Colombie : le temps est-il venu d’invoquer la clause de cessation ?

Après plus de cinq décennies de conflit armé interne, en novembre 2016 le gouvernement colombien a signé un accord de paix avec les FARC-EP. Cela signifie-t-il que les Colombiens qui ont été forcés de quitter le pays doivent commencer à rentrer ?

La protection internationale des réfugiés, comme les autres formes de protection internationale, est conçue comme temporaire. La « clause de cessation » incluse dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ses protocoles et d’autres instruments internationaux touchant à ce domaine prévoit quatre scénarios dans lesquels il peut être possible d’interrompre la protection internationale[1]. L’un d’entre eux survient lorsqu’un changement profond de circonstances intervient dans le pays d’origine, un changement suffisamment substantiel pour éliminer les causes qui ont entrainé la fuite de sa population. Une fois ces causes disparues, les pays d’accueil (et le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés) peuvent déclarer la cessation de la protection internationale et demander aux réfugiés de rentrer dans leur pays alors qu’en parallèle le pays d’origine a pour obligation d’exercer sa responsabilité de protection à leur égard. La question se pose maintenant de savoir si, suite à la signature d’un accord de paix en Colombie, les pays qui accueillent des Colombiens, soit au titre de réfugiés ou comme bénéficiaires d’un autre type de protection internationale, sont susceptibles d’invoquer la clause de cessation du statut de réfugié. 

Selon l’interprétation du HCR, le changement de circonstances nécessite la conjonction de trois éléments distincts. Premièrement, le changement doit être suffisamment profond pour avoir réglé les causes à l’origine du déplacement. Deuxièmement, il doit être durable dans le temps, de manière à garantir à ceux qui rentrent chez eux qu’ils ne seront pas à nouveau forcés de fuir. Et finalement, le pays d’origine doit être en mesure d’assurer la protection effective de ceux qui rentrent[2].

Ces conditions ne sont pas actuellement réalisées dans le cas de la Colombie. Dans ce pays, les causes du déplacement forcé sont multiples, et l’accord de paix du gouvernement avec l’une des forces de la guérilla – les FARC-EP[3] – ne résout pas nécessairement tous les facteurs qui avaient engendré le déplacement et n’implique pas non plus la mise en place de conditions de sécurité suffisantes pour le retour des exilés, dans la mesure où de vastes étendues du territoire colombien se trouvent maintenant sous le contrôle de bandes criminelles violentes[4]. Il existe en outre encore un groupe de guérilla actif, l’ELN[5]

Raisons pour invoquer la cessation

L’interprétation du HCR n’a toutefois pas force de loi. Les pays d’accueil peuvent l’ignorer et décider d’invoquer la cessation. Et dans le cas de ces pays qui accueillent les plus grands nombres de réfugiés colombiens (Venezuela, Équateur et Panama), de bonnes raisons rendent une telle perspective hautement probable.

Le Venezuela qui en décembre 2016 accueillait près de 173 000 Colombiens est en train de vivre une crise économique et politique profonde. Les autorités vénézuéliennes peuvent donc être tentées de se débarrasser d’une population qui consomme des ressources publiques et qui est perçue comme responsable d’une recrudescence de l’insécurité. L’expulsion massive de Colombiens en situation irrégulière qui a eu lieu en août 2015 témoignait de cet état d’esprit. L’Équateur qui accueille plus de 101 000 Colombiens est également confronté à des difficultés économiques ; l’Équateur a demandé de l’aide au gouvernement colombien pour pouvoir continuer à assurer la protection des réfugiés et a adopté des mesures visant à éviter l’augmentation de cette population. En 2012 par exemple, les lois équatoriennes ont été modifiées de manière à restreindre la notion de réfugié[6]. Finalement, le Panama qui accueille juste un peu plus de 17 000 réfugiés, et qui, selon la Banque mondiale, connait également un ralentissement économique, avait déjà signalé antérieurement l’importance du fardeau que constituent pour le pays l’assistance et la protection des réfugiés colombiens. 

Il convient en outre de remarquer que par le passé, l’Équateur et le Venezuela s’étaient montrés particulièrement ouverts face à l’arrivée des réfugiés colombiens du fait des tensions croissantes entre eux et leur voisin colombien. À l’heure actuelle, les dynamiques en jeu dans le cadre de ces relations ont changé, ce qui a diminué la valeur stratégique et politique que pouvait représenter l’accueil de réfugiés colombiens.

Assurer la protection

Les Commissions binationales entre la Colombie d’une part, et respectivement l’Équateur, le Costa Rica et le Venezuela, ainsi que la Commission de voisinage avec le Panama, constituent une opportunité permettant au gouvernement de négocier des accords en vue d’éviter une invocation imminente de la clause de cessation. Par l’intermédiaire de la Commission binationale avec l’Équateur, des accords ont déjà été atteints concernant la responsabilité à l’égard de cette population et la mise en place d’un plan de retour volontaire. Il est essentiel toutefois, d’étendre les négociations et d’accélérer le processus décisionnel, non seulement pour éviter l’invocation de la clause de cessation, mais aussi en vue de trouver des accords sur la manière d’assurer le bien-être de ceux qui, à l’époque, n’avaient d’autre choix que de quitter leur pays ou de risquer leur vie. Des plans conjoints de retour volontaire de plus en plus nombreux deviendront nécessaires à mesure que la situation en Colombie se stabilise et devient plus propice à une offre de retour en toute sécurité pour ceux qui le souhaitent.

Le HCR a un rôle important à jouer dans tout ceci. Premièrement, c’est au HCR qu’il incombe de vérifier si les lignes directrices relatives à la cessation ont bien été suivies ; deuxièmement, il peut faciliter les négociations entre États ; et finalement, il peut soutenir des programmes de retour volontaire en rappelant aux autorités nationales que les populations qui choisissent le retour doivent être pleinement informées des conditions qu’elles vont rencontrer en Colombie, et que leur sécurité et leurs droits doivent être pleinement garantis.

Beatriz Eugenia Sánchez Mojica beasanchezmojica@gmail.com
Chercheuse associée, CIJUS-Université des Andes ; professeure, Université IE et Université Pontifical de Comillas (Espagne)
https://humanities-center.ie.edu/dt_team/851/



[2] HCR (2003) Principe directeur sur la protection internationale N° 3 : Cessation du statut de réfugié dans le contexte de l’article 1C(5) et (6) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (clauses sur « les circonstances ayant cessé d’exister »), HCR/GIP/03/03
www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=4714a7af2

[3] Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo)

[4] Sánchez B E (2016) ‘A silenced exodus: intra-urban displacement in Medellín’ and Rojas Andrade G ‘Post-demobilisation groups and forced displacement in Colombia : a quantitative approach’ dans Cantor D & Rodríguez Serna (Eds) The New Refugees: Crime and Displacement in Latin America, Londres : Institut d’études latinoamaricaines. (Édition espagnole publiée en 2015)

[5] Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional)

[6] Le décret 1.182 de 2012 a remplacé la notion élargie de réfugié, qui incluait les personnes fuyant des situations de conflit armé et de violence généralisée sans exiger de preuve individuelle de persécution, en vertu d’une définition fondée sur la définition originale, plus restrictive, de la Convention de 1951.

 

 

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