Portraits d’apatrides en Europe

En Europe, les droits humains de nombreux apatrides sont bafoués chaque jour, des sans-abri vivant dans le dénuement e plus complet aux détenus des centres pour immigrants. Ces histoires nous sont rapportées par le réseau European Network on Statelessness.

Ces histoires[1] proviennent du Réseau européen sur l’apatridie (European Network on Statelessness, ENS), une alliance de  la société civile composée actuellement de 53 organisations dans 33 pays, qui réunit des études de cas dans le cadre d’une campagne visant à donner un visage humain à l’apatridie et à prouver que de plus amples mesures politiques sont nécessaires pour améliorer la protection des apatrides. Cette campagne s’accompagne d’une pétition (disponible en ligne à compter du 28 mai 2014) qui appelle les dirigeants européens à respecter la Convention de 1954 relatives au statut des apatrides (dans les pays qui ne le font pas encore) et de s’engager à définir une procédure de détermination du statut d’apatride. www.statelessness.eu

En Europe, de nombreuses personnes apatrides subissent chaque jour des violations de leurs droits humains, qu’ils vivent dans la rue dans le plus complet dénuement ou qu’ils soient détenus longuement dans des centres pour immigrants. Toutefois, la solution est simple : établir une procédure de détermination du statut d’apatrides qui fonctionne.

Isa

Isa est né au Kosovo. Il a fui en Serbie suite au conflit de 1999 mais, comme il ne possédait pas de papiers d’identité, il n’a jamais été enregistré comme personne déplacée de l’intérieur. Il ne se rendait pas à l’école, il n’avait pas non plus d’assurance-maladie et ses seules preuves de résidence étaient les relevés de sa concubine et de ses voisins. Son premier document d’identité, son acte de naissance, lui a été délivré en 2013 alors qu’il avait 29 ans. Il avait réussi à l’obtenir grâce à une nouvelle procédure introduite en 2012.

Cependant, même s’il a été capable de faire enregistrer sa naissance, Isa reste sans nationalité. Il ne peut pas « hériter » de la nationalité de son père (puisque lui non plus n’en a pas) ou de celle de sa mère (elle est partie lorsqu’il n’avait que deux semaines et Isa ne sait pas si elle disposait d’une nationalité au moment de sa naissance). Dénué de nationalité, Isa reste privé de l’exercice de ses droits et de l’accès aux services.

«Je ne peux pas me marier, ni être reconnu comme le fils de mon père, ni rendre visite à ma famille au Kosovo. Je ne peux pas travailler légalement, ni bénéficier d’une assistance sociale ou contracter une assurance santé. Les gens me traitent comme si je n’existais pas ou comme si j’étais un criminel.»

Actuellement, la Serbie ne dispose d’aucune procédure pour reconnaître l’apatridie et régulariser le statut d’Isa. La seule option qui se présente à Isa est d’acquérir la nationalité serbe en se faisant naturaliser mais, malheureusement, Isa ne peut fournir aucune preuve écrite de sa résidence comme l’exige la loi. Il continue donc de vivre une existence incertaine.

Sarah

Sarah est née et a été élevée en République démocratique du Congo (RDC) d’un père rwandais et d’une mère congolaise. En 2001, pendant la guerre entre les deux pays voisins, les parents de Sarah ont été arrêtés si bien que celle-ci s’est retrouvée seule à l’âge de 15 ans. Un an après que ses parents avaient été emprisonnés, Sarah at décidé de fuir vers les Pays-Bas.

