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Philanthropie participative en Asie-Pacifique – étude de cas d’un fonds d’une organisation dirigée par des réfugiés subventionnant d’autres organisations dirigées par des réfugiés
  • Thomas Gillman, Najeeba Wazefadost, Mike Poots et Adama Kamara
  • November 2024
Le programme de petites subventions d’APNOR soutient les communautés de réfugiés en leur proposant notamment des panneaux solaires et du matériel de cuisine. Crédits : APNOR

Qu’est-ce que la philanthropie participative en pratique ? Cet article traite du processus de mise en place du fonds commun de l’Asia Pacific Network of Refugees (APNOR) pour les organisations dirigées par des réfugiés dans la région.

L’implication significative des réfugiés jouit d’une reconnaissance croissante non seulement comme impératif moral, mais aussi comme stratégie d’élaboration de politiques et de programmes plus efficaces et légitimes. Cette évolution importante vers une plus grande participation des réfugiés aux processus décisionnels et aux mécanismes de financement prend de l’ampleur à l’échelle mondiale, comme en témoignent des initiatives telles que le Grand Bargain et le Refugee Participation Pledge. Au niveau local, des actions de plaidoyer puissantes, comme celles menés par l’Asia Pacific Network of Refugees (APNOR), soulignent l’importance de ce mouvement, incarné par la devise « rien sur nous sans nous ».

Les réfugiés sont en première ligne pour répondre aux crises au sein de leurs communautés. Pourtant leurs droits sont souvent réduits, et leurs contributions presque toujours non rémunérées, ce qui les contraint à faire des arbitrages entre génération de revenus, soins apportés à leur famille et problèmes pratiques comme l’absence d’enregistrement ou le manque de compétences linguistiques. En outre, les représentants des réfugiés et les organisations dirigées par des réfugiés souffrent d’opportunités de financement restreintes, car ils sont souvent empêchés d’ouvrir des comptes en banque ou de se constituer en entités légalement immatriculées dans les pays d’accueil.

En tant qu’organisation/initiative dirigée par des réfugiés (RLO/I), APNOR a pleinement conscience de ces difficultés et s’engage à renforcer la participation et la voix des réfugiés dans les processus philanthropiques de la région Asie-Pacifique. Nous avons mis en place un fonds commun dirigé par des réfugiés, conçu pour soutenir le travail essentiel des RLO/I sur la base des principes de la philanthropie participative. La phase pilote de ce fonds est terminée et le prochain cycle de financement sera bientôt lancé. Nous espérons qu’il constituera une source continue de financement pour les RLO/I en Asie-Pacifique.

La création du fonds commun pour les RLO/I en Asie-Pacifique

Le fonds commun d’APNOR se veut inclusif et axé sur les réfugiés. APNOR s’appuie sur ses vastes réseaux et l’expérience vécue de ses administrateurs pour établir un processus de diligence raisonnable fondé sur la confiance, permettant d’évaluer les candidats et de s’assurer que les RLO/I peuvent présenter des demandes de financement, même sans immatriculation officielle ou compte en banque. Des méthodes de transfert flexibles, telles que Wise, Hawala et Western Union, sont utilisées pour répondre aux besoins de chaque RLO/I retenue. D’autres solutions comme la collaboration ou les partenariats avec d’autres intervenants jouant le rôle de tiers de confiance peuvent aussi être envisagées. Par exemple, des sponsors fiscaux ou des arrangements d’auspice peuvent combler des lacunes juridiques ou financières, et les RLO sont encouragés à formaliser leurs partenariats par le biais de mémorandums d’accord.

Notre initiative remet en question la dynamique de pouvoir traditionnelle entre bailleurs de fonds et bénéficiaires, dans laquelle les bailleurs de fonds prennent des décisions en fonction de leurs priorités, laissant peu de place à l’influence des bénéficiaires. Pour rétablir un équilibre, notre programme pilote a inclus les bénéficiaires dans la conception des subventions. APNOR s’emploie à transformer le secteur de l’aide en fournissant un financement direct aux RLO/I dans la région et en soutenant le renforcement des capacités.

