront mieux préparés pour obtenir ce type d’investissements, on pourra envisager une amélioration du nombre et de la qualité de leurs demandes. Des mécanismes de financement fondés sur les prévisions pourraient également s’avérer utiles pour atténuer le risque de déplacement et réduire ses conséquences négatives sur les populations et le développement. Ces mécanismes associent des données historiques à des prévisions météorologiques pour anticiper des événements météorologiques extrêmes et leurs conséquences. Ils peuvent également débloquer automatiquement des fonds pour financer en amont des interventions d’urgence.

Lorsque le déplacement est considéré comme une problématique de développement prioritaire, les gouvernements peuvent utiliser leurs prêts basés sur les taux du marché ou, pour les pays à revenus faibles, les prêts qui leur auront été accordés à des conditions préférentielles. Les pays qui nécessitent un soutien concessionnel supplémentaire pourront utiliser des ressources proposées sous forme de dons, sachant toutefois que celles-ci sont généralement limitées. Au vu de ces contraintes, l’intégration du déplacement dans les projets sectoriels présente de nombreux avantages, notamment pour résoudre les causes profondes du déplacement et atteindre les personnes déplacées ainsi que les personnes à risque de déplacement.

Les projets d’infrastructure à grande échelle, les projets de développement urbain (comme la construction de logements abordables et l’élaboration de modèles d’urbanisme durables) et les investissements consacrés aux secteurs de la santé et de l’éducation sont essentiels pour assurer la résilience à long terme des communautés face au changement climatique et aux catastrophes naturelles. À titre d’exemple, on notera qu’à Jakarta, les personnes disposant de revenus élevés et de bonnes conditions de logement sont peu souvent déplacées par les inondations qui affectent le pays. Inversement, on trouve chez les personnes déplacées pendant des années, suite au tremblement de terre qui a frappé leNépal en 2015, un plus grand pourcentage de gens n’ayant pas fait d’études. Le développement socio-économique peut donc contribuer à retarder ou à prévenir le déplacement en proposant davantage d’options d’adaptation. Il peut également favoriser l’intégration durable ou le retour des personnes déplacées. Outre les allocations qu’elles versent régulièrement aux pays concernés, les BMD proposent des fonds thématiques et des fonds spéciaux pour soutenir certains programmes. Ces programmes concernent généralement la réinstallation de populations affectées ou leur relocalisation volontaire et durable dans des zones plus sûres.

Les prêts subordonnés à la mise en place de réformes politiques peuvent, quant à eux, offrir aux emprunteurs du secteur public un soutien budgétaire efficace dans le cas de pays dont le budget annuel présente un déficit de financement. Le prêt (ou la subvention) n’est décaissé que lorsque l’emprunteur finalise les réformes ou les mesures convenues. Bien qu’il soit peu probable que le déplacement proprement dit fasse l’objet d’un prêt ou d’une subvention axé sur une politique, cette question peut toutefois être abordée dans le cadre de réformes visant à renforcer la résilience. On notera cependant que les instruments classiques comme les prêts-programmes présentent des contraintes inhérentes en termes de rapidité ou de flexibilité. Celles-ci peuvent empêcher le déploiement de réponses rapides et efficaces face aux problèmes de déplacement, d’où la nécessité d’apporter des solutions de financement plus souples et plus modulables.

Le financement des BMD suite à une catastrophe

Suite à une catastrophe, les BMD proposent des liquidités immédiates en décaissant rapidement des fonds pour soutenir les services de base des zones affectées. Elles jouent également un rôle essentiel en finançant la reconstruction de logements, d’installations et d’infrastructures communautaires pour assurer la résilience à long terme des communautés touchées. L’Association internationale de développement (IDA) de la Banque mondiale propose un Guichet spécial de financement de ripostes à la crise (CRW), qui fournit des fonds immédiats aux pays touchés par des événements d’une gravité exceptionnelle. Dans le cadre du tremblement de terre qui a frappé Gorkha au Népal en 2015, la Banque mondiale a investi dans la restauration de 55 000 maisons situées dans des zones ciblées en fournissant des unités d’habitation capables de résister à différents types de risques. Elle a également aidé le gouvernement népalais à améliorer sa résilience à long terme face aux catastrophes.

La BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) a, quant à elle, consacré des fonds à la réponse aux tremblements de terre qui ont affecté la Turquie en 2023. Son aide comprenait notamment des lignes de crédit à hauteur de 600 millions d’euros proposées à des banques locales pour aider les entreprises et les particuliers directement touchés par ces tremblements de terre, ainsi que de nouveaux prêts pour les entreprises qui participaient aux efforts de sauvetage et de reconstruction dans la région. En investissant dans la reconstruction d’infrastructures durables et en soutenant l’économie pour préserver le capital humain, les moyens de subsistance et les emplois dans les villes concernées, ce projet devrait limiter la durée du déplacement, faciliter le retour des personnes déplacées au sein de leur propre pays et soutenir leur réintégration.

Prochaines étapes

Les banques multilatérales de développement jouent déjà un rôle essentiel et pourront jouer un rôle encore plus important à l’avenir pour lutter contre les causes profondes du déplacement, soutenir les communautés concernées et investir dans des solutions à plus long terme. Non seulement leurs mécanismes de financement sont à même de fournir des fonds immédiats pour répondre à une catastrophe et organiser le redressement qui s’ensuit, mais ces systèmes permettent aussi de réduire le risque de déplacements en favorisant la reconstruction de logements et d’infrastructures plus résilients. Les investissements effectués en faveur de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique, de la réduction des risques de catastrophe, du développement urbain, des soins de santé, de l’éducation et des moyens de subsistance sont, quant à eux, essentiels pour garantir la résilience à long terme des communautés face au changement climatique et aux catastrophes.

Pour permettre aux BMD de jouer un rôle plus actif dans ces solutions, il faudra toutefois revoir la façon dont sont perçus les déplacements internes, et passer d’une vision purement humanitaire à une perspective de développement. Cette transition doit se manifester à travers les politiques, les budgets et les plans nationaux. Les BMD peuvent participer à cette démarche en soulignant la nécessité d’inclure le déplacement dans la planification du développement des pays concernés, en soutenant la mise en place de systèmes plus efficaces pour traiter les données au niveau national, et en encourageant l’adoption de politiques qui incluent les déplacements. Elles peuvent également inciter les gouvernements à traiter le déplacement comme une question de développement à travers des approches plus inclusives, plus complètes et plus efficaces.

 

Christelle Cazabat
Responsable de Programmes, Internal Displacement Monitoring Centre
christelle.cazabat@idmc.ch

Steven Goldfinch
Principal spécialiste en gestion des risques de catastrophes, Banque asiatique de développement
sgoldfinch@adb.org

Faisal Abdul
Consultant, Banque asiatique de développement
aabdul.consultant@adb.org

 

[1] Analyse basée sur les données de la Global Internal Displacement Database de l’Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC) www.internal-displacement.org/database/displacement-data/

[2] IDMC (2021) Unveiling the cost of internal displacement bit.ly/cost-internal-displacement

[3] IDMC (2022) Disaster Displacement in Asia and the Pacific bit.ly/disaster-displacement-asia-pacific

[4] IDMC et ADB (2024) Harnessing Development Financing for Solutions to Displacement in the context of disasters and climate change in Asia and the Pacific bit.ly/development-finance-displacement

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