Lacunes en matière de protection au Mexique

Au moment où le Mexique devient un pays majeur de destination comme de transit pour les personnes déplacées par la violence dans le Triangle du nord de l’Amérique centrale, le gouvernement mexicain doit procéder de toute urgence à des améliorations dans le système et les procédures d’asile s’il entend les adapter à la situation.

L’itinéraire de migration « Amérique centrale-Mexique-États-Unis » est l’un des plus longs au monde. Selon le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, chaque année quelque 500 000 personnes passent par le Mexique[1]. Toutefois, pendant les dix dernières années au moins, il a été possible de constater des changements évidents dans la composition et les caractéristiques des flux de migration irrégulière arrivant au Mexique, particulièrement en ce qui concerne les causes de déplacement au Honduras, au Salvador et dans une moindre mesure, au Guatemala.

Dans les années 1980, la guerre civile et la répression dans des pays comme le Guatemala et le Salvador ont entrainé des déplacements à la fois internes et transfrontaliers. Un certain nombre de personnes s’enfuyaient vers les pays voisins alors que des centaines de milliers d’autres fuyaient vers les États-Unis. Avec la fin des conflits internes dans la région dans les années 1990, l’afflux de réfugiés d’Amérique centrale a stoppé et ce sont des migrants économiques qui sont arrivés en grand nombre, fuyant la pauvreté qui continuait de toucher les pays d’Amérique centrale, et plus particulièrement ceux du Triangle du nord de l’Amérique centrale (NTCA, Northern Triangle of Central America)[2], à savoir le Salvador, le Guatemala et le Honduras. Des catastrophes naturelles à grande échelle comme l’ouragan Mitch en 1998 et le tremblement de terre au Salvador en 2001 ont aussi entrainé une recrudescence de la migration vers les États-Unis.  
 
En réponse à cette situation, le Mexique a mis sur pied une Commission d’assistance aux réfugiés (COMAR) en 1980, le HCR a ouvert un bureau au Mexique en 1982, et en 1990 le Mexique a fondé une Commission nationale des droits de l’homme. Le régime des réfugiés a été transposé dans la législation mexicaine en 1990, et dix ans plus tard, le pays ratifiait la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. En 2011, le Mexique a promulgué une loi sur la migration, ainsi qu’une loi sur les réfugiés et la protection subsidiaire (une version modifiée de cette loi initiale est devenue en 2014 la Loi sur les réfugiés, la protection complémentaire et l’asile politique).

Nouveaux profils migratoires

Plus récemment, on a constaté un déclin du nombre de personnes qui quittent le Honduras et le Salvador pour des raisons purement économiques alors que le nombre de ceux qui fuient la violence, le crime organisé et la persécution ne cesse d’augmenter. Depuis 2006, on a estimé à 150 000 personnes le nombre de personnes tuées au Salvador, une moyenne de plus de 50 homicides pour 100 000 habitants par an, plus de trois fois le taux du Mexique et plus de dix fois la moyenne des États-Unis. Pour 2015, c’est un taux de 103 homicides pour 100 000 habitants qui a été enregistré au Salvador, 57 pour 100 000 au Honduras et 30 pour 100 000 au Guatemala. Le pourcentage de mineurs de moins de 20 ans parmi les victimes d’homicide au Salvador et au Guatemala est plus élevé que partout ailleurs dans le monde, et, en 2015, les autorités mexicaines d’immigration ont détenu près de 35 000 adolescents dont près de la moitié étaient non accompagnés.

Au cours des quatre dernières années, les demandes d’asile au Mexique ont augmenté pour passer de 1 296 en 2013 à 8 788 en 2016, parmi lesquelles 2 872 personnes ont obtenu le statut de réfugié ou le droit d’asile. Ces chiffres restent toutefois faibles comparés au nombre total de personnes qui fuient les pays du Triangle du nord de l’Amérique centrale et qui sont interceptées et détenues au Mexique. De 2013 à 2016, plus de 520 000 personnes provenant des pays du Triangle du nord ont été arrêtées, et la majorité d’entre elles (517 249) ont par la suite été expulsées par les autorités (sous l’égide de l’Institut national pour la migration – INM) [3]. Sur environ 51 000 enfants et adolescents migrants non accompagnés venus d’Amérique centrale entre 2013 et 2016, et qui, en toute probabilité ont besoin de protection à leur arrivée au Mexique, seulement 1,1 % ont déposé une demande d’asile et 230 d’entre eux (0,4 %) ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire.