Le pilote du fonds commun a été soutenu par trois grandes institutions philanthropiques internationales, toutes résolument engagées à promouvoir le leadership des réfugiés. Le fonds commun est un modèle durable et flexible qui accepte des contributions de différents montants de la part de nombreux donateurs, permettant ainsi aux petites contributions d’avoir un impact considérable sur une large gamme de RLO/I. La phase pilote a permis d’obtenir une somme totale de 400 000 USD, attribuée à 21 candidats retenus, les subventions allant de 1 340 USD à 30 250 USD.

La motivation des donateurs à soutenir ce fonds commun réside essentiellement dans une forte communauté de valeurs. S’appuyant sur un engagement commun en faveur du leadership des réfugiés, le fonds a permis aux donateurs de soutenir directement des RLO/I que les contraintes institutionnelles ne les auraient peut-être empêché d’atteindre. Le fonds commun a joué le rôle d’intermédiaire entre les donateurs et les RLO/I, inaugurant une forme nouvelle, innovante et efficace d’allouer des fonds. En outre, APNOR a beaucoup mis en avant le développement des capacités des RLO/I tout au long du processus pour leur permettre, à l’avenir, d’interagir directement avec les donateurs.

Expérimenter et adopter les meilleures pratiques en matière d’octroi de subventions participatives

Le fonds commun d’APNOR a été conçu pour offrir un financement sans restrictions aux RLO/I, leur permettant de développer des compétences, de renforcer leur capacité organisationnelle et d’utiliser les fonds selon leurs propres priorités. Un processus participatif a conduit à la création des outils de subvention, comme le formulaire de candidature, les directives, les modèles de rapport et les critères d’évaluation, afin de veiller à ce que les bénéficiaires visés aient un rôle déterminant dans l’élaboration de ces outils. Ce processus a favorisé une communication bilatérale, ainsi que l’apprentissage et le partage d’expériences.

Le fonds adhère aux cinq piliers fondamentaux des meilleures pratiques en matière de financement participatif :[1]

  1. la clarté de la philosophie de subventionnement ;
  2. l’engagement à renforcer les capacités et la résilience des organisations à but non lucratif ;
  3. le soutien à la mise à échelle, à la reproduction et à la collaboration ;
  4. l’amélioration des relations entre bailleurs de fonds et demandeurs de subventions ;
  5. et le renforcement de la confiance, des compétences et des ressources pour intégrer des approches d’évaluation et d’impact social.

Le premier pilier repose sur une philosophie claire qui se concentre sur les besoins des réfugiés. APNOR et la Refugee Leadership Alliance (RLA) sont dirigés par des réfugiés et visent à financer directement les RLO/I dans la région tout en proposant un soutien au renforcement des capacités selon les besoins exprimés par les réfugiés. Les directives et les cadres d’établissement de rapports sont axés sur les RLO/I et visent à illustrer les meilleures pratiques, en travaillant en solidarité avec elles, en reconnaissant leurs atouts et les difficultés qu’ils rencontrent, tout en respectant la législation en vigueur.

Le deuxième pilier reflète notre approche participative de création de la subvention. Celle-ci a permis aux RLO/I de déterminer les compétences et les domaines à développer qui ont éclairé le programme de renforcement des capacités personnalisé d’APNOR. Cette approche fait en sorte que le processus de demande devienne lui-même une opportunité d’apprentissage.

Le troisième pilier reflète l’aspiration d’APNOR et de la RLA à transformer ce projet pilote en une source de financement durable pour les RLO/I dans la région Asie-Pacifique. Cela comprendrait des formations supplémentaires au renforcement des capacités, axées sur des sujets essentiels tels que la gestion de projet, le développement organisationnel, les techniques comptables, ainsi que des opportunités de mise en réseau et d’apprentissage et de soutien entre pairs.

