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Le manque de reconnaissance, d’intégration et de financement des RLO dans la réponse au déplacement
  • Alexandra Spencer, Rufus Karanja, Andhira Yousif Kara et Caitlin Sturridge
  • November 2024
Les organisations dirigées par des réfugiés sont systématiquement sous-financées et délaissées dans l’aide apportée aux réfugiés. Crédits : Ada Jušić
  • Les organisations dirigées par des réfugiés (RLO), qui jouent un rôle déterminant en apportant des réponses efficaces aux populations déplacées, pourraient considérablement augmenter leur impact si elles bénéficiaient d’un meilleur financement. Le système humanitaire doit évoluer pour reconnaître à leur juste valeur et financer adéquatement les RLO dans le cadre de la stratégie de localisation.

Le sous-financement des organisations dirigées par des réfugiés (RLO) est un problème chronique ; les RLO sont largement exclues des opportunités de financement et de la réponse internationale à la crise des réfugiés dans son ensemble. Une récente étude visant à évaluer la quantité et la qualité des financements perçus par les RLO a révélé que ces dernières n’avaient obtenu que 26,4 millions de dollars en 2022.[1] Pour contextualiser l’ampleur de cet échec, on observera que la même étude indique que le financement total, direct et traçable, des ONG locales et nationales s’élevait à 463 millions de dollars. Le financement des Plans d’intervention pour les réfugiés (plans régionaux du HCR visant à coordonner la réponse apportée aux crises majeures de réfugiés), s’élevait, quant à lui, à 6,4 milliards de dollars au cours de la même année.

Notons qu’une grande partie du financement des RLO provient d’organisations philanthropiques privées. Sachant par ailleurs que 83 % du financement reçu par les RLO passe par au moins un intermédiaire, on comprend que les RLO n’entretiennent souvent aucune relation formelle avec les principaux décideurs de l’intervention humanitaire, comme les donateurs gouvernementaux. Les RLO sont donc tenues à l’écart de nombreuses décisions qui impactent leur travail et les communautés qu’elles s’emploient à d’aider.

Importance du financement des RLO et difficultés rencontrées

Les RLO ne sont pas adéquatement financées en dépit de leur capacité unique à élaborer et offrir des solutions efficaces pour répondre aux besoins de leurs communautés. Il a en effet été démontré que les RLO sont plus à même de proposer des réponses responsables, légitimes et significatives, et qu’elles jouent un rôle clé dans la fourniture de services élémentaires, dans l’organisation d’activités de renforcement communautaire, et dans la défense des droits des populations déplacées qui vivent dans des camps urbains et des camps de réfugiés.[2] La non reconnaissance de leur rôle au sein de leurs communautés, et dans la réponse humanitaire au sens large, les empêchent d’accéder au financement dont elles ont besoin pour développer leurs programmes et soutenir efficacement leurs communautés.

Les RLO qui tentent d’obtenir un financement rencontrent de nombreuses difficultés. L’une des principales est l’idée reçue selon laquelle il serait « trop risqué » de financer ces entités dans la mesure où il s’agit de petits groupes informels qui n’auraient pas les moyens d’agir efficacement ou qui manqueraient d’impartialité dans leur action. À titre d’exemple, on citera l’Initiative for Better Life de Kalobeyei qui peine à obtenir un financement à long terme en raison de son statut de RLO, alors qu’il s’agit d’une des plus grandes RLO du Kenya. Or, selon son directeur, la force des RLO réside justement dans leur petite taille et dans leur caractère informel, et les transformer en mini-ONG dans le seul but d’accéder à des fonds irait à l’encontre de cela.

La capacité de ces organisations à gérer des subventions importantes ou à mettre en œuvre des programmes tout aussi efficacement que d’autres acteurs humanitaires est souvent remise en cause. Ces réticences expliquent le manque de confiance que l’on observe envers les RLO ainsi que la remise en cause de leur responsabilité, ce qui a suscité l’adoption de critères très stricts, voire prohibitifs, en matière de diligence raisonnable. Des problèmes administratifs – complexité des processus de demande, manque d’accès aux informations sur les options de financement, et utilisation de l’anglais par défaut – ont suscité des difficultés supplémentaires, à la fois chronophages et mobilisant d’importantes ressources de la part des RLO. Avant de tenter de trouver des solutions qui pourraient rétablir l’équilibre en matière de financement, il est essentiel de bien comprendre ces défis.

Intégrer les RLO à la stratégie de localisation

Au cours des dix dernières années, le secteur humanitaire a fait l’objet de nombreuses réformes systémiques de haut niveau visant à localiser les réponses humanitaires. Il est aujourd’hui reconnu que la participation des réfugiés et d’autres personnes concernées est essentielle pour améliorer l’efficacité des réponses humanitaires. Le Grand Bargain (pacte relatif au financement de l’action humanitaire) a suscité un engagement important visant à transférer le pouvoir et les ressources vers des acteurs locaux et nationaux. Pourtant, ces programmes ont clairement échoué à financer les RLO, et ces dernières ne bénéficient que d’une fraction de la valeur totale de l’aide humanitaire dans le monde. Cet échec s’explique en partie par le fait que la stratégie de localisation ne présente pas les réfugiés, et par conséquent les RLO, comme des membres clés de la société civile et comme des acteurs légitimes et compétents pour organiser une réponse.

