Skip to content
Manque de financement pour les déplacements prolongés : une étude de cas sur l’hébergement en RDC
  • Rémy Kalombo
  • November 2024
Le camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays de Lushagala, dans la province du Nord-Kivu, République démocratique du Congo, août 2022. Crédits : Rémy Kalombo

La crise des déplacements continus et prolongés que connaît la République démocratique du Congo (RDC), alliée à un manque de financement, force les acteurs humanitaires à faire des compromis sur la qualité et l’envergure de l’aide qu’ils proposent. Dans ce contexte compliqué, les personnes déplacées ont de plus en plus de mal à reconstruire leur vie.

L’association de conflits armés, de conflits intercommunautaires et de catastrophes naturelles continue de forcer des millions de personnes à fuir leur foyer en RDC. Selon un récent aperçu des besoins humanitaires (fourni par OCHA, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires), plus de six millions de personnes seraient actuellement en situation de déplacement à l’intérieur de la RDC.

Beaucoup de ces personnes vivent dans des abris de fortune ou des campements informels, où elles ne disposent que d’un accès limité à l’eau potable, et n’ont pas la possibilité de scolariser leurs enfants. Pour répondre à leurs besoins, le plan de réponse humanitaire inter-agences pour la RDC se concentre sur deux objectifs principaux : sauver des vies et améliorer les conditions de vie des personnes concernées. Cette approche vise à répondre aux besoins les plus urgents, tout en renforçant la résilience et le lien qui unit les efforts de développement et les efforts de consolidation de la paix. Cette ambition est toutefois mise à mal par un manque de financement. Les réponses apportées sont essentiellement déterminées par la nature et le montant des fonds disponibles, plutôt que par l’alignement sur ces objectifs stratégiques.

Le but de cet article est de montrer comment le financement du secteur de l’hébergement, activité qui s’inscrit typiquement dans l’urgence, limite la capacité des acteurs humanitaires à garantir aux personnes déplacées un accès à des logements dignes et décents.

Sous-financement et lacunes persistantes de la réponse humanitaire

La RDC fait actuellement face à une situation de crise persistante. Les besoins ne cessent d’augmenter tandis que le financement a du mal à suivre, voire diminue d’année en année. Les données du Service de surveillance financière des Nations Unies indiquent que moins de 60 % des fonds nécessaires dans le cadre du plan d’intervention humanitaire de la RDC ont été reçus au cours des trois dernières années. L’hébergement est l’un des secteurs les moins bien financés avec seulement 30 % des financements obtenus au cours de cette période.

On note aussi que la multiplication des crises partout dans monde a affaibli la capacité des principaux donateurs à honorer le principe du financement fondé sur les besoins. Cette situation a aggravé le fossé qui existe dans de nombreux pays entre les besoins humanitaires et les financements disponibles. La couverture médiatique internationale de la crise est un autre facteur qui influe sur le volume des financements et qui encourage l’action. Enfin, de nombreux donateurs préfèrent concentrer leurs interventions sur un groupe stratégique de pays. Ces choix sont souvent guidés par des liens historiques, la géopolitique ou l’intérêt national.

Aujourd’hui, les acteurs humanitaires qui interviennent dans le secteur de l’hébergement doivent trouver le moyen de venir en aide à un nombre croissant de personnes avec des fonds de plus en plus limités. Ce défi est d’autant plus important que la poursuite du conflit donne lieu à de multiples déplacements, lesquels créent de nouvelles crises et replongent les populations dans la précarité et la vulnérabilité, y compris celles qui ont déjà bénéficié d’une aide.

Face à cette problématique, les acteurs de l’hébergement humanitaire ont priorisé les besoins en concentrant leurs interventions sur les personnes déplacées au cours des 12 derniers mois qui vivent dans des zones affectées par au moins deux autres crises, comme les épidémies, l’insécurité alimentaire ou la malnutrition. Les zones uniquement concernées par un déplacement interne sont automatiquement exclues de leur réponse, alors que ces personnes vivent dans des conditions très précaires.

Malgré cette double priorisation, les fonds attribués ne suffisent pas à financer la réponse requise et des millions de personnes continuent de vivre dans des abris inadéquats. D’autant que la plupart de ces abris se trouvent dans des zones rurales où les infrastructures, l’accès aux services sociaux de base et les opportunités d’emploi sont particulièrement limités. Ces personnes sont donc totalement dépendantes d’une aide humanitaire qui ne satisfait pas leurs besoins de base.

Cette situation a des conséquences désastreuses sur la santé physique et mentale des populations concernées, sur leur sentiment de dignité, leur sécurité et leur capacité à se protéger contre les menaces, notamment les violences fondées sur le genre. Le manque d’abris adéquats impacte directement la protection, la dignité et l’accès aux services essentiels des personnes touchées par les conflits. Cette pénurie a aussi des conséquences indirectes sur la santé, l’intégration communautaire et les moyens de subsistance, et elle alimente la violence sexiste.[1]

Les hébergements surpeuplés, qui se caractérisent par une mauvaise qualité de l’air et un stress thermique préjudiciables à la santé, aggravent les risques de maladies infectieuses et de mortalité infantile. En RDC, les zones les plus affectées par les déplacements sont également celles qui sont les plus touchées par des épidémies telles que le choléra ou Ebola.

