Les anciens combattants comme points d’appui de l’éducation sur le VIH au Sud-Soudan

Les interventions de désarmement, démobilisation et réintégration (DRR) constituent des voies d’accès potentielles pour atteindre les individus les plus vulnérables à la transmission du VIH.

Le Sud-Soudan est affligé par les conflits depuis les années 1950. L’Accord de paix global (APG) signé le 1er janvier 2005 a mis fin à la deuxième guerre civile, et le processus de développement et de relèvement est aujourd’hui en route. Par contre, les efforts pour mettre au point des politiques cohérentes en matière de VIH en sont toujours à leurs balbutiements. Dans une vaste région dénuée presque entièrement d’infrastructures, les défis sont immenses. Les quelques données disponibles indiquent que le VIH est prévalent à travers le Sud-Soudan mais son étendue exacte demeure inconnue.

Cet article présente les résultats de recherches portant sur l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) en tant que groupe à haut risque qui, étant donné ses liens étroits avec les communautés, représente potentiellement un point d’appui efficace pour la mise en place de politiques réactives en matière de VIH au cours du processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DRR).

Contexte post-conflit

Au Sud-Soudan, l’environnement post-conflit est instable et en constante évolution. Les populations retournent dans la région après des décennies de déplacement forcé, aussi bien en interne qu’à l’étranger, et beaucoup viennent de zones urbaines ou de camps de déplacement où la prestation de services était bien meilleure. Les violences sexistes répandues, en milieu rural comme en milieu urbain, sont à la fois un facteur de multiplication des infections au VIH et un obstacle aux interventions sur le VIH. D’importantes inégalités existent entre les sexes, et les individus entretiennent des relations sexuelles parallèles en raison de la présence du sexe transactionnel, de l’héritage de plusieurs femmes et de l’encouragement du mariage précoce et de la polygamie. L’usage d’outils non stériles pour la scarification et la vision de la circoncision comme un tabou augmentent également le risque de transmission du VIH. La plupart des individus n’ont pas accès aux services essentiels, tandis que les infrastructures qui permettraient de gérer les politiques relatives au VIH sont principalement inexistantes. Les interventions de lutte contre le VIH doivent donc se montrer innovantes et être applicables sans recours aux services de santé de base. De nombreux habitants du Sud-Soudan n’ont jamais entendu parler du VIH ou ignorent comment il est transmis ou évité. De plus, beaucoup d’entre eux ne peuvent pas choisir de se protéger en modifiant leur comportement.

Il n’existe presqu’ aucune donnée fiable sur la prévalence du VIH/sida au Sud-Soudan, bien que quelques études aient été menées pour essayer de déterminer l’étendue de l’épidémie dans la région. L’une de ces études a indiqué un taux de prévalence du VIH se situant entre 2 et 4 % de la population, tandis qu’une autre, menée dans des cliniques anténatales en 1996, suggérait un taux de 5 %. Parmi les différentes tribus, différents noms sont donnés au VIH/sida, ce qui rend plus difficile la collecte de données. Malgré ce manque de données précises, l’environnement post-conflit à haut risque, auquel s’ajoute le manque d’infrastructures, met en évidence à la fois le besoin de mettre en œuvre des politiques de prévention et d’atténuation du VIH, et les difficultés de cette mise en œuvre.

L’APLS – l’armée du Gouvernement du Sud-Soudan (GSS), anciennement la branche armée du principal mouvement rebelle sud-soudanais (le SPLM) – est en cours de transition, passant d’une armée de guérilleros à une force militaire professionnelle. Parmi les défis de cette transformation se trouvent l’ambiguïté entourant les structures de commande et des différences culturelles toujours croissantes parmi les soldats (puisque tous les autres groupes armés, construits principalement autour d’une identité tribale, ont dû être absorbés par l’APLS). L’APLS envisage de réduire ses effectifs grâce au processus DDR, qui donne l’occasion de mettre en place des interventions VIH pendant que les soldats font la transition vers la vie civile.

Au cours des années de conflit, les soldats de l’APLS ont constamment entendu qu’ils étaient les instruments de la repopulation du Sud-Soudan. En conséquence, il n’est pas surprenant qu’ils ne se soient pas protégés pendant leurs relations sexuelles avec des travailleuses du sexe. De leur côté, vulnérables et dans l’impossibilité de vivre une vie normale en communauté, les femmes cherchent refuge auprès des soldats, et s’adonnent souvent au sexe transactionnel pour garantir leur survie. Les interventions VIH doivent donc aborder ces réalités si elles veulent que les communautés se détachent des environnements facilitant la prolifération du VIH.