À son arrivée, elle a déposé une demande de permis de séjour en tant que demandeur d’asile mineur et non accompagné, mais sa demande a été rejetée. Un processus de rapatriement a alors été amorcé. Cependant, deux jours avant son retour en RDC, les autorités néerlandaises lui ont annoncé que le laissez-passer nécessaire à son expulsion, et précédemment accordé par les autorités congolaises, avait été retiré. Le processus d’expulsion a donc dû être suspendu, et Sarah a reçu l’autorisation de rester. Afin de régulariser son statut, Sarah a déposé une demande de « permis de séjour hors faute », un permis d’un an destiné aux personnes qui ne peuvent pas quitter les Pays-Bas pour des raisons dont ils ne sont pas responsables. Dans le cadre de cette demande, Sarah devait obtenir  auprès des autorités congolaises un document prouvant son identité et c’est à ce moment-là qu’elle s’est rendue compte, pour la première fois, qu’elle était apatride.

L’ambassade congolaise aux Pays-Bas l’a informée qu’elle avait automatiquement perdu la nationalité congolaise à l’âge de 18 ans, puisque les personnes ayant une double nationalité étaient obligées de choisir l’une ou l’autre à cet âge-là. Sarah n’était pas consciente de cela. Quant à l’ambassade rwandaise, elle a informé qu’elle ne pouvait pas être reconnue comme rwandaise car elle n’était pas née au Rwanda et qu’elle n’avait aucun lien étroit avec le pays.

Douze ans plus tard, Sarah n’est toujours pas capable de (ré)acquérir ses documents d’identité congolaise ou rwandais et, comme les Pays-Bas ne disposent actuellement d’aucune procédure de reconnaissance ou de régularisation des apatrides, il n’y a pas de solution en vue pour Sarah.

«Lorsque je suivais la procédure de demande d’un permis de séjour, j’avais au moins la possibilité d’étudier et de me faire des amis. À l’heure actuelle, je me sens isolée. Je reste chez moi tous les jours. J’aimerais fonder une famille mais, au vu de ma situation, je ne peux pas.»

Luka

«Tout ce que je veux, c’est travailler. Pourquoi ne me donnent-ils pas de permis de séjour pour que j’aie le droit de travailler ? Ils me forcent à travailler dans l’illégalité. J’en ai assez.»

Luka est né en Ukraine lorsqu’elle faisait encore partie de l’Union soviétique. Après avoir été élevé dans un orphelinat, il a émigré en Slovaquie en 1991, à l’âge de 15 ans. Luka n’a jamais reçu de documents des autorités ukrainiennes confirmant sa nationalité.

Luka a été mis en détention à plusieurs reprises en Slovaquie, la dernière fois en 2010, lorsqu’il a passé 14 mois en centre de détention. Il en avait été libéré après qu’un tribunal a décidé que son expulsion de Slovaquie n’était pas possible et lui a accordé un droit de séjour toléré. Les autorités slovaques ont simplement enregistré sa nationalité comme « indéterminée » ; toutefois, tout semble indiquer qu’il est en fait un apatride. Lorsque Luka a essayé de soumettre une demande d’extension de son séjour toléré, on lui a demandé de soumettre de nouveaux documents confirmant que l’ambassade ukrainienne refusait de lui délivrer un document de voyage de remplacement. Alors que la police disposait déjà de preuves confirmant que l’Ukraine n’acceptait pas Luka comme l’un de ses citoyens, elle a refusé tout de même de traiter sa demande. En revanche, elle lui a administré une amende de 80 € pour être en situation de séjour illégal. Une semaine plus tard, il a reçu une nouvelle amende, de 160 € cette fois-ci.

Après avoir passé plus de 20 ans en Slovaquie, Luka n’est toujours pas reconnu comme apatride et son statut de séjour toléré ne lui permet toujours pas de travailler ni d’accéder à une assurance santé. Il ne peut pas épouser sa partenaire, la mère de son fils de 8 ans qui est une citoyenne slovaque et qui vit avec lui et la mère de celui-ci.

«Je ne suis pas officiellement reconnu comme le père de mon fils. Mon nom n’apparaît pas sur son acte de naissance. Ils ont refusé de l’y inscrire car je ne dispose d’aucun document prouvant mon identité.»



[1] Tous les noms ont été changés.

 

 

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