Protection et assistance pour les migrants pendant les situations de crise

Plusieurs nouvelles initiatives mettent en lumière certains moyens qui permettraient à la communauté internationale, et surtout aux gouvernements, de réduire la vulnérabilité des travailleurs migrants au cours des situations de conflit et de crise.

Dans les zones de conflit, les travailleurs migrants internationaux sont souvent plus vulnérables que la population locale, par exemple parce qu’ils ne parlent pas la même langue ou ne partagent pas la même culture, qu’ils connaissent mal la géographie du pays ou qu’ils se trouvent en bas de la pyramide économique. Sans réseau familial ou communautaire auquel faire appel dans les temps difficiles, leur isolement contraste vivement avec le soutien apporté par exemple aux Libyens en fuite par leurs relations familiales et par les Tunisiens. Ils redoutent aussi bien les dangers immédiats que les retombées défavorables que pourraient occasionner la perte de leur emploi pour les personnes qui dépendent de leurs transferts de fonds.

Comme nous l’avons vu avec la crise libyenne, le retour relativement rapide d’un grand nombre de travailleurs migrants se traduit, pour le pays d’origine de ces migrants, par de terribles conséquences en termes de pertes de recettes en devises étrangères mais aussi d’augmentation du chômage. De plus, les migrants de retour cessent d’être le principal soutien de famille et deviennent, au contraire, une personne à charge. Cet ajustement est souvent difficile et stressant aussi bien pour le migrant lui-même que pour sa famille. De surcroît, la famille a souvent dû s’endetter pour garantir l’emploi du migrant à l’étranger, si bien que le remboursement de cette dette devient alors la responsabilité de toute la famille, ce qui accentue encore les pressions financières.

Chaque pays a géré le retour et la réintégration des travailleurs migrants pendant la crise libyenne à sa manière, en fonction du nombre de migrants impliqués et des ressources gouvernementales disponibles. Alors que la crise libyenne empirait, le gouvernement philippin a réussi à mobiliser rapidement les fonds nécessaires pour mettre en place des structures permettant de procéder à des rapatriements. Il a également travaillé étroitement avec la communauté philippine de Libye pour diffuser des informations, mobiliser et enregistrer les travailleurs migrants souhaitant se réinstaller ailleurs et contribuer aux efforts d’évacuation et de rapatriement. De plus, les Philippines s’étaient dotées depuis longtemps déjà de lois institutionnalisant les procédures et les structures permettant de gérer les rapatriements d’une telle envergure.

D’autres pays ont suivi un chemin différent et financé des organisations internationales, telles que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pour qu’elles organisent des vols charters et dirigent l’évacuation des travailleurs migrants hors de Libye. D’autres encore, tels le Bangladesh et le Tchad, ont organisé eux-mêmes des vols charters, en plus d’apporter une contribution financière. Il n’y a donc aucune approche standard.

La crise a une fois encore mis en lumière les vulnérabilités des travailleurs migrants lors des situations de conflit: la peur d’être harcelé ou ciblé par les parties belligérantes, l’incapacité de couvrir les frais de transport pour quitter la zone de conflit, l’impossibilité d’accéder à leurs documents de voyage (puisque certains employeurs conservaient le passeport des travailleurs migrants afin de minimiser les ruptures de contrat), une maîtrise insuffisante de la langue locale, l’accès limité ou inexistant aux fonctionnaires d’ambassade (en particulier dans les cas où ces fonctionnaires ont été rapidement évacués) et la connaissance insuffisante du système de transport et des voies d’évacuation.

Comme mentionné plus tôt, l’évacuation forcée se traduit couramment par le retour d’un travailleur migrant traumatisé et endetté dans une famille qui dépend des transferts monétaires de ce dernier. Les migrants retournant dans une famille vivant dans la pauvreté cherchent généralement à ré-émigrer, souvent vers le pays qu’ils viennent de fuir, en raison de leur familiarité avec l’environnement local.

La récente crise de la migration en Libye ne fait pas exception. Les migrants rapatriés désirent, parfois ardemment, retourner en Libye malgré l’instabilité qui y règne. En date du 23 novembre 2011, 38 migrants bangladais étaient revenus en Libye pour y travailler, alors même que les autres migrants continuaient de fuir le pays pour retourner au Bangladesh.

La marche à suivre

Certains gouvernements et certaines organisations ont déjà mis en place d’importantes initiatives pour surmonter ces obstacles. Ci-dessous se trouvent quelques exemples d’initiatives qui pourraient être entreprises ou élargies.

Développer des procédures opérationnelles permanentes : En avril 2011, suite à la crise en Libye et à l’occasion des quatrièmes Consultations ministérielles sur l’emploi outre-mer pour les pays d’origine en Asie (connu sous le nom de Processus de Colombo),[1] les représentants gouvernementaux des pays-membres ont recommandé l’élaboration de procédures opérationnelles permanentes (POP) pour la protection des travailleurs migrants dans les urgences complexes. Les POP fournissent les structures institutionnelles et les mesures de planification d’urgence nécessaires pour intervenir en cas de situation semblable à l’avenir. Plus spécifiquement, elles donnent des informations détaillées sur les mesures de protection in-situ, la réinstallation et les procédures d’évacuation et de rapatriement, en insistant sur la coordination entre les différentes parties prenantes.

