Dépossession et déplacement en Libye

En Lybie, il sera bien difficile de trouver des solutions durables pour la majorité des PDI tant que ces personnes ne seront pas en mesure d’accéder au logement, aux terres et aux biens qu’elles possédaient avant leur déplacement. Le déplacement et la dépossession sont indissociables de l’héritage de l’ère Kadhafi.

Comparativement aux situations post-conflit, il y a peu de personnes déplacées de l’intérieur (PDI) en Libye. Toutefois, un grand nombre d’entre elles, dont plusieurs communautés entières, pourraient se retrouver en situation de déplacement prolongé. Pour les ménages déplacés au sein de leur propre ville ou village suite à la destruction de leur logement pendant les combats, les solutions durables dépendent avant tout des activités de reconstruction. Par contre, pour les PDI déplacées loin de leur lieu d’origine, leur incapacité à accéder à leurs anciennes habitations et propriétés n’est qu’un symptôme de l’insécurité plus générale qui, aujourd’hui encore, empêche virtuellement tout retour. Dans la plupart des cas, les PDI se trouvent dans une situation particulièrement précaire là où ils sont actuellement établis.

Cependant, l’insécurité actuelle des PDI et leurs difficultés à accéder à leur propriété d’avant-guerre dissimulent des questions d’une plus grande portée, liées à une redistribution totale des terres, organisée en plusieurs vagues de confiscations et de compensations partielles par le régime de Kadhafi. Le Conseil de transition nationale considère aujourd’hui la majorité de ces actions comme illégitimes mais la plupart des acteurs semblent accepter que toute tentative péremptoire de revenir sur cette redistribution risquerait de déstabiliser le pays. Bien que les PDI, ainsi que quelques réfugiés de Libye, subissent plus que les autres les conséquences immédiates de ces problèmes fonciers hérités du régime, quasiment toutes les communautés du pays sont concernées par leur résolution, dont de nombreuses parmi la diaspora.

Sous Kadhafi, les propriétés appartenant à des étrangers avaient été nationalisées et les propriétés appartenant à la Libye redistribuées. Par exemple, la Loi no 4 de 1978 a transformé tous les locataires en propriétaires du logement ou des terres qu’ils louaient. Parmi les efforts effectués par la suite pour assurer l’application de cette loi, on peut citer la destruction par le feu des enregistrements fonciers sur les places publiques des villes libyennes en 1986. Plus tard, d’autres mesures ont été mises en place pour annuler les effets de cette politique par le biais de la restitution des propriétés confisquées ou de compensations, ces mesures étant toujours en cours au moment du soulèvement populaire. Les relations foncières sous le régime de Kadhafi étaient symptomatiques d’une érosion plus générale de l’État et de l’État de droit, dont le résultat net est l’affaiblissement général de la confiance envers les institutions publiques et l’État de droit.

 

Impossible de rentrer, impossible de rester

Au cours du soulèvement, plusieurs agglomérations urbaines ont été dévastées, provoquant le déplacement en masse de nombreuses communautés. Dans l’ensemble, la population des PDI se compose de personnes temporairement déplacées au sein de leur propre communauté suite à la destruction de leur logement et de grands groupes ou de communautés incapables de rentrer chez eux car ils se heurtent à l’opposition des communautés restées sur leur lieu d’origine. Ces derniers constituent clairement le cas le plus préoccupant et le plus exposé au risque de se retrouver en situation de déplacement prolongé. Bien que les questions foncières demeurent une préoccupation secondaire par rapport à la sécurité la plus essentielle, les PDI ayant acquis un logement selon les dispositions de la Loi no 4 craignent que leurs droits soient révoqués en leur absence.

En attendant, les problèmes les plus évidents pour les PDI concernent les camps, établis généralement sur des sites de construction inachevés ou encore dans des bâtiments publics ou des stations de villégiature. Comme l’occupation de ces sites ne repose sur aucune base juridique précise, les résidents s’exposent de toute évidence à un certain nombre de risques, en particulier lorsqu’une société étrangère souhaitant se réimplanter en Lybie revendique la propriété du site concerné. En conséquence de la précarité de leur situation, les PDI se retrouvent dans l’incapacité d’apporter les améliorations essentielles qui leur permettraient de vivre dans des conditions acceptables; elles se sont vues plusieurs fois menacées par le spectre de l’expulsion, des menaces qui se sont dans certains cas concrétisées.

On estime aussi qu’un grand nombre de PDI vivent dans des logements privés, soit chez des relations familiales ou des amis, soit en tant que locataire. L’expérience des autres situations de déplacement suggère que, si les PDI louant un logement privé ne parviennent pas à s’intégrer et, surtout, à trouver un emploi, elles se retrouveront menacées d’expulsion de leur logement actuel, sans veritable solution de rechange, après avoir utilisé jusqu'à épuisement toute la bonne volonté et toutes les ressources dont elles disposent.

Quelle que soit la combinaison de stratégies de retour et d’intégration adoptée localement pour résoudre la question du déplacement interne en Lybie, les recours auxquels ont droit les PDI pour compenser la perte de leur propriété devront être appliqués dans un cadre plus général visant à résoudre les litiges fonciers hérités du régime de Kadhafi.

 

Rhodri C Williams rcw200@yahoo.com est un consultant en droits humains basé à Stockholm, en Suède. Il est l’auteur du blog TerraNullius: http://terra0nullius.wordpress.com/.

 

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