Le Pacte mondial sur les réfugiés ne précise pas ce qui pourrait conférer aux RLO une reconnaissance officielle en tant qu’acteurs clés de la réponse humanitaire dans le but de les soutenir dans leur mission. Or, en reconnaissant que les RLO apportent une contribution déterminante à la localisation mondiale et à l’utilisation des instruments de leadership des réfugiés, ces derniers pourraient jouer un rôle actif dans l’élaboration des interventions qui affectent leur vie.

La réticence du système humanitaire à remettre en question l’injustice des dynamiques de pouvoir et à changer les choses est un facteur supplémentaire qui contribue au manque de financement des RLO. Au lieu d’attendre que les RLO s’adaptent à un système de financement obsolète et hiérarchisé, les responsables du financement humanitaire devraient plutôt modifier leurs méthodes de travail.

De la parole à l’action

Des avancées ont récemment été observées en matière de reconnaissance et d’intégration des RLO dans la stratégie de localisation au sens large. Les améliorations concernent notamment la prise en compte des RLO dans les discussions politiques (grâce à la nouvelle définition partagée des RLO), la priorité donnée par les donateurs au financement direct des RLO, la mise en place de processus de dialogue politique incluant les RLO dans les discussions, et le financement d’étude menées au niveau local par des réfugiés afin d’informer les politiques.

Définition des RLO
En 2023, le HCR a publié sa définition des RLO : « organisation ou groupe dans lequel des personnes ayant une expérience directe du déplacement forcé jouent un rôle de leadership primordial et dont les objectifs et les activités déclarés se concentrent sur la réponse apportée aux besoins des réfugiés et/ou des communautés apparentées ». Cette définition, ainsi que son adoption et son utilisation ultérieures, ont joué un rôle important dans la reconnaissance et la formalisation des RLO. Notons toutefois que si le HCR a déclaré que cette définition avait été élaborée dans le cadre d’un processus consultatif, elle a aussi fait l’objet de critiques.[3]

Cette définition partagée est importante pour les donateurs et pour leurs partenaires car elle offre un cadre de compréhension commun ainsi que des points d’entrée pour échanger de manière officielle avec les RLO dans le cadre de contrats de partenariat. La présence d’une définition commune et largement acceptée des RLO aidera les donateurs à améliorer leurs données concernant les montants qu’elles reçoivent mais aussi, et surtout, permettra de plaider pour l’augmentation de ces fonds et pour une meilleure transparence dans les pratiques de financement des donateurs.

Des financements fléchés vers les RLO
Certains donateurs gouvernementaux ont commencé à proposer un financement fléché spécifiquement vers les RLO. L’an dernier, les Pays-Bas ont lancé un programme de subvention dans le cadre d’un appel d’offres sur la migration et le déplacement afin de soutenir les RLO et les partenaires de terrain. Cette initiative était présentée comme un « financement direct, sous la forme d’une contribution ou d’un financement fondamental, dont le seul objectif doit être le renforcement du leadership et de l’appropriation au niveau local pour profiter aux initiatives locales et indépendantes mises en œuvre par les partenaires nationaux ». Ce type de financement est particulièrement intéressant car il est à la fois flexible et pluriannuel. Il permettra notamment aux RLO de développer leurs capacités institutionnelles, leurs programmes et leur plaidoyers politiques.

Une étude de méta-synthèse regroupant cinq évaluations de l’impact externe de programmes organisés par des RLO au Liban, en Irak, en Colombie, en Indonésie, en Égypte et en Ouganda, a montré que les RLO concernées bénéficiaient d’au moins un financement flexible qui leur avait permis d’améliorer leurs capacités organisationnelles et de mettre en place des systèmes et des politiques organisationnelles efficaces.

Une légitimité accrue des RLO
Aujourd’hui, les RLO et les représentants des réfugiés bénéficient d’une reconnaissance et d’un engagement croissants dans le domaine des politiques et du plaidoyer. Cet engagement est important car il renforce la crédibilité des RLO en tant qu’acteurs clés qu’on ne peut pas écarter des discussions politiques. Comme l’a déclaré un représentant de réfugiés : « La voix des personnes concernées doit être au cœur de tout système qui distribue des fonds et élabore ou influence des politiques ».

L’an dernier, plus de 320 représentants de réfugiés ont été invités à participer au Forum mondial sur les réfugiés, un nombre quatre fois supérieur à celui du premier forum tenu en 2019. Un nombre accru de gouvernements donateurs ont également inclus des réfugiés dans leurs délégations nationales. Lors du forum de 2019, seul le Canada avait intégré un conseiller en matière de réfugiés à sa délégation nationale,  alors qu’en 2023, 13 gouvernements en comptaient dans leur délégation.[4] D’autres initiatives pourraient être prises pour améliorer l’accès des réfugiés aux forums politiques mondiaux, comme le Forum mondial sur les réfugiés, par exemple en facilitant le déplacement de ces délégations, y compris leurs demandes de visa.

