Ancrage des rapatriés: le rôle de la Stratégie des solutions

Pour la stabilité et la sécurité futures de l’Afghanistan, il est crucial d’assurer un niveau de vie minimal et d’offrir des moyens de subsistance pour aider les personnes de retour à s’ancrer durablement dans le pays. C’est l’un des trois principaux objectifs de la Stratégie des solutions pour les réfugiés afghans de 2012.

Les réfugiés afghans ont pendant longtemps constitué la plus grande population de réfugiés au monde et l’une des situations les plus prolongées du monde. Ils ont aussi fait l’objet du plus grand programme de rapatriement jamais entrepris, qui se poursuit encore aujourd’hui. Depuis 2002, plus de 5,8 millions de réfugiés sont retournés en Afghanistan, mettant fin à des années d’exil; 80% étaient exilés depuis plus de 20 ans. L’UNHCR a aidé plus de 4,7 millions de réfugiés à rentrer dans leur pays par le biais de son programme de rapatriement volontaire.

Alors que les retours étaient massifs entre 2002 et 2008 (4 369 086 enregistrés par l’UNHCR), le nombre de rapatriés a ensuite régulièrement baissé et n’a concerné que 201 284 personnes au total sur ces trois dernières années. Cette tendance reflète l’évolution des circonstances relativement aux premières années de rapatriement, lorsque les réfugiés afghans, pleins d’enthousiasme et d’optimisme après la chute du régime des Talibans, semblaient capables d’ignorer les obstacles et les difficultés qui jonchaient le chemin du retour vers un pays dévasté par 20 années de conflit. Nombre de ces obstacles sont toujours présents, notamment le manque d’accès aux moyens de subsistance et aux services essentiels dans les zones de retour et l’insécurité croissante dans certaines régions d’Afghanistan. Et l’enthousiasme qui régnait au moment du retour a cédé la place à une approche plus réaliste, souvent basée sur l’attentisme. Il est aussi évident que si, ces dernières années, de nombreux rapatriés entretenaient encore des liens étroits avec leur pays d’origine, la troisième génération d’Afghans nés en exil, dont les liens avec l’Afghanistan sont bien plus ténus, considèrent la situation de manière plus critique et réaliste et attendent des signes concrets en matière d’amélioration de la sécurité et de stabilité économique.

Il est important de noter que des tendances extrêmement positives ont pu être observées: croissance du PIB de 8,2%, multiplication par sept du nombre d’enseignants, accès aux services de santé essentiels pour 85% de la population et chute de la mortalité maternelle de 1 400 à 327 femmes pour 100 000 naissances vivantes. Toutefois, en dépit de ces résultats positifs, et des milliards de dollars d’aide internationale, l’Afghanistan demeure le pays le plus pauvre de la région.

Depuis le début de son programme de rapatriement volontaire en Afghanistan en 2002, l’UNHCR a fourni aux rapatriés une assistance visant à les aider à subvenir à leurs besoins immédiats tant sur le plan de la survie que de la réintégration: abri, points d’eau, projets générateurs de revenus, formations axées sur les compétences, alphabétisation et travail contre rémunération. Néanmoins, ceux qui choisissent de rentrer au pays continuent de se heurter à des obstacles, notamment le manque de sécurité des droits fonciers, le manque de services essentiels et la poursuite des conflits et de l’insécurité. L’accès à des routes sûres est également insuffisant, tout comme l’accès aux marchés, aux systèmes d’irrigation et aux systèmes de protection contre les inondations et les autres catastrophes naturelles. Pour la stabilité et la sécurité de l’Afghanistan, il est crucial d’assurer un niveau de vie minimal et d’offrir des moyens de subsistance pour aider les personnes de retour à s’ancrer durablement dans le pays. Parallèlement, il est nécessaire de gérer la situation des réfugiés afghans dans les pays voisins en attendant leur retour, et de renforcer les solutions alternatives. Des interventions intégrées par l’ONU et les autorités afghanes font cruellement défaut, alors qu’elles pourraient permettre de garantir la complémentarité de l’assistance nécessaire sur le plan humanitaire et sur le plan du développement.

Stratégie des solutions pour les réfugiés afghans

Avec ces objectifs en toile de fond, l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan, avec l’appui de l’UNHCR, ont lancé un processus consultatif quadripartite en 2011 qui a abouti au lancement, en mai 2012, de la Stratégie des solution pour les réfugiés afghans en appui au rapatriement volontaire, à la réintégration durable et à l’assistant aux pays hôtes (Solutions Strategy for Afghan Refugees to Support Voluntary Repatriation, Sustainable Reintegration and Assistance to Host Countries), avalisée par plus de 50 pays.[1] Cette Stratégie des solutions donne l’opportunité d’identifier des moyens d’ancrer véritablement les rapatriés en Afghanistan en vue d’éviter les déplacements secondaires.

Au départ, la Stratégie des solutions portait son attention sur 48 zones «de grand retour» sélectionnées afin de concentrer les activités liées à la réintégration des rapatriés. Toutefois, après une première évaluation, il est devenu évident que les nouveaux rapatriés se déplaçaient vers d’autres zones et il a donc été décidé d’élargir le nombre de zones de retour ciblées et d’orienter l’assistance là où se trouvaient les flux de réfugiés. Un portefeuille de projets proposés pour 2014 a été préparé conjointement par les trois pays susmentionnés, des agences de l’ONU, des organisations intergouvernementales et des ONG nationales et internationales, qui ont collaboré via un cadre intégré de coopération et de coordination multilatérales dans chaque pays.