Par exemple, le gouvernement philippin reconnaît depuis longtemps à quel point il est important de venir en aide à ses citoyens travaillant à l’étranger pendant les crises, et que cela sert les intérêts de la nation. Pendant la crise libyenne, les Philippines ont établi une équipe de préparation et d’intervention à l’étranger, sous l’égide du président. Cette équipe était chargée, entre autres responsabilités, de formuler et de revoir régulièrement les plans de contingence en cas de crise affectant les Philippins établis à l’étranger.

Créer un fonds fiduciaire d’urgence : Les États membres du Processus de Colombo ont également recommandé l’établissement d’un mécanisme de financement formel afin de garantir une intervention rapide et structurée. Ce mécanisme remplacerait le processus actuel d’appel éclair suite à une crise humanitaire. Peu de pays émetteurs de migrants disposent des capacités permanentes pour évacuer et rapatrier leurs ressortissants dans les plus brefs délais en cas de conflit dans un pays étranger. Alors que l’OIM et ses partenaires peuvent réagir rapidement en cas de crise, l’incohérence des interventions des donateurs se traduit par une mobilisation inefficace. Il est déjà arrivé que des écarts de financement mettent en danger le rapatriement des migrants hors des zones de conflit. Pour garantir la sécurité humaine, il faut un flux de financement plus stable qui ne dépende pas uniquement de l’altruisme des donateurs ou de leur désir de réduire le degré de probabilité de la migration irrégulière.

Proposer une micro-assurance aux migrants : Les travailleurs migrants sont souvent pris de court en cas de situation d’urgence dans le pays de destination (par exemple, en cas de maladie ou de dommages corporels, de catastrophe naturelle ou de soulèvement politique). Si leur employeur mettent la clé sous la porte et quittent le pays, les travailleurs migrants se retrouvent généralement sans aucun moyen de subvenir à leurs besoins. Au cours des dix dernières années, les programmes d’assurance destinés aux migrants se sont multipliés à travers l’Amérique latine ainsi que l’Asie du Sud et du Sud-Est, rencontrant un vif succès. On peut également citer les programmes d’assurance sociale, comme au Sri Lanka où ce type de programme est une caractéristique inhérente au processus migratoire. Les gouvernements parrainent ces programmes pour des groupes de population ciblés, tandis que les programmes de micro assurance sont gérés par des agences privées et proposés aux migrants et à leur famille.

Former les migrants à la planification d’urgence : Avant de quitter leur pays, la plupart des travailleurs migrants ignorent les risques et les embûches qui jalonnent le parcours du migrant. Alors que, ces dernières années, plusieurs campagnes de sensibilisation et programmes d’orientation pré-départ ont cherché à informer les migrants sur divers sujets tels que la littératie financière ou les normes culturelles du pays d’accueil, le thème de la planification d’urgence en cas de crise est rarement abordé. Il est pourtant primordial que les migrants soient informés des risques qu’ils pourraient rencontrer (en particulier dans le cas d’un soulèvement politique ou d’un conflit soudain) et des mesures à suivre pour garantir leur sécurité.

Renforcer les capacités des ambassades à protéger les travailleurs migrants : Plusieurs pays émetteurs de main-d’œuvre, tels que le Bangladesh, le Pakistan et les Philippines, se sont dotés d’attachés d’ambassade dont le rôle est de porter assistance aux travailleurs et d’assurer leur bien-être. Ces fonctionnaires sont formés sur diverses problématiques associées à la migration, telles que la lutte contre le trafic des personnes, la facilitation des transferts de fonds et l’enregistrement et le traitement des réclamations. Renforcer leur familiarité avec les mécanismes existants et les interventions institutionnelles en cas de crise permettrait de renforcer leurs capacités à protéger les migrants, dans le pays d’accueil comme au cours de la réinstallation, de l’évacuation ou du rapatriement. Ces attachés d’ambassade devraient être le premier point de contact pour aider les migrants en détresse et devraient être chargés de diffuser les informations aux communautés de migrants, en particulier dans les situations d’urgence. Les mineurs non accompagnés et les migrantes devraient bénéficier d’une attention particulière car ils sont toujours plus exposés aux risques.

Élaborer des plans post-retour et de réintégration : Les acteurs nationaux et internationaux devraient envisager des stratégies de réhabilitation à long terme pour les migrants forcés de retourner chez eux, par exemple en leur offrant des possibilités d’emploi dans leur pays ou à l’étranger. Ainsi, plusieurs pays, dont le Bangladesh, ont rendu obligatoire l’enregistrement de tous les rapatriés dès leur arrivée à l’aéroport. Même s’il n’existait aucun plan de réintégration lors du retour des migrants établis en Lybie, les fonctionnaires bangladais de l’immigration ont enregistré les migrants pour s’assurer que le gouvernement dispose de la liste complète des rapatriés, y compris leurs coordonnées. Les informations recueillies se sont avérées particulièrement utiles lorsque le gouvernement bangladais a ensuite obtenu un prêt de la Banque mondiale pour rembourser une partie des frais de rapatriement engagés par l’OIM et donner à chaque rapatrié un don unique en espèces.

 

Brian Kelly bkelly@iom.int est le conseiller régional en situation d’urgence et post-crise pour l’Asie et le Pacifique, l’Organisation internationale pour les migrations www.iom.int

 

 

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