Les dynamiques de l’instabilité dans l’Est de la RDC

Les premiers déplacements significatifs de population rwandophone1 commencèrent dès 1937 lorsque la RDC (alors appelée Zaïre) a encouragé l’immigration d’une population Banyarwanda (venant du Rwanda) « allogène » destinée à servir de main-d’œuvre sur ses grosses plantations coloniales aux côtés des communautés identifiées comme « autochtones ».

En 1960 il y avait environ 200 000 rwandophones vivant en RDC. Des Tutsi rwandais et des Hutu burundais émigrèrent encore au Kivu après l’indépendance de leurs pays respectifs en 1962 ; d’autres encore s’enfuirent du Burundi après le génocide déclenché contre eux par le régime tutsi de Bujumbura en 1972 et plus tard pour fuir la guerre civile. En RDC ils ont trouvé un territoire qui ressemblait au leur, avec de vertes montagnes, un air sain et des pratiques agricoles familières.

La fuite au Zaïre de centaines de milliers de réfugiés hutus après le génocide rwandais en 1994 a totalement bouleversé l’équilibre démographique complexe et déjà fragile. Parmi les réfugiés, se trouvaient des miliciens interhamwe (une organisation paramilitaire hutue), le groupe qui fut le fer de lance du génocide, et des soldats des Forces armées rwandaises (FAR). La haine entre Hutu et Tutsi installés en territoire congolais atteignit alors son paroxysme.

La pression sur les terres au Kivu s’accrut avec plusieurs conséquences désastreuses. La compétition pour l’accès aux terres et aux moyens de survie comme l’eau et le bois devinrent des facteurs de conflits entre groupes condamnés à cohabiter. Ces conflits furent mal arbitrés par des chefferies traditionnelles, ébranlées par tant de bouleversements et de déplacements de populations, et qui ne retenaient qu’un maigre vestige de leurs pouvoirs antérieurs.

A partir de la fin des années 1990, un autre ingrédient est venu s’ajouter pour faire de la région une poudrière : la découverte de minerais très convoités utilisés dans l’industrie électronique ainsi qu’une série d’autres ressources naturelles de grande valeur comme le coltan et la cassitérite (minerai d’oxyde d’étain) du Nord-Kivu, l’or de l’Ituri et du Sud-Kivu et aussi les bois tropicaux, le charbon de bois, la viande, le thé, la quinine et la papaïne. Les milices et les armées se sont empressées d’exercer leur emprise sur les principaux sites miniers dont elles ont tiré et continuent de tirer des sommes très importantes.

Une économie criminelle

Le système qui s’est alors installé était de type criminel, privatisé, militarisé,  très profitable dont la particularité était sa violence. Chaque chef de guerre des FARDC, des FDLR ou d’une milice Maï Maï contrôle son territoire, sa mine et son propre circuit de commercialisation; si l’un déborde sur l’aire de jeu de l’autre, c’est la guerre des clans. Les contrôleurs de la mine et du circuit de commercialisation s’efforcent de  préserver leur position; ceux qui cherchent à s’en emparer luttent militairement pour y parvenir. L’absence d’ordre public associée à la culture de l’impunité héritée des dernières années du régime de Mobutu, a permis l’épanouissement de cette économie qui se nourrit de la prédation et qui s’autodétruit à la longue par la surexploitation des sols, des sous-sols et des hommes.

Les armes comme toujours sont très recherchées. Les bénéfices dégagés par l’exploitation minière et les trafics ont permis aux groupes armés d’acquérir armements lourds, canons, mortiers de longue portée, AK 47, munitions, appareils de transmission et uniformes, à l’étranger. Malgré l’embargo sur la fourniture d’armes, le vaste marché des armes légères ne s’est jamais tari.  Fin 2009, on comptait 40 000 kalachnikovs dans le seul Nord-Kivu.

Reste le dernier ingrédient exacerbant le conflit : la rumeur malfaisante qui se propage de bouche à oreille, par des tracts anonymes, des affiches, des messages radio, des sms. Elle s’appuie sur la crédulité et réveille des rancœurs qui irritent encore davantage les haines intercommunautaires et nourrissent l’esprit de vengeance. Elle agite le plus souvent des théories du complot. Au Kivu et en Ituri, la rumeur ne cesse de faire circuler l’idée selon laquelle  les « Rwandais » accaparent les terres et les mines, dépossèdent les chefs coutumiers et continuent de parler le kinyarwanda. On évoque la vente du « droit d’aînesse national » (des Kivu) par les élites et les militaires qui cherchent à s’enrichir en pactisant secrètement avec l’ennemi. Ces accusations de trahison renforcent le clivage entre autochtones et étrangers. La radio rurale joue une fonction très efficace dans la neutralisation ou la propagation des rumeurs ; et le téléphone cellulaire accélère la communication et démultiplie l’audience des messages haineux.

Des conséquences sociales désastreuses
La conséquence la plus flagrante de ce climat conflictuel est l’insécurité qui règne dans le Kivu. Début janvier 2010 on comptait encore 1,5 millions de personnes déplacées, et de nouveaux groupes de personnes fuyaient leurs maisons suite à des attaques, accompagnées de viol plus particulièrement dans la zone de Walikale. Les indicateurs de développement humain sont extrêmes dans le Kivu. Les taux de pauvreté (84,7% dans le Sud-Kivu et 73% dans le Nord-Kivu) sont plus élevés que la moyenne nationale (71,3%). Les taux de scolarisation sont très faibles dans le primaire (environ 53%), les taux de mortalité maternelle et infantile sont élevés. Peu de ménages sont raccordés à l’eau potable, encore moins à l’électricité. Les services de santé sont insuffisants avec un médecin pour 27 700 habitants dans le Sud-Kivu et un pour 24 000 habitants dans le Nord-Kivu.

