Mesurer l’intégration locale en Équateur

En 2014-15 le HCR Équateur a élaboré, à l’aide de trois dimensions principales d’intégration locale, à savoir juridique, économique et socioculturelle, un indice afin de mesurer le degré d’intégration des réfugiés dans leur pays d’accueil.

L’Équateur a la plus importante population réfugiée reconnue en Amérique latine. Sur plus de 230 000 réfugiés et demandeurs d’asile se trouvant dans le pays, 60 500 sont des réfugiés dument enregistrés, et 90 % d’entre eux viennent de Colombie[1]. Les réfugiés et les demandeurs d’asile jouissent de la liberté de mouvement à l’intérieur du pays et ont accès aux droits et services fondamentaux aux termes de la législation équatorienne. Plusieurs études ont montré que la majorité des réfugiés et demandeurs d’asile colombiens qui se trouvent en Équateur cherchent à s’intégrer localement parce qu’ils partagent avec leur pays d’accueil une culture et une langue communes. Ils sont néanmoins confrontés à plusieurs obstacles, comme la discrimination, la non-reconnaissance de leurs documents et la médiocrité de leurs conditions socioéconomiques, autant de facteurs qui tous entravent leur pleine intégration.

En 2013, conformément au Plan national pour le bien-vivre du gouvernement équatorien, le bureau Équateur du HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, a élaboré une Initiative pour des solutions globales (Comprehensive Solutions Initiative - CSI) qu’est venue compléter en 2016 une stratégie de solutions, étalée sur plusieurs années (2016 à 2018) et réunissant plusieurs partenaires. Cette stratégie sur plusieurs années a été mise en œuvre en coordination avec des institutions publiques, la société civile et le secteur privé, et comprend des dimensions différentes, juridiques, sociales et économiques. En vue d’évaluer l’impact de la CSI et de la stratégie pluriannuelle sur l’intégration locale, le bureau Équateur du HCR a conçu un Indice d’intégration locale (IIL) qui devait également servir d’outil pour mieux identifier et assister les réfugiés et les demandeurs d’asile les plus vulnérables.

Définir l’intégration

Le bureau Équateur du HCR a commandé une étude approfondie des informations statistiques sur la situation socioculturelle, économique et juridique des réfugiés et demandeurs d’asile colombiens. L’enquête a consisté en une série de 130 questions sur des sujets spécifiques comme le statut migratoire, les documents d’identité, le travail, l’éducation, les soins de santé et les conditions économiques. Les données de base issues de cette enquête ont montré que les réfugiés et demandeurs d’asile, de manière générale, jouissent de leurs droits et ont accès aux services, mais que leurs conditions économiques restent encore difficiles. Même si le succès de l’intégration locale dépend en grande partie de critères objectifs (comme le statut juridique, la liberté de mouvement, l’accès à un emploi approprié et aux services essentiels) il existe également une part subjective, à savoir notamment la perception qu’en ont les individus eux-mêmes. L’IIL s’efforce de combiner ces éléments objectifs et subjectifs et calcule de cette manière un niveau d’intégration locale à travers des dimensions juridiques, économiques et socioculturelles.

Une définition incorporant différents éléments tirés de plusieurs autres définitions de l’intégration locale a été lue à chaque personne répondant au questionnaire :

L’intégration locale signifie faire partie d’une société dans laquelle vous avez accès, entre autres à l’éducation, à la santé, au logement et dans laquelle vous êtes en mesure d’établir et de conserver de bonnes relations avec les personnes qui vous entourent, dans votre quartier et au sein des organisations de la société civile.

Dans l’optique de déterminer leur perception subjective de l’intégration, on a demandé à ceux qui répondaient au questionnaire s’ils se sentaient intégrés ou non. Les réponses ont été utilisées pour déterminer dans quelle mesure différentes variables (comme le statut juridique, l’accès à l’éducation, la santé et le niveau de revenu) influaient sur la perception qu’un individu peut avoir de sa propre intégration. En fonction de son degré d’influence sur la perception de l’intégration locale, une certaine pondération a été assignée à chaque variable.