Tout processus de redressement, d’accès à des moyens de subsistance et de réintégration de l’individu dans la sphère sociale et économique exige un hébergement adéquat. Sans logement décent, les personnes déplacées n’ont pas les moyens et la stabilité nécessaires pour pouvoir accéder à des services comme les soins de santé, l’éducation, l’eau potable ou les installations sanitaires.

L’impact du compromis

Les acteurs de l’hébergement humanitaire doivent trouver le moyen de proposer une réponse de qualité tout en prenant en charge le plus grand nombre de personnes possibles. Face à ce dilemme, c’est bien souvent l’ampleur de la prise en charge qui l’emporte sur la qualité.

L’intervention humanitaire en matière d’hébergement passe en premier lieu par la distribution de kits d’abris d’urgence aux personnes concernées, avant de proposer des abris durables. Afin de répondre aux exigences des donateurs et de pallier les lacunes du financement, Shelter Cluster a réduit le coût de ses kits d’intervention. Un abri d’urgence revient désormais à 150 USD et un abri durable à 350 USD. Mais à ces prix-là, le respect des normes minimales garantissant un abri adéquat aux personnes dans le besoin ne peut clairement pas être assuré. Le concept d’« abri adéquat » souligne à quel point il est important, dans toute intervention en matière d’hébergement, de prendre en compte le concept d’installation qui comprend l’identité culturelle, la protection, le bien-être physique et l’accès aux services de base.[2]

Plus de 80 % des fonds attribués au secteur de l’hébergement sont consacrés à des interventions d’urgence. Celles-ci comprennent essentiellement des kits d’abris légers et la construction d’abris semi-durables. Le manque de financement pénalise la phase initiale du processus de sauvetage qui consiste à sauver des vies. Cela signifie que les abris d’urgence (dont les matériaux ont une durée de vie d’environ six mois) ne sont pas renouvelés, même lorsque leurs bénéficiaires restent dans les camps pendant des périodes prolongées.

Perspectives d’avenir et choix préconisés

Cette étude de cas montre l’impact que peut avoir le manque de financement sur la réponse aux déplacements prolongés dans le contexte spécifique de la RDC. La RDC fait partie des pays qui comptent le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leurs propres frontières et dont les niveaux de financement sont parmi les plus faibles. Dans ce contexte difficile, les acteurs humanitaires doivent régulièrement faire des choix entre le coût, la couverture, la qualité et la durabilité de l’aide.

Le financement restera un défi de taille dans un futur proche, dans la mesure où de plus en plus de pays sont aujourd’hui confrontés à des crises et des déplacements climatiques. Dans cette optique, les recommandations suivantes devront être envisagées afin d’améliorer les réponses proposées :

  • Améliorer la localisation pour optimiser les coûts opérationnels, faciliter le transfert de compétences et renforcer les capacités de mobilisation de fonds. Le programme ToGETHER qui promeut la localisation en RDC est un bon exemple de mise en œuvre de ces préconisations.
  • Renforcer les liens qui existent entre le secteur humanitaire et le secteur du développement afin de se procurer des fonds supplémentaires auprès des acteurs du développement et du secteur privé. Le financement du développement permet une approche plus flexible sur le long terme, en couvrant la suite du processus jusqu’à la mise en place de logements durables dans les zones de déplacement prolongé qui ne bénéficient plus du financement humanitaire. Si le programme ONU-Habitat pour « le développement urbain contrôlé, le logement et la réduction des inégalités » s’inscrit dans cette ambition, en visant notamment à améliorer l’accès à des logements durables, le déploiement d’autres initiatives à plus grande échelle est également nécessaire.
  • Développer une approche intégrée en collaboration avec d’autres secteurs afin d’améliorer l’offre pour veiller à ce que les ménages qui bénéficient d’un hébergement aient également accès à l’eau potable, à l’électricité et à d’autres services élémentaires.
  • Faciliter l’accès des personnes déplacées au marché du travail pour assurer leur indépendance et leur permettre d’améliorer leurs conditions de vie afin de soulager le système humanitaire.

 

Rémy Kalombo
Spécialiste du suivi et de l’évaluation, HCR
kalombor@unhcr.org
linkedin.com/in/rémykalombo/

 

[1] InterAction et USAID (2019) Rapport sur les principales conclusions du projet « Impacts plus larges de l’aide humanitaire en matière d’abris et d’installations » bit.ly/wider-impacts-humanitarian-shelter

[2] https://www.spherestandards.org/fr/manuel-2018/

READ THE FULL ISSUE
DONATESUBSCRIBE