Skip to content
Optimiser la situation actuelle du financement humanitaire pour soutenir les communautés déplacées
  • Ciaran Donnelly et Reva Dhingra
  • November 2024
Projet de panneaux solaires et d’infrastructures hydrauliques organisé par l’IRC dans le centre de la Somalie, 2022. Crédits : IRC

Le secteur humanitaire fait face à un déficit de financement sans précédent. Les organisations doivent faire des choix difficiles en privilégiant certaines populations. Cet article met en évidence quatre principes permettant de définir efficacement un périmètre à l’action humanitaire.

En 2023, le système humanitaire a fait face au manque de financement le plus important de toute son histoire. À la suite de nouvelles violences en Ukraine, au Soudan et à Gaza (s’ajoutant aux nombreuses crises existantes), le rapport Aperçu de la situation humanitaire mondiale de 2023 faisait état d’un appel de fonds mondial d’une valeur record, à hauteur de 56,7 milliards de dollars. Pourtant, en janvier 2024, à peine 40 % de cette somme avait été levée. Il manque donc 33,6 milliards de dollars. Au final, l’action humanitaire a touché moins de personnes en 2023 par rapport à 2022 (128 millions contre 157 millions). En outre, tous les signaux indiquent que le sous-financement semble amené à durer, parce que les donateurs traditionnels ont du mal à augmenter leur financement au rythme des besoins ou parce qu’ils doivent réduire leur aide.

Le déficit de financement a accéléré la nécessité de repenser entièrement le système. Dans l’Aperçu de la situation humanitaire mondiale de 2024, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (l’OCHA) a diminué la demande globale de financement par rapport à 2023. Il a également réduit le nombre de personnes dans le besoin ciblées de plus de 63 millions.

Cette diminution reflète la stratégie de l’OCHA et des plans nationaux de réponse humanitaire, qui consiste depuis deux ans à mettre l’accent sur la délimitation d’un périmètre et sur la définition de priorités. La délimitation d’un périmètre implique de déterminer les secteurs, activités et zones géographiques qui doivent figurer dans un Plan de réponse humanitaire. Pour cela, on s’appuie sur des évaluations des besoins, ainsi que sur une étude des capacités des organisations individuelles, des capacités d’une réponse plus large et des contraintes opérationnelles. La définition de priorités peut consister à définir des réponses ciblées en fonction des besoins les plus urgents et les plus vitaux. Ainsi, on se concentre sur des zones géographiques ou sur des facteurs propres au contexte, en privilégiant par exemple des programmes destinés à la construction ou au renforcement de systèmes de services.

Bien que difficiles à appliquer et parfois controversés, les principes de délimitation d’un périmètre et de définition de priorités sont très importants pour le secteur humanitaire, car ils permettent de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables dans le monde. Depuis plusieurs années, l’implication des donateurs n’est pas à la hauteur de l’augmentation des besoins humanitaires et de la multiplication des appels. Le secteur humanitaire est également confronté à une véritable crise ; non seulement il est à cours d’argent, mais le système tout entier semble être dans une impasse. La transformation de cette crise en réforme concrète est attendue depuis longtemps.

Malgré tout, il existe un risque : ce processus pourrait laisser de côté des millions de personnes dans le besoin et nuire à la progression des approches de plus long terme centrées sur la résilience, en particulier pour les personnes déplacées dans leur propre pays et les réfugiés qui subissent des crises longues et appartiennent à des groupes marginalisés. À elles seules, la délimitation d’un périmètre et la définition de priorités ne suffiront pas à résoudre l’écart considérable qui existe entre les besoins et le financement des donateurs. Les donateurs doivent impérativement répondre à la hausse des déplacements forcés causée par l’incapacité politique collective à prévenir de nouveaux conflits et à résoudre les crises persistantes. Néanmoins, dans ce nouveau contexte du financement humanitaire, une approche collective délibérée du secteur humanitaire est nécessaire pour faire en sorte que les ressources, peu abondantes, atteignent autant de personnes dans le besoin que possible.

Impacts de la délimitation d’un périmètre et de la définition des priorités

Le recours à la délimitation d’un périmètre et à la définition de priorités prend différentes formes selon les actions pour divers pays. Dans de nombreux cas, cela s’est traduit par un ciblage géographique plus restreint et par une réduction globale du nombre de bénéficiaires de l’aide humanitaire. Selon une analyse de Humanitarian Funding Forecast, le rapport Aperçu de la situation humanitaire mondiale se fixait en 2023 un objectif de 68 % de personnes dans le besoin prises en charge, tandis que l’Aperçu de 2024 ne vise que 60 %.