« ...Je ne veux pas de protection. Toutes ces années où nous avons souffert, nous ne nous sommes pas reproduits et nous avons mêmes perdu certains de nos enfants. Nous devons faire des enfants... et si nous devions mourir, nous serions morts dans la brousse. Le sida ne tue pas... » Soldat de l’APLS, avril 2008

Le processus DDR offre une occasion précieuse de dépister un groupe à haut risque alors qu’il se trouve toujours dans les sites DDR, créant ainsi un point d’appui unique permettant d’entrer en relation avec des personnes qui feront bientôt partie de la communauté civile. La DDR offre aux personnes qui dépendent de l’armée une occasion de bénéficier de possibilités de réintégration et d’interventions VIH claires, ciblées et adaptées afin d’encourager leur autonomie et réduire leur vulnérabilité et celle des autres. D’autres populations devraient également pouvoir en bénéficier, telles que les enfants soldats et les femmes associées aux forces armées. Cependant, les progrès vers la démobilisation du personnel de l’APLS ont été plus lents que prévus, à cause de problèmes liés à la dotation en personnel et à l’assistance technique. Alors que l’APG envisageait que 180 000 combattants du Nord et du Sud bénéficieraient du soutien DDR, l’ONU a rapporté en juillet 2010 que seuls 23 700 sont allés au bout du programme DDR(1) - et, sur ces 23 700, seuls 6 000 ont été démobilisés au Sud-Soudan. La dernière étape-clé de l’APG est le prochain référendum prévu pour janvier 2011 qui déterminera si le Soudan restera un pays uni ou sera séparé entre le Nord et le Sud. Ceci est devenu la priorité absolue de toutes les institutions gouvernementales et des communautés de donateurs, puisque les incertitudes vis-à-vis de la sécurité, voire même des risques de reprise des conflits, suite aux résultats (pour l’unité ou la sécession) pourraient venir détruire les efforts actuels de DDR.

Évolution des politiques relatives au VIH

L’APLS fait de la prévention contre le VIH une priorité mais il reste incertain si ces messages ont été assimilés par les officiers. Elle a adopté une politique de dépistage volontaire et de consultation et s’est dotée en 2006 d’un Secrétariat sur le VIH/sida, qui a pour responsabilité de superviser et mettre en œuvre une intervention VIH touchant l’ensemble de l’armée. Mais l’absence d’un commandement efficace demeure un obstacle à la lutte de l’APLS contre le VIH.

De nouvelles tentatives pour élaborer une politique relative au VIH ont rencontré divers degrés de succès. Le Nouveau conseil national soudanais du sida (NSNAC), fondé pour coordonner les efforts politiques en matière de VIH, a été développé en 2001 mais sa viabilité s’est vue menacée par l’insuffisance des financements et du soutien institutionnel. En conséquence, ce sont des ONG indépendantes qui ont mis en place des politiques dispersées sur le VIH mais celles-ci étaient à la fois de courte durée et de faible envergure. En juin 2006, la Commission pour le sida du Sud-Soudan (SSAC) a été établie en partenariat avec le GSS au niveau de l’État et des comtés. La SSAC et l’APLS ont toutes deux élaboré des plans à long terme visant à mettre en place des politiques de prévention contre le VIH/sida. En particulier, la SSAC s’est associée avec les principales parties concernées pour élaborer la Cadre stratégique du Sud-Soudan en matière de VIH/sida (SSHASF) pour 2008-2012.

L’ALPS et le SSHASF sont d’accord sur les domaines politiques les plus importants :

  • créer un environnement propice à un cadre financier, juridique et institutionnel durable pour les interventions VIH
  • mettre l’accent sur la prévention pour réduire le nombre de nouvelles infections
  • offrir des soins et des traitements et atténuer les impacts afin d’améliorer la qualité de vie des personnes séropositives
  • limiter l’exposition au VIH et atténuer son impact parmi les populations touchées par les situations d’urgence pendant les phases post-conflit et de reconstruction
  • renforcer les capacités pour consolider et décentraliser les interventions VIH nationales et pour en assurer la durabilité
  • procéder au suivi et à l’évaluation pour recueillir des informations qui renforceront la gestion des interventions nationales multisectorielles à tous les niveaux

