Des acteurs humanitaires nouvellement reconnus

De « nouveaux » acteurs humanitaires gagnent en reconnaissance, accentuent leur impact et multiplient leurs capacités. Il est important que la communauté humanitaire internationale les considère comme égaux.

Les multiples crises humanitaires simultanées de 2011-2012 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MOAN) ont posé plusieurs défis au système humanitaire traditionnel en matière de difficulté d’accès, d’adaptation et de financement. Parallèlement, des acteurs « non traditionnels » ont eu un grand impact en Égypte, en Libye, en Tunisie et au Yémen car ils se trouvaient au bon endroit, au bon moment. Ils ont pu combler certaines carences en réagissant plus promptement que la communauté internationale, en partie grâce aux liens plus étroits qu’ils entretenaient avec les communautés locales et les structures de gouvernance informelles. Il en va de même pour la Somalie.

Le modèle traditionnel de l’action humanitaire sous mandat international dépend de l’intérêt qu’une catastrophe donnée suscite au Nord, c’est-à-dire là où se trouvent la gouvernance humanitaire et les financements. Il suppose la faiblesse de la communauté humanitaire locale ou régionale (en termes d’échelle, de principes et de coordination). Toutefois, début 2011, la situation en Libye a prouvé le contraire. Dans l’est du pays, de même qu’aux frontières avec l’Égypte et la Tunisie, les communautés locales et les organisations de la société civile (OSC) ont été les premières à répondre aux besoins des personnes déplacées. Les ONG égyptiennes leur ont emboîté le pas, organisant des convois vers Benghazi et ailleurs, tandis que les comités humanitaires locaux de Libye, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et l’Union des médecins arabes produisaient régulièrement des rapports de situation, plusieurs semaines avant ceux des systèmes d’intervention traditionnels.

Au niveau régional, les départements humanitaires de la Ligue des États arabes (LEA) et de l’OCI ont augmenté leurs ressources et accentué leur impact. Les ONG nationales gagnent également en visibilité après avoir été étouffées par les régimes autocratiques. Les ONG égyptiennes s’internationalisent, travaillant avec des organisations telles que l’Union des médecins arabes et la Banque alimentaire sur des interventions en Libye, en Somalie et en Syrie. Les ONG du Golfe (en particulier du Qatar et des EAU) et de la Turquie sont aussi de plus en plus actives en MOAN et au-delà.

La communauté internationale doit démontrer son engagement envers ces acteurs en pleine évolution et les soutenir en respectant leur identité. Ils doivent être reconnus en raison de leur capacité d’accès, de leur légitimité et de leurs connexions. Ceci implique de créer des relations de confiance, de renforcer leurs capacités et d’encourager la coopération. De surcroît, de tels partenariats pourraient contribuer à dissiper quelques suspicions injustifiées et promouvoir les activités humanitaires et de développement en tant que domaine naturel de confiance entre communautés.

Il est temps de renforcer le partenariat entre l’ONU, la LEA et l’OCI pour mettre à profit leurs différences en matière de compétences, de représentativité et d’accès. Ce renforcement se manifeste déjà dans les réunions communes et les visites d’évaluation (par exemple en Syrie). Dans l’optique de ce renforcement, les organes régionaux devraient chercher à élaborer des mécanismes de coordination soutenus par toutes les parties, y compris les gouvernements et les ONG. Reconnaître et faire participer ces nouveaux acteurs pourraient certainement profiter à certaines structures telles que le Comité permanent interorganisations (CPI). A l’instar d’autres groupes d’ONG, ils devraient disposer d’un siège collectif au CPI. Enfin, afin de démontrer leur confiance – et pour une plus grande efficacité – les gouvernements occidentaux pourraient financer directement un plus grand nombre d’ONG islamiques.

Parfois, les ONG internationales bénéficient d’un meilleur accès aux personnes dans le besoin, ont plus d’expérience ou disposent de différentes sources de financement. Leur impact sur le terrain est évident, tout autant que leur capacité à gagner des soutiens dans les pays donateurs. Néanmoins, les ONG locales devraient être considérées comme égales et les donateurs devraient redoubler d’efforts pour soutenir les capacités et les connexions systémiques des OSC. Il faudrait également qu’un rapprochement soit opéré entre les organisations consœurs. En effet, les communautés humanitaires traditionnelles et «nouvellement reconnues» appréhendent différemment la responsabilité et les principes humanitaires, ce qui est perçu comme un obstacle. Il n’est pas suffisant de chercher à comprendre pourquoi une communauté humanitaire ne défend pas les mêmes valeurs qu’une autre: il nous faut comprendre les organisations et leurs valeurs.

Il nous reste à voir si la situation extrême qui est apparue au cours de la première année du printemps arabe continuera de remettre en question l’architecture humanitaire régionale, ce qui semble fort probable. Ensemble, nous devons trouver de meilleures solutions pour résoudre les crises en Syrie, en Somalie, au Sahel, au Yémen et ailleurs.

 

James Shaw-Hamilton james@humanitarianforum.org est directeur du Humanitarian Forum www.humanitarianforum.org.

 

Le Humanitarian Forum est établi en 2005 comme réseau de grandes organisations humanitaires et de développement issues de pays musulmans donateurs et récepteurs, de pays occidentaux et du système multilatéral. Son objectif est de renforcer l’efficacité et l’efficience de l’aide en comblant les carences identifiées entre les communautés humanitaires par le biais de la formation, du dialogue et de la coopération. Le Humanitarian Forum a formé des centaines d’organisations de la société civile (OSC) travaillant pour la Libye orientale, la Somalie, la Syrie et le Yémen ou dans ces pays.

 

 

 

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