Le quatrième pilier reprend l’objectif de ce projet de connecter les RLO/I avec de nouveaux donateurs, facilitant ainsi les opportunités de financement à venir et renforçant les relations.

Le cinquième repose sur la conception de l’évaluation et de l’impact social du projet pilote. Nous avons évalué comment le projet pilote a contribué à atteindre les objectifs de développement durable sélectionnés. Nous sollicitons des retours continus de tous les participants pour améliorer le programme, en organisant des réunions de réflexion régulières pour discuter des enseignements tirés et mettre en œuvre les ajustements nécessaires.

Élaboration des outils d’administration des subventions

APNOR a réalisé des consultations approfondies afin de créer des outils de subvention efficaces et de respecter les meilleures pratiques. L’objectif de ce processus était de permettre un apprentissage bilatéral, tant pour le donateur que pour le bénéficiaire, afin de comprendre comment fonctionnent les processus de financement et comment ils pourraient être améliorés. Cela impliquait d’utiliser plusieurs boucles de rétroaction pour modifier les dynamiques de pouvoir traditionnelles et établir un système mettant en avant les points de vue des bénéficiaires.

Les co-présidents des administrateurs du fonds commun RLA ont mené des entretiens en ligne individuels avec des RLO/I concernées dans la région Asie-Pacifique. Ces co-présidents ont soigneusement sélectionné les personnes à interviewer et ont adopté une approche axée sur les droits en sollicitant un consentement signé ou verbal et en fournissant des informations détaillant l’étendue du projet et l’utilisation de leurs contributions.

Les questions posées lors des entretiens concernaient le processus de demande, les objectifs, les progrès réalisés, les rapports de justification des dépenses, les questions transversales, le suivi et l’évaluation, ainsi que les critères d’évaluation. Six entretiens virtuels ont été réalisés avec des RLO/I ayant des niveaux d’expérience variés, depuis les entités bien établies jusqu’aux organisations les plus récentes. Les transcriptions de ces entretiens ont été partagées avec les participants pour approbation et afin de garantir leur exactitude. Les transcriptions approuvées ont ensuite été analysées pour identifier les thèmes clés.

Un projet préliminaire concernant les outils de subvention a été élaboré sur la base des grands thèmes et des idées recueillis. Les personnes interviewées et les administrateurs ont examiné le projet, et d’autres retours, provenant d’avocats, ont été intégrés avant un examen juridique final. Une fois approuvé par les administrateurs, le fonds a été ouvert aux candidatures.

Résultats de la phase pilote

Ce processus dirigé par les réfugiés a profondément remis en question le statu quo, plaçant les réfugiés au centre de la création des outils de subvention et des structures de financement. Cette approche a permis à ceux qui utiliseraient le financement d’avoir une voix centrale dans la définition des structures de financement. Les retours spécifiques des bénéficiaires de subventions ont révélé plusieurs avantages : la souplesse des conditions était particulièrement appréciée, favorisant l’embauche de personnel et le développement économique. De plus, cette méthode a contribué à renforcer la confiance au sein des communautés locales.

Concernant les meilleures pratiques, le choix de placer les RLO/I au cœur du processus a joué un rôle essentiel dans l’élaboration d’outils de subvention pertinents et contextualisés. La possibilité de solliciter des retours d’informations sur les ébauches a permis l’identification et la résolution précoce des problèmes en vue de garantir la facilité d’utilisation des outils et leur adaptation au contexte. Cela a été l’occasion de se demander si les outils de subvention répondaient davantage aux besoins du donateur ou à ceux du bénéficiaire ; cela a ensuite suscité des échanges de qualité et la révision des outils en vue de garantir leur conformité avec les objectifs et les valeurs du programme de financement. La rémunération du temps passé par les participants était un aspect essentiel, remettant en question la dépendance du secteur au travail bénévole et soulignant l’importance de valoriser les contributions de manière équitable.