Cette réponse paraît exhaustive mais de nombreux obstacles demeurent pour créer des cadres adaptés et peaufiner les politiques couvrant ces domaines thématiques. Parmi ces difficultés, l’on peut citer la coordination entre l’ALPS et le SSHASF et le maintien d’allocations budgétaires constantes pour la gestion de l’intervention VIH. De plus, il est nécessaire de mieux comprendre que les déterminants qui exposent les personnes au risque du VIH s’apparentent plus aux facteurs socio-économiques et culturels de la vie de ces personnes plutôt qu’à leur désir de concupiscence ou de s’engager dans des relations concurrentes. Pour que les politiques soient efficaces, l’ALPS et la SSAC devraient identifier tous les groupes qui ont besoin d’accéder à la documentation de prévention contre le VIH, y compris les groupes souvent ignorés tels que les veuves. Les politiques doivent aussi aborder la question de l’instabilité post-conflit de la région, en portant une attention particulière aux personnes anciennement déplacées retournant dans cette région.

Recommandations et prochaines étapes

Malgré sa volatilité, l’environnement présente de nombreuses opportunités pour mettre en place des interventions VIH, en particulier au sein de l’APLS, qui devront joindre l’action à la rhétorique. Le commandement militaire devrait se situer à l’avant-garde des efforts pour combattre l’épidémie au sein de l’institution militaire, en élaborant et en appliquant un code de conduite, de même qu’en protégeant les autres individus associés aux casernes. Les financements pour la mise en œuvre de programmes devraient être fiables tandis le dépistage obligatoire, accompagné par des services de soutien et un traitement confidentiels, devrait être encouragé pour l’APLS afin d’évaluer l’étendue de l’épidémie parmi ses forces. L’APLS peut utiliser sa structure de commandement pour atteindre un groupe à très haut risque, encourager les comportements responsables et réduire les nouvelles infections grâce à la discipline et une approche holistique. La DDR est également l’occasion d’enseigner de nouvelles compétences – par exemple, dans le domaine de l’agriculture – pour garantir l’autonomie future. Seules les relations familiales connues devraient être autorisées à s’approcher des casernes afin d’éliminer le sexe de dépendance et de survie.

Les conditions post-conflit posent un véritable problème et menacent de compromettre les progrès effectués à ce jour. Les interventions doivent atteindre la majorité des individus et modifier le comportement des personnes disposant d’un accès restreint, voir nul, aux ressources. Cela dit, la simple stratégie ABC (Abstain, Be faithful, Condomise - Abstinence, Fidélité ou Préservatif) ne fonctionnera pas dans cette région, et il est donc nécessaire que les politiques relatives au VIH prennent en compte les pratiques culturelles.
 
La SSAC devrait montrer l’exemple en maintenant son engagement politique pour améliorer les conditions des interventions VIH et faire du lobbying auprès des ministères responsables qui peuvent influencer les facteurs socio-économiques de l’épidémie. La SSAC devrait identifier les domaines où les comportements traditionnels présentent un haut risque et devraient cibler des groupes telles que les sages-femmes, les guérisseurs et les chefs en tant que points d’appui pour aborder les pratiques non hygiéniques.
                                                                                                                                   
Bien que l’analyse post-conflit présentée dans l’étude complète ne soit pas exhaustive, elle révèle une série d’obstacles qui peuvent affaiblir la direction politique désirée en matière de VIH si cette politique n’est pas basée sur des données tangibles et si elle n’est ni pratique ni réaliste. La vulnérabilité au VIH/sida dans la région est élevée et de nombreuses stratégies typiques de prévention impliquant l’éducation, la sensibilisation et le plaidoyer auront des impacts limités à cause des inégalités entre les sexes, de l’absence d’État de droit et de la faiblesse des structures de gouvernance. Le potentiel pour mettre en place des interventions VIH est élevé : il existe un vaste public captif au sein des programmes DDR et ces individus constituent des points d’appui importants pour toucher de nombreuses personnes au niveau individuel.

Anyieth M D’Awol (msdawol@hotmail.com) travaille comme chercheuse indépendante basée au Sud-Soudan et est la directrice exécutive du Projet Roots (http://tinyurl.com/rootsproject).

Cet article est extrait d’un rapport plus approfondi rédigé pour l’ACSI et disponible sur : http://tinyurl.com/ASCIreport16

 

 

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