Certains phénomènes ont des conséquences profondes. Un fort exode vers les sites miniers a entraîné un déracinement probablement irréversible des jeunes et il  en est de même du choix qu’ils font de rejoindre un groupe rebelle ou une milice. Les groupes Maï Maï omniprésents dans la zone du Kivu se différencient de la structure sociale traditionnelle par leur agencement interne étroitement structuré et leurs rapports égalitaristes. Ils offrent une échappatoire à la terre et une nouvelle forme plus acceptable d’organisation que celle du village. Les jeunes recrues quittent leur territoire d’origine pour longtemps et ainsi s’affranchissent, souvent pour toujours, de l’autorité des anciens. Les parents perdent leur influence sur les enfants qui sont plus attirés par les cultures urbaines que par les valeurs traditionnelles. Là où ailleurs en Afrique, ce processus est inscrit dans la longue durée, dans l’Est du Congo, il est violent et rapide. Partout, l’agriculture y a perdu ses bras au profit des mines.

L’érosion de la base des ressources de nombreux ménages est aggravée par les pillages des militaires, les massacres d’animaux, les vols de récoltes et de bétail. Désormais, les formes traditionnelles de la solidarité sociale et économique sont remplacées par la lutte individualisée pour sa propre existence.

La protection des populations : la priorité principale

Des accords de paix successifs (Kisangani, Nairobi, Goma) et des résolutions des Nations unies, notamment celle de décembre 2008 (résolution 1856), de décembre 2009 (résolution 1906) et de juin 2010 (résolution 1925), cherchent à apporter une amélioration de la sécurité et de l’assistance humanitaire, et plus particulièrement à:

  • Réduire significativement les cas d’abus et de violences.
  • Réduire le nombre des personnes déplacées.
  • Augmenter l’accès des populations vulnérables à l’aide humanitaire et aux services des droits de l’homme.
  • Renforcer la protection dédiée spécialement aux femmes, aux enfants, aux réfugiés et aux personnes déplacées.
  • Etablir des garanties pour le retour des déplacés dans leur zone d’origine.
  • Réduire l’impunité des auteurs de violence et d’atteintes aux droits de l’homme et garantir leur passage devant la justice.

Après la protection des populations, la seconde priorité, essentielle pour l’établissement d’une paix durable, est la cessation des hostilités par le désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réintégration et la réinstallation (DD3R) des groupes armés. En  décembre 2003 le gouvernement a lancé un programme national destiné à réduire substantiellement les armes illégales en circulation et la réinsertion des combattants démobilisés grâce à des travaux d’intérêt collectif ou leur intégration dans l’armée ou encore leur rapatriement au Rwanda. Ce programme a partiellement réussi au moins en termes quantitatifs. 21 500 combattants et leurs dépendants sont retournés au Rwanda entre 2003 et 2009. Il ne restait au début de l’année 2010 que 3 000 combattants des groupes armés à réintégrer.

La méthode privilégiée pour régler les conflits, résorber les insurrections et rétablir la paix a toujours été en RD Congo l’intégration des groupes rebelles au sein de l’armée. Il en résulte que l’armée congolaise est à présent une sorte de mille-feuille composé de 56 groupes rebelles, successivement « intégrés » depuis les années 1980. Les nouveaux « soldats intégrés » rejoignent les éléments hétéroclites issus des groupes de combattants antérieurement intégrés. L’année 2009 a connu l’intégration dite « accélérée » de près de 20 000 rebelles supplémentaires au sein des forces armées nationales.

A dire vrai, cette façon de faire ne crée pas les meilleures conditions pour former une véritable armée nationale et peut tout au contraire avoir sur elle un effet déstructurant.  C’est ainsi  que l’intégration des éléments du CNDP, l’ancien groupe rebelle tutsi, et d’autres anciens rebelles a été conduite en 2009 avec une certaine précipitation, sans vérification sur l’origine des conscrits. Le CNDP, fort de sa bonne organisation, a pu profiter de son insertion dans l’armée nationale pour créer en son sein un commandement parallèle et poursuivre ses objectifs antérieurs, à savoir traquer les rebelles hutus du FDLR et s’emparer du contrôle des sites miniers. Le ver était désormais dans le fruit.

La résolution des conflits dans le Congo oriental mettra du temps. Après tant d’années de conflits et d’insécurité, tant de victimes et tant de terres détruites, les attitudes de défiance et les envies de représailles sont difficiles à éliminer. Mais il n’est pas impossible d’espérer qu’un jour prochain, une structure fédérale sera mise en place pour amorcer une coopération autour de l’aménagement concerté du territoire, au bénéfice principalement des communautés locales.  Il est également concevable d’espérer que les ressources qui étaient détournées par l’économie frauduleuse, en provenance du secteur minier et de la biodiversité notamment, seront canalisées vers des emplois productifs. La seule illusion serait de croire à l’existence de solutions simples et rapides à la période   post-conflictuelle : l’horizon temporel de la reconstruction sera de l’ordre de la décennie.

 

Pierre Jacquemot (Pierre.JACQUEMOT@diplomatie.gouv.fr) est l’Ambassadeur de France en République Démocratique du Congo (http://tinyurl.com/France-govt-DRC).  

1 Populations parlant le Kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda.

 

 

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