Les Objectifs de développement durable et les PDI

Après avoir adopté les Objectifs de développement durable, les États doivent être soutenus afin de transformer leur promesse de « ne laisser personne au bord du chemin » en réalité pour les PDI.

En 2015, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) ont été reconnues dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ; pour la première fois, un cadre international reconnaissait l’importance d’inclure les personnes déplacées de l’intérieur dans le plan de développement d’un pays. Lancés en 2000, les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) avaient fixé des objectifs tangibles, dont l’éradication de l’extrême pauvreté, la réduction de la mortalité infantile et la promotion de l’éducation primaire universelle. Ils négligeaient cependant de prendre en compte les besoins des personnes touchées par des catastrophes et des conflits, comme c’est le cas des PDI. Au moment où les Objectifs de développement durables (ODD) ont été approuvés en 2015, le monde était beaucoup plus conscient que des millions de PDI et réfugiés avaient été généralement oubliés par les processus de développement, un oubli qu’il convenait de corriger.

Au fil des années, un certain nombre d’initiatives concrètes (principalement en faveur des réfugiés) ont tenté de mettre en œuvre des solutions orientées sur le développement pour les personnes ayant été déplacées contre leur gré, y compris les réfugiés. Dans les années 1980, le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a œuvré en faveur de la réintégration des réfugiés après la fin des conflits en Afrique et en Amérique centrale. Au début des années 2000, certaines initiatives, telles que le processus Brookings, se sont attelées à combler l’écart entre les efforts humanitaires et les efforts de développement ciblant les réfugiés (et, dans une moindre mesure, les PDI) et à rechercher des solutions durables. Par la suite, l’initiative pour des solutions transitoires (Transitional Solutions Initiative), lancée par le HCR et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en collaboration avec la Banque mondiale, a établi des programmes conjoints à petite échelle alliant l’humanitaire et le développement dans plusieurs pays. Ces programmes portaient en priorité sur les moyens de subsistance et des logements sûrs et abordables afin de favoriser l’autonomie des réfugiés et des PDI.

D’autres efforts ont été déployés pour apporter des changements systémiques à la manière dont la communauté internationale aborde les solutions. C’est le cas du Cadre de solutions durables pour les personnes déplacées de l’intérieur du Comité permanent interorganisations (Inter-Agency Standing Committee, IASC),[1] qui vise à clarifier le concept de solution durable et fournit des directives générales pour parvenir à de telles solutions, et de la Décision du Comité des politiques du Secrétaire général sur les solutions durables suite à un conflit[2] qui date de 2011. Cette dernière exhortait les coordinateurs résidents/humanitaires de l’ONU à prendre les rênes de l’élaboration de stratégies, en consultation avec les gouvernements nationaux, pour définir des actions concrètes que les agences, les fonds et les programmes de l’ONU pourraient entreprendre suite à un conflit en vue de réintégrer les réfugiés et les PDI. Bien que pilotée dans quelques pays, cette décision n’a jamais été mise en application de manière systématique, tandis que les gouvernements nationaux n’ont pas été suffisamment impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies. Néanmoins, ces décisions prises au niveau le plus élevé de l’ONU ont alerté sur l’urgence de multiplier les efforts pour trouver des solutions pour les personnes déplacées contre leur gré et, en 2014, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (BCAH), le HCR, l’Agence de l’ONU pour les migrations (IOM) et le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des PDI ont entrepris un plaidoyer conjoint pour prôner l’inclusion des PDI et des réfugiés dans les ODD, alors en cours de négociation à New York.

L’une des discussions à propos des PDI portait sur l’inclusion éventuelle d’un objectif spécifique relatif à la réduction, par un certain pourcentage, du nombre de réfugiés et de PDI  d’ici 2030 grâce à la fourniture de solutions durables[3]. Alors que de nombreux gouvernements approuvaient l’inclusion d’un tel objectif, notamment certains pays ayant été le théâtre de déplacements internes, il n’a pas été possible d’atteindre un consensus si bien que les réfugiés et les PDI ont uniquement été mentionnés dans la définition des groupes vulnérables incluse dans la déclaration politique introduisant les objectifs. Entreprises par des représentants gouvernementaux (sous la supervision des ministères chargés du développement économique), ces négociations n’avaient généralement fait intervenir aucun expert humanitaire ou des droits de l’homme, alors qu’il s’agissait des personnes qui connaissaient le mieux les questions relatives aux réfugiés et aux PDI.

Progrès réalisés grâce aux ODD

Bien que les ODD n’incluent pas d’objectif spécifique relatif aux réfugiés et aux PDI, ils reconnaissent tout de même que les personnes déplacées constituent un groupe vulnérable méritant une attention particulière. Ils reconnaissent également les facteurs qui risquent d’entraver les progrès, notamment les menaces sanitaires mondiales, l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des catastrophes naturelles, l’engrenage des conflits, les crises humanitaires et le déplacement forcé lui-même[4]. Depuis leur adoption, le besoin d’une approche holistique du déplacement semble faire consensus parmi un nombre croissant de personnes, une approche qui dépasse la simple satisfaction des besoins humanitaires immédiats, réduit les vulnérabilités au fil du temps et est ancrée dans les plans de développement d’un pays. C’est également le sujet central d’une étude commanditée par le BCAH[5], qui souligne que les PDI devraient être en mesure de reconstruire leur vie conformément aux normes fondamentales des droits humains et de la dignité, même lorsqu’un conflit n’est pas pleinement résolu ou que les impacts d’une catastrophe continuent de se faire sentir. Les recommandations de cette étude encouragent les acteurs humanitaires et du développement à conduire le plus tôt possible des analyses conjointes des besoins, des vulnérabilités et des capacités des PDI, ainsi que des obstacles aux solutions durables, afin de s’accorder sur une stratégie pour atteindre des résultats collectifs précis et quantifiables. Cette étude préconise également la coopération avec les gouvernements nationaux, en recommandant qu’ils intègrent le déplacement interne à leurs plans de développement national et de mise en œuvre des ODD. En pratique, plusieurs pays, dont l’Afghanistan, l’Irak, le Nigéria et l’Ukraine, ont inclus les besoins des PDI dans leur plan de réalisation des ODD, même si ces derniers ne spécifient pas d’objectif particulier pour les PDI.