Cela signifie également que l’Aperçu et les Plans de réponse nationaux privilégient à nouveau l’aide d’urgence, tout en plaidant pour un renforcement des actions de développement complémentaires. Le Plan de réponse humanitaire de 2024 pour la Somalie a supprimé de ses programmes prioritaires la résilience, les moyens de subsistance non urgents et les solutions durables pour les personnes déplacées internes. Ce Plan précise que ces programmes doivent être coordonnés en passant par des mécanismes autres qu’humanitaires. Le Plan de réponse régional de 2024 pour les réfugiés de Syrie se concentre sur l’aide apportée aux personnes les plus dans le besoin, par le biais d’une aide pécuniaire et d’interventions alimentaires. Et en effet, il met l’accent sur le renforcement des systèmes nationaux pour subvenir aux besoins des personnes déplacées.

À bien des égards, ce processus n’est de toute façon que le simple reflet de la situation actuelle. Suite à la réduction de l’aide humanitaire, les réfugiés syriens ont fait face à des coupes progressives dans les aides de base ; ainsi, la réponse humanitaire de 2023 n’était financée qu’à 31 %. Faire en sorte que ce financement limité atteigne les populations qui en ont le plus besoin est fondamental. À ce titre, la définition des priorités a désormais toute sa place aux côtés des évaluations de la vulnérabilité. Toutefois, lorsque neuf réfugiés syriens sur dix au Liban vivent dans des conditions d’extrême pauvreté et subissent une intensification des menaces contre leur protection, ainsi qu’une exclusion des services nationaux, la conséquence d’une telle stratégie est inévitable : certaines personnes en situation critique auront accès à l’aide de première nécessité, tandis que d’autres non.[i]

À l’occasion d’une visite récente en Somalie, nous avons constaté qu’en raison de la définition de priorités géographiques, des zones plus stables avaient été écartées de la liste de priorités dans le cadre de la réponse humanitaire. Force est de constater que les donateurs dans le domaine du développement n’ont pas encore pris le relais pour combler le déficit de financement. Ainsi, les avancées durement acquises dans des zones qui accueillent des milliers de personnes déplacées internes et qui tentent de se remettre d’une sécheresse pourraient bien régresser à l’avenir.

Pour nous assurer que la délimitation d’un périmètre et la définition de priorités se traduisent bien en une réponse humanitaire globale plus efficiente, plus efficace et plus inclusive pour les communautés déplacées, nous mettons l’accent sur quatre principes clés : la rentabilité et l’efficacité, l’inclusion des plus vulnérables, le contrôle local des actions, et les partenariats volontaires avec des acteurs du développement.

Principe 1 : rentabilité et efficacité

La rentabilité et l’efficacité doivent être au cœur des réponses humanitaires. Ce principe nécessite la meilleure répartition possible des ressources pour obtenir un impact maximal dans la gestion des besoins humanitaires. L’objectif est de toucher autant de personnes vulnérables et victimes de conflits que possible. Cela passe par l’amélioration des opérations d’organisations individuelles, ainsi que par un changement de la conception et du financement des programmes au niveau du secteur, en collaboration avec les donateurs, les gouvernements et la société civile locale.

Dans le cadre du processus de délimitation d’un périmètre et de définition des priorités, les acteurs doivent trouver le moyen de collaborer pour éviter les variations de coûts trop importantes pour des interventions similaires. Ils doivent en outre partager leurs connaissances au sujet de l’efficience et de l’efficacité. L’International Rescue Committee (IRC) a mis au point un outil innovant, appelé Dioptra, et uni ses forces à celles d’autres ONGI pour l’utiliser. Cet outil nous permet d’analyser les coûts des interventions dans le cadre de divers programmes par rapport à leurs résultats et à leurs réalisations.

Nous devons également intégrer des preuves de rentabilité dans les décisions relatives aux programmes. L’un des exemples majeurs de cette approche basée sur la preuve est l’expansion du recours à l’aide pécuniaire sur les marchés qui fonctionnent, car c’est une aide efficace qui laisse de l’autonomie aux bénéficiaires. Malgré tout, il reste encore beaucoup de travail pour nous assurer que nous utilisons les ressources au mieux.