Étroitement alignée sur les programmes de priorité nationale (PPN) de l’Afghanistan, la Stratégie des solutions vise à faciliter la transition entre l’aide humanitaire à court terme et les initiatives de développement à long terme. L’un de ces PPN, le Programme national de solidarité (PNS)[2] est l’un des principaux véhicules de promotion du développement rural en Afghanistan. Lancé en 2003 par le ministère de la Réhabilitation rurale et du développement (MRRD) dans le but de développer et de réhabiliter des villages ruraux afghans, ce programme a pour objectif d’autonomiser les communautés rurales et de promouvoir leur participation au développement local. En raison de sa vaste couverture géographique, le PNS est un programme de développement national particulièrement susceptible de toucher les communautés de réfugiés partout en Afghanistan et de contribuer à la durabilité du retour.

Le thème prioritaire de la Stratégie des solutions est l’emploi des jeunes par l’éducation et la formation. Elle prête également une attention particulière aux projets portant sur l’autonomisation des femmes et visant à renforcer la participation des femmes aux processus décisionnaires au domicile et dans la communauté; ces projets cherchent à sensibiliser les populations aux revenus potentiels que les femmes pourraient gagner et à leur capacité participative, conformément à l’approche plus globale de la prévention des Violences Sexuelles et Sexistes (VSS). L’UNHCR continuera d’identifier les zones accessibles et les tendances en termes de retour, y compris de retour dans les zones urbaines, et utilisera ces critères pour prioriser ses interventions. Là où l’on observe un manque évident d’acteurs sur le terrain, l’UNHCR conduira des projets à impact rapide (p. ex. construction de petites routes d’accès pour multiplier les possibilités de subsistance) et, parallèlement, encouragera l’arrivée d’acteurs du développement pour créer des opportunités à plus long terme et plus durable.

Les projets mis en œuvre dans le cadre de la Stratégie des solutions se sont concentrés non seulement sur l’hébergement et les services essentiels mais aussi sur les possibilités de renforcer la protection et la coexistence pacifique. En plus de fournir des abris, de l’eau, des cliniques et des ambulances, des formations professionnelles ou axées sur les compétences et des établissements éducatifs élargis, la Stratégie des solutions a également permis, ces deux dernières années, l’installation de systèmes d’éclairage solaire dans les maisons et les rues des zones de grand retour, une plus grand sécurité pour les femmes, la construction de trois microcentrales hydro-électriques pour améliorer l’accès des rapatriés et des communautés d’accueil à l’électricité et lé réhabilitation d’infrastructures socio-économiques (routes, systèmes d’irrigation et centres communautaires). Qu’il s’agisse d’assistance humanitaire immédiate ou d’intégration à long terme, l’objectif principal de toutes les interventions de l’UNHCR est de faire avancer les principes de protection. Cela signifie que les efforts de l’UNHCR ne porteront pas seulement sur l’hébergement, l’assistance matérielle ou monétaire, mais aussi sur la sécurité, la dignité et les droits des personnes relevant de sa compétence. Dans certains cas, il s’agira de s’attaquer directement aux préoccupations en matière de protection (par exemple, par le biais de projets de soutien contre les VSS ou de programmes d’assistance juridique); dans d’autres, il pourra s’agir d’entreprendre des activités qui se traduiront par des dividendes ultérieurs en matière de protection (par exemple, des projets de subsistance qui réduiront la probabilité de déplacement secondaire ou des opportunités éducatives qui réduiront la probabilité des mariages précoces).

Partenariat et coordination

Afin d’élaborer et de mettre en œuvre des interventions étroitement alignées sur les programmes nationaux, il est crucial de coordonner les efforts et de créer des partenariats avec les programmes de l’État, tels que les PPN. Le ministère des Réfugiés et du rapatriement (MRR) et se branches provinciales continuent d’être les principaux homologues gouvernementaux de l’UNHCR concernant le rapatriement volontaire et le retour et la réintégration durables. Cependant, l’UNHCR sollicite également l’engagement plus prononcé des autres ministères et agences de l’ONU concernés, notamment en vue d’inclure les besoins des rapatriés parmi les priorités de développement pour 2015. Des possibilités de coopération avec le Programme de développement rural de la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement sont actuellement explorées dans l’objectif de relier les solutions de retour au développement agricole. Enfin, la FAO et l’UNHCR ont entamé des discussions concernant une initiative transfrontalière par laquelle les familles d’agriculteurs réfugiés établies au Pakistan auraient accès à des formations afin de favoriser leur retour et leur réinstallation durable en Afghanistan.

En 2013, les autorités de l’Afghanistan, d’Irak et du Pakistan ont adopté une Stratégie commune de mobilisation des ressources pour la coordination et la levée de fonds, au niveau national et régional. Cette stratégie se compose deux éléments-clés: garantir la prévisibilité des financements pluriannuels en appui à la Stratégie des solutions et développer des partenariats avec des bailleurs et des acteurs du développement non traditionnels.

Le comité national directeur de la Stratégie des solutions oriente la mise en œuvre de cette dernière via le comité de coordination interministériel, présidé par le MRR, et dirige également le fonds fiduciaire mutli-donateurs. Cette initiative est d’autant plus cruciale pour que la situation humanitaire reste le centre d’attention au cours de l’imprévisible période de transition qui s’approche en Afghanistan, une période qui pourrait avoir des conséquences non seulement pour les personnes déplacées et les rapatriés au sein du pays mais aussi sur les personnes toujours exilées dans les pays voisins et dans le reste du monde.

 

Pierfrancesco Maria Natta natta@unhcr.org est représentant adjoint pour la protection chez l’UNHCR en Afghanistan. www.unhcr.org

 

 

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