L’ONU apporte son appui au gouvernements sous forme d’assistance technique et de missions d’experts en vue de mettre en œuvre les ODD. Au Salvador et en Ukraine, elle a fourni aux gouvernements des conseils spécifiques sur l’inclusion des PDI dans leur feuille de route en vue d’atteindre les ODD. Et déjà, dans le cadre de l’Initiative pour des solutions durables, le gouvernement de Somalie a défini des résultats collectifs en matière de déplacement (des résultats stratégiques et mesurables qui permettent des interventions collaboratives pluriannuelles), avec l’appui de l’ONU. Des efforts sont également en cours en Ukraine pour inclure les PDI dans le cadre des résultats collectifs des acteurs humanitaires et du développement.

Toutefois, il est possible d’aller plus loin pour aider les gouvernements à inclure les PDI dans leur plan national de développement et dans leur feuille de route des ODD, et pour s’assurer qu’ils donnent suite à leurs engagements. Premièrement, les gouvernements devraient désigner un point focal de haut niveau chargé de coordonner les actions des différents ministères concernés, des partenaires nationaux internationaux et des PDI, et de diriger les efforts visant à intégrer les PDI dans les plans nationaux de développement. Deuxièmement, les gouvernements doivent disposer d’estimations exactes au sujet des endroits où les personnes ont trouvé refuge, de leurs besoins au fil du temps, de leurs priorités et de leurs projets pour l’avenir, et de la situation dans leur lieu d’origine, ce qui nécessite d’améliorer les systèmes nationaux de statistique[6]. Troisièmement, les efforts de l’ONU pour soutenir les feuilles de route des ODD devraient prêter une attention particulière au déplacement interne dans les pays où les PDI sont particulièrement nombreux, comme elle l’a fait au Salvador, en Somalie et en Ukraine. Au Salvador et en Ukraine, des équipes pluridisciplinaires de l’ONU composées d’experts du déplacement interne ont conseillé les gouvernements nationaux : au Salvador, en veillant avant tout à garantir un système de protection efficace et complet pour les victimes et les témoins, y compris pour les victimes déplacées par la violence ; et en Ukraine, en se concentrant sur des mesures visant à mieux intégrer les PDI dans le cadre d’un système de services et de prestations de protection sociale doté d’un budget durable[7]. Parallèlement à ces efforts, les acteurs humanitaires et du développement devraient coopérer dès le déclenchement des crises pour soutenir les efforts nationaux de manière cohérente et mutuelle, dans l’objectif ultime de garantir des solutions durables et à long terme pour les PDI.

 

Greta Zeender zeender@un.org
Conseillère en matière de déplacement interne, Branche des politiques, Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU www.unocha.org/

 

[1] IASC (2010) « Cadre sur les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays » https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/durablesolutionsFrench-final.pdf

[2] Comité des politiques du Secrétaire général de l’ONU (2011) « Decision No.2011/20 – Durable Solutions: Follow up to the Secretary-General’s 2009 report on peacebuilding »

http://siteresources.worldbank.org/EXTSOCIALDEVELOPMENT/Resources/244362-1265299949041/6766328-1265299960363/SG-Decision-Memo-Durable-Solutions.pdf

[3] Cet objectif avait été proposé en 2014 dans une lettre ouverte aux États membres de la part du HCR, du BCAH, de l’OIM, du HCR et du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des PDI.

[4] https://sustainabledevelopment.un.org/

[5] Kälin W et Chapuisat-Entwisle H (2017) Breaking the Impasse: Reducing Protracted Internal Displacement as a Collective Outcome

https://www.unocha.org/sites/unocha/files/Breaking-the-impasse_0.pdf

[6] Voir EGRIS (2018) « Technical Report on Statistics of Internally Displaced Persons: Current Practice and Recommendations for Improvement » https://unstats.un.org/unsd/statcom/49th-session/documents/BG-Item3m-IDPStat-E.pdf. Un groupe d’États, d’organisations de l’ONU et d’ONG fournissent déjà des conseils techniques sur cette question, et la bibliothèque des indicateurs relatifs aux solutions durables (Durable Solutions Indicators Library) constitue un nouvel outil important : https://inform-durablesolutions-idp.org/.

[7] Des conseils ont été dispensés par le biais de l’initiative MAPS (intégration, accélération et soutien aux politiques) du Groupe de l’ONU pour le développement, dans le cadre des efforts de l’ONU pour aider les pays à adopter des approches plurithématiques de la mise en œuvre des ODD.

 

 

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