Enfin, les gains acquis grâce aux économies d’échelle doivent aussi être pris en considération. Une Analyse de la rentabilité de l’IRC datée de 2015 indiquait que le principal facteur de rentabilité était l’ampleur du déploiement des programmes, car un déploiement à grande échelle permet aux coûts fixes des interventions d’être étalés à travers un large vivier de bénéficiaires. Réduire le nombre de bénéficiaires sans réduire les coûts par bénéficiaire, et ainsi potentiellement perdre les gains d’échelle, se révèle en fin de compte contre-productif pour l’objectif de développement de réponses humanitaires plus efficaces.

Principe 2 : inclusion des plus vulnérables

Les acteurs du secteur humanitaire doivent veiller à ce que les voix des populations touchées et les besoins des groupes marginalisés soient au cœur à la fois des évaluations des besoins et de la définition des priorités des réponses humanitaires. La définition des priorités doit prendre en compte l’impact inégal qu’ont les conflits et les déplacements sur les groupes marginalisés, notamment les réfugiés en situation de handicap, les survivants de violences sexistes et sexuelles (VSS) et les populations déplacées dans des zones difficiles à atteindre.

Privilégier la rentabilité et l’efficacité implique l’utilisation de ressources pour maximiser l’impact sur les populations touchées. Il ne s’agit pas simplement d’une approche utilitaire des programmes humanitaires. Proposer un programme basé sur la santé mentale aux survivants de VSS déplacés qui arrivent dans un camp de transit reculé peut coûter plus cher que le simple apport d’une aide pécuniaire ; malgré tout, c’est ce qui doit être fait en priorité. Sans une inclusion effective des personnes les plus marginalisées, les réponses humanitaires risquent d’exacerber les inégalités au lieu de les réduire.

Les voix des personnes déplacées internes et des réfugiés sont également constamment exclues de la planification et de l’élaboration de politiques dans les réponses humanitaires. Le récent Examen indépendant de l’action humanitaire dans les situations de déplacement interne recommandait la formation d’organisations de représentants des personnes déplacées internes, qu’il faudrait intégrer aux actions prévues dans les situations de déplacement interne de grande ampleur, y voyant un moyen possible d’inclure le point de vue de ces personnes dans la définition des priorités et dans la planification.

Principe 3 : contrôle local des réponses aux crises

Le troisième principe clé devrait être le transfert du contrôle des réponses humanitaires aux organisations et gouvernements locaux, par le biais de financements et de partenariats. Malgré le développement actuel d’un phénomène de décentralisation au sein du secteur, en 2022, seuls 485 millions de dollars (soit 1,2 % de l’aide humanitaire) ont été transmis directement à des acteurs locaux et nationaux. Quant aux données sur les montants ayant atteint des organisations locales via des partenariats, elles sont incohérentes.[ii] La situation des organisations dirigées par des réfugiés est encore pire : seuls 26,4 millions de dollars leur ont été alloués en 2022 à travers des financements humanitaires et de développement.[iii] Le secteur peut et doit mieux faire en respectant ses engagements en faveur de la décentralisation. Des donateurs tels que la Fondation Conrad N. Hilton proposent déjà un plan d’action. Cette fondation fournit actuellement 46 % de l’ensemble du financement des organisations de réfugiés dans le monde.

Les partenariats avec les gouvernements sont eux aussi essentiels pour assurer la viabilité et le déploiement à grande échelle. Dans certains contextes de conflit où le gouvernement lui-même peut cibler les populations déplacées ou n’est pas présent dans les zones touchées, cette approche peut s’avérer impossible. En revanche, dans de nombreux contextes, les partenaires publics, qu’ils soient municipaux ou nationaux, existent bel et bien et ne doivent pas être supplantés dans les processus de fourniture des services.

Par exemple, citons le programme Ahlan Simsim d’IRC, qui visait à intégrer le développement de la petite enfance aux services nationaux pour l’éducation, la santé et la protection des réfugiés, des personnes déplacées internes, et des communautés d’accueil en Irak, en Jordanie, au Liban et en Syrie. En Irak, ce programme s’est associé au ministère de l’Éducation pour intégrer des ressources de développement de la petite enfance à l’enseignement national, avant de transférer les pleins pouvoirs au ministère. En Syrie, où il n’était pas possible de recourir à des partenariats avec le gouvernement, l’IRC a contribué à rassembler des partenaires locaux d’organisations de la société civile, de façon à créer un réseau de la société civile pour le développement de la petite enfance. Ainsi, le contrôle local du programme a pu être assuré, une étape essentielle pour obtenir un impact durable.