La pondération des variables est un élément essentiel de l’IIL et dépend du contexte spécifique de l’opération en question. Par exemple, dans certains pays, les personnes relevant de la compétence du HCR peuvent accorder davantage d’importance (de pondération) au statut juridique, alors que dans d’autres, la priorité est donnée à l’emploi. Nous avons découvert que le degré d’intégration socioculturelle des réfugiés et demandeurs d’asile colombiens en Équateur était plus élevé que celui de leur intégration économique, qui à son tour était plus élevé que celui de leur intégration juridique. La corrélation entre « ne pas avoir de statut juridique » et « se trouver en dessous du seuil de pauvreté » a été l’une des constatations significatives de cette enquête menée en Équateur. Lorsque ces pondérations ont été appliquées sur les données de base, le résultat obtenu correspondait à un IIL global de 61,1 % pour les réfugiés et demandeurs d’asile colombiens en Équateur, alors que ce degré était en moyenne respectivement de 50, 6 % pour l’intégration juridique, de 62,3 %, pour l’intégration socioculturelle et de 59,5 % pour l’intégration économique[2].

La flexibilité de l’IIL permet d’effectuer l’analyse au niveau d’un groupe ou au niveau individuel, ce qui à son tour permet des interventions plus précises, en ciblant les personnes qui se trouvent aux niveaux inférieurs de l’indice d’intégration. Il est possible de le faire en incluant ces personnes au modèle de progression[3] mis en œuvre en Équateur depuis 2016 avec des résultats prometteurs. Il s’agit d’un modèle dans lequel les participants sont sélectionnés notamment sur la base de leur résultat familial sur l’IIL. Le Modèle (ou approche) de progression provient du monde de l’assistance au développement et il est destiné à faire progresser les personnes hors de la pauvreté. Ce modèle consiste en une série d’interventions en séquence qui incluent un soutien à la consommation, une formation aux moyens d’existence, un système d’accompagnement, une formation à la gestion des actifs, et l’inclusion à des mécanismes de type « filets de sécurité » au sein de la communauté. L’Équateur est l’un des rares pays à appliquer ce modèle à une situation de réfugiés. Les familles « progressent hors de la pauvreté » en fonction de leur performance face à quatre critères qui, en Équateur, sont : manger au moins trois repas nutritifs par jour ; avoir un revenu familial dépassant le seuil de pauvreté ; disposer d’une épargne en banque de 5 % de son revenu ; et appartenir à une communauté ou à un réseau social, comme une organisation religieuse. Sur les 1810 familles actuellement soutenues par le bureau Équateur du HCR, 59 % ont atteint les quatre critères de progression. Outre son usage comme instrument de sélection, l’IIL peut également servir à mesurer les résultats des familles qui participent au Modèle de progression vers l’intégration locale.

Conclusions

En Équateur, l’IIL montre sur la base des données recueillies en 2014 que les réfugiés et demandeurs d’asile colombiens ont atteint des niveaux relativement élevés d’intégration[4]. Parallèlement, des progrès doivent encore être réalisés pour une partie substantielle de la population. Une étude à mi-parcours a lieu actuellement, qui utilisera l’IIL afin d’évaluer les progrès réalisés par la stratégie de solutions pluriannuelles et multipartenaires du HCR. Du fait de sa souplesse, l’IIL est un outil qui peut contribuer à la conception de programmes destinés à améliorer l’intégration d’une population donnée en respectant un type particulier d’intégration ou en ciblant un secteur particulier de population. Des calculs périodiques visant à réactualiser l’IIL permettront de montrer l’évolution de l’intégration locale au fil du temps dans le cadre d’une opération spécifique.

 

Santiago Cordova cordova.santiago@gmail.com
Ancien responsable de la gestion des données

Peter Janssen janssen@unhcr.org
Représentant adjoint

HCR Équateur www.acnur.org



[1] Données du ministère des Affaires étrangères et de la mobilité humaine en Équateur.

[2] Pour passer du degré d’intégration dans chaque dimension à l’Indice d’intégration locale (IIL) mondial, il est nécessaire d’appliquer certaines pondérations calculées au niveau individuel pour chaque dimension pour pouvoir ensuite calculer une moyenne pour l’ensemble de la population. Pour plus de détails sur la méthodologie employée et des résultats exhaustifs, veuillez prendre contact avec Santiago Cordova.

[4] « Relativement » concerne l’échelle de l’IIL, où 0 % correspond à une absence totale d’intégration, comme dans le cadre d’un camp de réfugiés fermé dépendant à 100 % de l’assistance humanitaire dans tous les secteurs ; et où 100 % représentent une intégration complète, comme la naturalisation.

 

 

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