Grâce à ce projet, APNOR et la RLA ont recueilli des informations précieuses sur les donateurs, et notre capacité à interagir avec eux en tant que pairs éclairés en a été notablement améliorée. La compréhension de la complexité et des difficultés auxquelles sont confrontés les donateurs, en tenant compte de notre expérience en tant que bénéficiaires de subventions, nous a permis de créer des relations plus solides et plus collaboratives avec nos partenaires de financement.

Par exemple, les retours d’entretiens avec des RLO ont souligné la nécessité d’inclure dans les formulaires de demande des questions sur la valeur unique du candidat et sur la manière dont le financement pourrait soutenir la durabilité à long terme. Cela correspond à l’objectif d’APNOR de renforcer la capacité des RLO/I à obtenir leur propre financement et à exprimer leur singularité et leur durabilité, et cela a été déterminant pour attirer des financements supplémentaires.

APNOR et la RLA ont beaucoup appris grâce à la mise en œuvre du programme de financement. Par exemple, malgré l’adoption d’un processus participatif, certaines RLO/I trouvaient encore les outils de subvention développés trop complexes. Nous procédons à des ajustements des outils pour le prochain cycle de financement afin de tenir compte de ces préoccupations.

Un niveau de financement plus élevé en soutien de la phase pilote aurait également eu un effet positif non négligeable. Mais la demande de financements nécessite du temps, et les équipes ont été contraintes par un manque de ressources et par leur statut de bénévolat. Une rupture avec la situation actuelle dans laquelle les RLO/I travaillent bénévolement est donc nécessaire. Nous espérons que cet article encouragera d’autres donateurs à offrir un soutien accru aux RLO/I, afin qu’elles puissent être adéquatement rémunérés pour le travail qu’elles effectuent et avoir accès aux ressources nécessaires pour mener à bien ce travail.

Augmenter la participation à d’autres processus de financement

Cet article cherche à susciter un débat approfondi sur l’adoption de processus participatifs qui valorisent la voix des bénéficiaires dans les structures de financement. Nous espérons qu’il donnera lieu à des échanges sur la participation positive des bénéficiaires dans les processus de financement dans d’autres secteurs, comme le changement climatique ou le développement communautaire.

Forts des expériences de ce programme de financement, nos recommandations clés sont les suivantes :

  1. intégrer la participation au cœur des processus de financement, en particulier dans le domaine de l’aide aux réfugiés ;
  2. les bailleurs de fonds doivent évaluer leurs processus pour pouvoir déterminer si les structures de financement prennent en compte les besoins et attentes des bénéficiaires, et pour s’assurer que ces structures sont accessibles et adaptées au contexte ; et
  3. il est nécessaire d’élargir nos connaissances et nos ressources sur la philanthropie participative en lien avec les RLO/I, et de disposer de davantage d’études de cas et de recherches sur les processus participatifs en Asie-Pacifique.

L’adoption de ces recommandations permettra au secteur du financement de devenir plus inclusif, plus équitable et plus efficace, pour que toutes les parties prenantes puissent, au bout duc compte, obtenir de meilleurs résultats.

 

Thomas Gillman
Coordinateur de projet, APNOR
thomas@apnor.org

Najeeba Wazefadost
Fondatrice et PDG d’APNOR, et fondatrice de Global Independent Refugee Women Leaders
ceo@apnor.org
linkedin.com/company/asia-pacific-network-of-refugees

Michael Poots
Chargé de communication, APNOR

Adama Kamara
Co-présidente des administrateurs du fonds commun de la Refugee Leadership Alliance et directrice adjointe du Refugee Council of Australia.
adama.kamara@refugeecouncil.org.au
linkedin.com/in/adama-kamara-376346196

 

[1]Ces piliers sont tirés de Gillies L, York J et Minkiewicz J (2018) Philanthropy: Towards better practice bit.ly/philanthropy-better-practice

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