Au niveau national, la Suisse, co-organisatrice du Forum mondial sur les réfugiés de 2023, s’est engagée à établir un organe consultatif pour les réfugiés à Genève afin de renforcer l’engagement des réfugiés qu’elle accueille. Cette initiative vient compléter le Parlement des réfugiés mis en place en 2020 à Genève par une ONG suisse et soutenu par le HCR, le gouvernement suisse ainsi que d’autres partenaires, dans le but de fournir aux réfugiés une plateforme leur permettant d’échanger des informations, de collaborer et de lancer différents projets liés aux difficultés qu’ils rencontrent à leur arrivée en Suisse.

On notera aussi l’engagement multipartite pour l’amélioration des partenariats, de la protection et de la localisation par lequel 61 États et 160 acteurs non étatiques se sont engagés à faire progresser les partenariats et à localiser les réponses aux côtés de partenaires comme les réfugiés et les RLO.

Recherches sur les RLO et implication des chercheurs réfugiés
Des preuves plus solides doivent être recueillies et présentées afin de renforcer la confiance et d’inciter les donateurs à mieux financer les RLO. Les chercheurs qui ont personnellement vécu des situations de déplacement sont bien placés pour recueillir ces informations. Il existe aujourd’hui de plus en plus de preuves produites au niveau local par des chercheurs réfugiés et par d’autres partenaires qui documentent l’action et l’impact des RLO. Une récente étude cartographique des RLO au Kenya indique le nombre de RLO actuelles (plus de 150), leur diversité, leurs impacts et les difficultés qu’elles rencontrent. Ces études sont importantes car elles fournissent des informations et des recommandations essentielles aux donateurs et aux autorités gouvernementales qui souhaitent collaborer avec les RLO.

On citera également les efforts déployés par certains acteurs comme le Regional Durable Solutions Secretariat qui a récemment lancé un partenariat avec le Refugee-Led Research Hub (RLRH) et l’Université de Maseno afin de faire le lien entre, d’une part les preuves produites au niveau local et les recherches menées par les réfugiés, et d’autre part les processus politiques du Kenya. Cette initiative mérite d’être soulignée dans la mesure où, bien souvent, les politiques et les législations qui concernent les réfugiés sont élaborées par les décideurs ou les donateurs, sans tenir compte des analyses et des preuves produites par les réfugiés ou les personnes qui possèdent une expérience directe du déplacement. Elle permettra notamment de transférer le pouvoir et le discours vers les chercheurs qui ont vécu le déplacement dans des pays du Sud global.

Recommandations

Cette recherche propose une série de recommandations pour répondre au manque de financement des RLO. Il convient tout d’abord de reconnaître que les RLO sont des acteurs distincts et à part entière de la stratégie de localisation. Cette reconnaissance améliorera leur capacité à accéder au financement.

Deuxièmement, les donateurs doivent aider les RLO à accéder aux financements, et encourager les partenariats de financement avec les RLO en mettant en lumière leurs partenariats existants. Les donateurs peuvent faciliter les partenariats avec les RLO en simplifiant leurs processus de financement et en élargissant certaines des approches novatrices que proposent les organisations philanthropiques et les intermédiaires des RLO. Ils peuvent notamment proposer aux candidats un soutien dédié et personnalisé et assouplir leurs procédures de candidature (en acceptant par exemple des candidatures dans différentes langues).

Troisièmement, les parties prenantes doivent toutes remettre en question les idées reçues vis-à-vis des RLO et établir des processus adaptés pour permettre aux RLO de signaler sans être pénalisées les partenariats de pure forme et injustes.

Enfin, les donateurs gouvernementaux et les organisations humanitaires doivent anticiper l’évolution de l’univers des réfugiés et réformer leurs structures ainsi que leurs directives internes en conséquence afin de financer et d’échanger plus efficacement avec les RLO.

Alexandra Spencer
Responsable principale de la recherche, Humanitarian Policy Group, ODI, Royaume-Uni
a.spencer@odi.org

Rufus Karanja
Responsable du programme national, Migration et Protection, Coopération au développement de la Suisse

Andhira Yousif Kara
Chercheuse consultante et défenseure des réfugiés
annkakaliya@gmail.com
linkedin.com/in/andhira-kara-a72121a1/

Caitlin Sturridge
Principale chercheuse associée, Humanitarian Policy Group, ODI, Royaume-Uni
c.sturridge@odi.org

 

[1]Voir ODI (2023) The failure to fund refugee-led organisations: why the current system is not working, and the potential for change bit.ly/odi-failure-fund-rlos

[2] Asylum Access (2021) Building Equitable Partnerships: Shifting power in forced displacement bit.ly/equitable-partnerships

[3]Kaldor Centre for International Refugee Law (2023) Defining refugee-led organisations: An analysis of UNHCR’s 2023 definition bit.ly/research-brief-defining-rlo

[4] Refugees Seat (2024) ‘Great leap forward or status quo?’ bit.ly/R-SEAT-reflections-2023-grf

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