L’avenir du programme de réinstallation brésilien

Les programmes de réinstallation brésiliens ont été salués pour leur capacité à démontrer l’engagement du pays en faveur de la protection des réfugiés, même si le nombre de personnes réinstallées demeure peu élevé au regard des besoins internationaux. Le Brésil doit traiter la question du financement de ces programmes s’il veut en garantir la durabilité et l’expansion.

En 2004, le Brésil a célébré le 20e anniversaire de la Déclaration de Carthagène en proposant un programme de réinstallation régional. La Déclaration de Carthagène de 1984 avait encouragé les pays d’Amérique latine et des Caraïbes à prendre de meilleures dispositions en faveur de la protection des réfugiés ; en 2004, la Déclaration et le Plan d’action de Mexico s’appuyaient sur la coopération régionale existante pour mettre en place un programme de réinstallation solidaire, qui se concentrerait sur la réinstallation des réfugiés issus de la région, notamment de Colombie et du Triangle du nord de l’Amérique centrale[1]. Cette déclaration prévoyait également l’élargissement de sa portée pour que l’ensemble des pays d’Amérique latine puissent s’impliquer et pour qu’un plus grand nombre de réfugiés soient inclus à l’avenir[2].

Le Brésil a réinstallé un plus grand nombre de réfugiés que tout autre pays de la région, et son programme de réinstallation n’a pas été suspendu ni retardé pour des raisons politiques et/ou financières, comme ce fut le cas en Argentine, au Chili et au Paraguay. Entre 2002 (année à laquelle le programme de réinstallation a été lancé) et juillet 2017, le Brésil a réinstallé 715 réfugiés. Le programme de réinstallation du Brésil a été salué pour sa capacité à démontrer l’engagement du pays en faveur de la protection internationale des réfugiés – mais pourquoi ce programme n’a-t-il pas été capable de réinstaller un nombre encore plus élevé de réfugiés ? La réponse pourrait se trouver en partie dans la décision de confier la tâche de financement à une seule des parties prenantes au programme : le HCR, l’agence de l’ONU pour les réfugiés.

L’atout le plus important du programme de réinstallation brésilien est sa structure tripartite. Son cadre se compose du Comité national pour les réfugiés (CONARE), un comité exécutif interministériel qui apporte le soutien juridique et administratif dont les réfugiés ont besoin à leur arrivée ; le HCR, capable d’identifier les personnes à risque dans leur premier pays d’asile et de plaider en faveur de leur réinstallation dans des pays où la protection et l’intégration locale sont possibles ; et des institutions de la société civile, dont la longue tradition en matière de soutien des réfugiés au Brésil leur permet d’anticiper les besoins des nouveaux arrivants, de préparer leur accueil et de les suivre au cours de leur intégration. Le HCR est chargé de la mise en œuvre du programme, mais aussi de son financement. Cette structure est courante parmi les programmes de réinstallation de la région latino-américaine. D’une part, le HCR dispose d’une capacité plus élevée que la plupart des pays pour lever des fonds auprès de la communauté internationale. Mais d’autre part, un certain nombre de pays auxquels le HCR alloue des fonds pourraient, collectivement, lever plus de fonds que le HCR à lui seul, ce qui permettrait de faciliter la réinstallation d’un plus grand nombre de réfugiés. Comme dans la plupart des cas, le HCR est seul à financer les coûts de sélection et de transport des réfugiés jusqu’au Brésil, cette agence est non seulement essentielle au succès de la mise en œuvre du programme de réinstallation, mais aussi à son existence et à sa pérennité. Cette question du financement exclusif par le HCR soulève d’importantes inquiétudes quant à l’avenir du programme, dans la mesure où il n’existe aucune garantie que le  HCR sera capable de poursuivre ce financement.

Dans ce cas-là, comment le Brésil pourra-t-il perpétuer et développer un programme qui dépend intégralement de ressources externes ? Sous l’effet des demandes concurrentes pour utiliser les ressources limitées du HCR (dont les crises aiguës de réfugiés dans les autres régions, par exemple au Moyen-Orient), il est possible que l’agence doive faire des choix difficiles pour définir ses priorités, et peut-être risquer de perdre toute l’expertise bâtie autour de cet outil de protection au Brésil.

Vingt ans après la signature du premier accord sur la réinstallation des réfugiés dans la région, il est peut-être temps que le Brésil apporte un appui plus solide à son propre programme national de réinstallation. Il est vrai que le Brésil a élaboré d’autres outils de protection, notamment le visa humanitaire pour les personnes touchées par le conflit syrien (également accessible aux réfugiés palestiniens ayant vécu en Syrie)[3]. Cependant, afin de contribuer avec plus de fermeté à la protection internationale des réfugiés, le gouvernement brésilien doit prendre les rênes de son programme de réinstallation national tout en continuant parallèlement de collaborer étroitement avec le  HCR et la société civile. À cette fin, le Brésil doit fournir lui-même le financement de base de ses programmes de réinstallation, conformément aux engagements et aux besoins nationaux. La structure tripartite du programme de réinstallation brésilien en est le plus grand atout, mais l’abandon de son mode de financement exclusif par le HCR pourrait contribuer à son renforcement et apporter une protection à un plus grand nombre de réfugiés. Cette approche pourrait également ouvrir de nouvelles possibilités quant à la conception d’un programme de réinstallation national qui soit non seulement efficace et durable, mais qui reflète encore plus fortement l’engagement du Brésil en faveur de la solidarité internationale et du partage de responsabilité en matière de protection des réfugiés.

 

Thais Silva Menezes silvamenezesthais@gmail.com
Université de Brasilia https://irel.unb.br/

Stylianos Kostas stylianoskostas@yahoo.gr
Chercheur et conseiller, CONARE www.justica.gov.br/central-de-atendimento/estrangeiros/refugio-1/refugio



[1] Également désigné de nos jours par les termes « nord de l’Amérique centrale ».

[2] Voir également Barreto L P T F et Leão R Z R (2010) « Le Brésil et l'esprit de Carthagène », Revue des migrations forcées, numéro 35 www.fmreview.org/disability-and-displacement/luiz-paulo-teles-ferreira-barreto-and-renato-zerbini-ribeiro-leao

[3] Une fois que les personnes expriment leur souhait de déposer une demande d’asile au Brésil, elles reçoivent un visa touristique, mais elles sont exemptées de soumettre les documents habituellement obligatoires, à savoir un relevé bancaire, des lettres d’invitation, une preuve d’emploi et/ou d’activité économique et leur billet de retour. Voir également l’article de Gilberto M A Rodrigues, José Blanes Sala et Débora Côrrea de Siqueira dans ce même numéro.

 

 

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