Principe 4 : partenariats avec des acteurs du développement

Le dernier principe est celui des partenariats avec des acteurs du développement. La délimitation d’un périmètre ne signifie pas ériger une barrière et ignorer tout ce qui se trouve en dehors. Cela consiste plutôt à recourir à l’aide au développement complémentaire pour aider les communautés à passer du choc du conflit et du déplacement au redressement sur le long terme. Pourtant, les pays touchés par des conflits sont moins susceptibles de percevoir des financements pour le développement. De fait, ils doivent alors puiser dans les ressources humanitaires pour couvrir des services de base.

Tandis que des agences multilatérales, comme la Banque mondiale, développent des programmes essentiels dans des contextes de conflit, les contraintes opérationnelles peuvent entraîner des retards et des suspensions de projets. Les seuils de risque et les problèmes d’accès empêchent souvent les agences d’atteindre les régions qui échappent au contrôle des gouvernements, ce qui prive les personnes déplacées et les communautés d’accueil d’une aide au développement vitale. Les mécanismes de coordination des réponses humanitaires et en faveur des réfugiés sont souvent distinctes de la coordination des actions de développement, ce qui crée des barrières supplémentaires au redressement à long terme pour les populations.

Pour que les actions de développement complémentaires obtiennent de meilleurs résultats pour les populations déplacées, les acteurs du secteur humanitaire doivent activement collaborer et s’associer avec des acteurs du développement en dehors des Plans de réponse humanitaire. Ces partenariats peuvent aller des simples consultations pour mettre en œuvre un projet d’infrastructure géré par le gouvernement en intégrant les réfugiés et les personnes déplacées internes au processus, jusqu’à la mise en œuvre du projet en intégralité pour les personnes déplacées internes dans des zones de conflit hors du contrôle de l’État. Par exemple, l’IRC a conseillé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sur la façon de prendre en compte les besoins et les opinions des réfugiés syriens dans un projet de gestion des eaux usées à Irbid, en Jordanie.[iv]

Perspectives d’avenir

Le nombre de personnes déplacées dans le monde dépasse désormais les 120 millions. Le secteur humanitaire doit donc utiliser ce moment comme un moteur pour le changement. Même avec la délimitation d’un périmètre et la définition des priorités dans les réponses aux crises humanitaires, il existera toujours un écart conséquent entre ces besoins déjà restreints et le financement disponible. Une aide supplémentaire des donateurs est cruciale pour que les communautés déplacées puissent survivre et se reconstruire.

Malgré tout, il est aussi de notre responsabilité de faire avec ce que nous avons. Il est fondamental d’utiliser les rares aides de manière efficace et rentable et d’inclure les voix des populations concernées et des plus vulnérables lorsque nous délimitons des périmètres d’action et définissons des priorités. Les acteurs internationaux doivent travailler au sein de nos organisations, entre les différentes agences, et avec les acteurs locaux et les gouvernements donateurs pour s’assurer que nos programmes atteignent ces objectifs. Le secteur doit aussi respecter ses engagements en faveur d’un contrôle local des actions et bâtir des partenariats volontaires avec le secteur du développement pour que les plans de redressement à long terme reflètent les besoins des réfugiés et des personnes déplacées internes. Des réseaux d’ONG et des forums communs entre donateurs et acteurs chargés de la mise en œuvre de l’aide, tels que Grand Bargain et le Comité permanent inter-organisations (IASC), offrent des pistes pour coordonner ces activités, bien que les progrès soient lents. Ce qui est sûr, c’est que le statu quo n’est pas viable pour les populations avec lesquelles nous travaillons. L’heure du changement est venue.

 

Ciaran Donnelly
Vice-président senior, Réponse aux crises, redressement et développement (CRRD), International Rescue Committee
Ciaran.donnelly@rescue.org
X : @donnciar

Reva Dhingra
Conseillère Politiques et planification, CRRD, International Rescue Committee
reva.dhingra@rescue.org
linkedin.com/in/reva-dhingra-75513636/

 

[ii]Development Initiatives (2023) Global Humanitarian Assistance Report bit.ly/better-humanitarian-system

[iii] The New Humanitarian (2024) « How to fund refugee-led aid » bit.ly/fund-refugee-led-aid

[iv] IRC (2024) Piloting New Partnerships between Humanitarian and Development Actors bit.ly/piloting-new-partnerships

READ THE FULL ISSUE
DONATESUBSCRIBE