Lois et politiques relatives au déplacement interne : adoption et lacunes à l’échelle mondiale

Une nouvelle base de données mondiale sur les lois et les politiques relatives aux PDI révèle les espaces géographiques et les domaines thématiques qui demeurent insuffisamment couverts.

Le lancement des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays en 1998 a été suivi par l’adoption croissante d’instruments nationaux relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), témoignant de la reconnaissance du déplacement interne en tant que phénomène mondial. La base de données mondiale des lois et des politiques relatives aux PDI,[1] qui a été revue et mise à jour par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) pour le Groupe de travail sur les lois et les politiques du Groupe mondial de la protection, saisit les informations sur les pays disposant de telles lois et politiques, ou travaillant actuellement à leur élaboration.

À ce jour, cette base de données contient 27 lois et 55 politiques[2] élaborées entre 1992 et 2018. Douze lois et politiques avaient été adoptées dans neuf pays différents[3] avant 1998 ; parmi celles-ci, on retrouve l’une des premières lois sur le déplacement interne promulguée par l’Azerbaïdjan en 1992, et la première politique relative au déplacement interne adoptée par la Colombie en 1995. Toutefois, l’effet catalyseur des Principes Directeurs est évident dans la grande majorité des lois et politiques ayant été adoptées depuis 1998 (70 sur un total de 82).

En dépit de la diffusion mondiale des lois et politiques relatives aux PDI, celles-ci semblent toujours être absentes là où elles sont le plus nécessaires. On dénombre seulement deux politiques relatives au déplacement interne au Moyen-Orient, l’une en Irak (2008) et l’autre au Yémen (2013), alors qu’il s’agit de l’une des régions les plus touchées par les nouveaux déplacements provoqués par les conflits et la violence. La majorité des nouveaux déplacements provoqués par des catastrophes en 2017 ont eu lieu en Asie, mais alors que la région compte 15 lois et politiques relatives au déplacement interne, seules sept d’entre elles font explicitement référence aux catastrophes. En outre, alors que l’Océanie est l’une des régions les plus touchées par le déplacement pour cause de catastrophes, seul le Vanuatu a adopté une politique spécifique relative au déplacement interne.

Presque toutes les lois et politiques enregistrées dans la base de données mondiale (73 sur les 80 analysées[4]) identifient le conflit et/ou la violence comme une cause de déplacement interne, mais seulement 30 d’entre elles abordent la question du déplacement provoqué par le développement. Parmi celles-ci, on peut citer deux politiques adoptées par le gouvernement indien en 2004 et 2007 qui se rapportent exclusivement à cette cause de déplacement. De plus, seul un tiers de l’ensemble des lois et politiques (29) reconnaissent les catastrophes, alors même qu’il s’agissait du premier facteur de nouveaux déplacements en 2017.

Cependant, le nombre limité d’instruments nationaux abordant la question des catastrophes est compensé par un nombre croissant de lois et de politiques qui, bien qu’elles n’abordent pas exclusivement le déplacement interne, incluent des dispositions relatives au déplacement induit par des catastrophes. Par exemple, la Chine, qui compte le plus grand nombre de nouveaux déplacements provoqués par des catastrophes naturelles au monde (près de 4,5 millions en 2017), a adopté en 2001 une Loi sur la prévention et la réponse aux catastrophes,[5] qui contient des dispositions relatives à l’assistance et à la réinstallation de personnes provenant de zones touchées par des catastrophes.

Lacunes et difficultés de la mise en application

La phase de l’après-déplacement est la phase la plus souvent abordée par les lois et les politiques enregistrées dans la base de données mondiale. En effet, soixante-treize des 80 lois et politiques analysées abordent l’après-déplacement, dont 25 qui traitent exclusivement des questions se rapportant au retour et/ou à la réinstallation. C’est le cas, par exemple, de la politique nationale du Sri Lanka relative aux solutions durables pour le déplacement provoqué par des conflits, qui envisage le retour des PDI, leur réinstallation ou leur intégration locale.

Qui plus est, tandis que la grande majorité (55) des 80 lois et politiques analysées contiennent des dispositions sur « la protection et l’assistance », seul un tiers (29) de toutes les lois et politiques analysées abordent la phase de pré-déplacement, en émettant des dispositions spéciales pour prévenir et éviter le déplacement forcé, ou pour minimiser les conséquences du déplacement inévitable. La Colombie, par exemple, est l’un des premiers pays à avoir abordé la question de la protection contre le déplacement : un paragraphe entier de sa première loi sur le déplacement interne (la loi 387 de 1997) est consacrée à la prévention du déplacement forcé.

Les États ont besoin de volonté politique, de capacités et de ressources pour adopter et mettre en application leurs lois et politiques relatives aux PDI, et pour prévenir le déplacement interne, ou y répondre. Certains processus d’élaboration de politiques sont presque arrivés au point mort, comme c’est le cas en République Centrafricaine et en République démocratique du Congo ; ailleurs, les gouvernements de Fidji, du Honduras, du Mali et du Niger, pour n’en citer que quelques-uns, travaillent actuellement à l’élaboration d’une loi ou d’une politique relative au déplacement interne. L’élaboration de lois et politiques relatives au déplacement interne est crucial pour garantir les droits des PDI et réduire les déplacements, bien que leur mise en application demeure l’une des plus grandes difficultés[6].

 

Ileana Nicolau Ileana.Nicolau@EUI.eu Candidate de doctorat, Institut universitaire européen de Florence www.eui.eu

Anaïs Pagot pagot@unhcr.org Assistante juridique pour le HCR www.unhcr.org

 

[1] La version précédente a été élaborée par IDMC : www.internal-displacement.org/law-and-policy : la version revue et mise à jour est hébergée par le Groupe mondial de la protection : www.globalprotectioncluster.org

[2] Aux fins de la base de données, une loi est définie comme « le système de règles édictées par un gouvernement, qui réglementent et prescrivent les droits et les obligations des membres d’une communauté, reconnues formellement comme contraignantes et appliquées par l’autorité compétente ». Une politique est définie comme « une directive qui décrit les principaux objectifs d’un gouvernement (ou d’une partie de celui-ci), de même que les méthodes et les mesures permettant de les atteindre ». Pour être incluses dans la base de données, ces lois et politiques doivent porter spécifiquement sur le déplacement interne.

[3] Respectivement : Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Colombie, Croatie, Fédération de Russie, Géorgie, Monténégro, Pérou et Tadjikistan.

[4] Seules 80 des 82 lois et politiques regroupées dans la base de données mondiale ont été analysées. Une analyse complémentaire sera disponible prochainement.

[5] Dans la base de données, cet instrument est classé dans la rubrique « Autres instruments pertinents ».

[6] Voir l’article d’Orchard dans le présent numéro.

 

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