Malgré une amélioration récente des taux de reconnaissance et un engagement pris en 2016 lors du Sommet des Nations Unies pour les réfugiés et les migrants d’introduire sept mesures concrètes visant à garantir « le traitement digne et humain des migrants et des réfugiés », de nombreuses difficultés subsistent encore en matière de protection des réfugiés au Mexique. Il est urgent d’adopter des mesures permettant d’identifier les personnes qui ont besoin de protection et de faciliter un accès rapide et efficace aux procédures de détermination du statut de réfugié et à la justice, et plus particulièrement aux services de défense juridique. Le Mexique doit également développer des politiques publiques efficaces de manière à garantir l’intégration et le plein respect de ses droits à la population réfugiée.

Mesures d’identification des réfugiés

Le profil sociodémographique des personnes qui demandent protection est un aspect fondamental dans la formulation des politiques publiques. Jusqu’à présent, cet élément n’a eu que peu voire pas d’impact sur les mesures prises par la COMAR et l’INM pour améliorer la mise à disposition d’information sur le droit à l’asile, son champ d’application et ses mécanismes d’obtention.

Les personnes en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras qui fuient au Mexique ont habituellement un faible niveau de scolarité et/ou sont des individus vulnérables d’un point de vue socioéconomique ; il n’existe cependant que peu d’informations disponibles sur l’asile et la manière de le demander, et lorsqu’elles existent, elles ne sont données qu’à contrecœur. Il peut certes y avoir des raisons à cela, mais la rétention de ce type d’information ne tient aucun compte du fait que ceux qui ont besoin de protection ne connaissent souvent pas leur droit d’être reconnus comme réfugiés ; ils sont habituellement peu éduqués et parfois même analphabètes, ce qui les empêche de comprendre pleinement les implications juridiques de la situation dans laquelle ils se trouvent. Avoir un faible statut socioéconomique tend encore à accroître leur vulnérabilité et leurs souffrances. Le manque d’information quant à leur situation rend leur identification difficile, et en conséquence, le traitement de leurs besoins de protection devient difficile également.

L’accès aux procédures d’asile

Les politiques et pratiques migratoires actuellement en vigueur au Mexique sont les principaux obstacles en matière d’accession aux procédures d’asile. Des mesures comme la détention obligatoire et systématique des personnes en mouvement, la vitesse administrative à laquelle les expulsions forcées sont exécutées, ainsi que le manque de ressources disponibles réservées aux individus qui souhaitent obtenir une protection pour ne pas être renvoyés dans leur pays, sont autant d’obstacles au droit de demander le statut de réfugié. À cet égard, il est essentiel d’adopter des mesures qui dépassent le discours officiel selon lequel les déplacés ne seraient qu’« en transit » à travers le Mexique. Un tel argument est de plus en plus contestable et intenable. L’État mexicain doit également s’assurer que les retours ne sont pas effectués en violation du principe de non-refoulement. Le Mexique doit organiser des formations appropriées, et notamment établir des lignes directrices assorties de manuels d’application, afin de garantir que ses pratiques en matière de migration et d’asile respectent les normes internationales – par exemple développer et introduire des alternatives à la détention pour les demandeurs d’asile[4].

Accès à la justice et à une procédure équitable

La loi sur les réfugiés, la protection subsidiaire et l’asile politique prévoit des normes et des procédures de protection claires et adéquates. Dans la pratique, on constate toutefois des obstacles administratifs et opérationnels qui portent atteinte à la protection garantie par la loi et à l’application du droit de bénéficier de procédures efficaces et équitables – comme le sont par exemple les restrictions d’accès à l’assistance juridique pour les individus détenus dans des centres des services de l’immigration. De tels obstacles entravent et limitent le droit à la protection en tant que réfugié, ce qui à son tour remet également en question l’engagement de l’État d’assurer la protection effective des réfugiés. 

Le Mexique, non seulement doit corriger les défaillances qui entravent la reconnaissance du statut de réfugié, mais doit également introduire des mécanismes efficaces de coordination institutionnelle avec l’Institut national pour la migration, de manière à faciliter le processus de régularisation une fois que les personnes ont été reconnues comme réfugiées. Pour finir, le Mexique devra mettre en place des programmes complets en vue de garantir l’accès aux droits tels que la santé et l’éducation à tous les membres de la population réfugiée et de promouvoir leur intégration sociale et économique.

 

Andrea Villaseñor subdireccionsjrmex@sjrlac.org
Directrice de projet, Service jésuite pour les réfugiés, Mexico http://en.jrs.net

Elba Yanett Coria elba.coria@ibero.mx
Directrice, Clinique juridique pour les réfugiés Alaide Foppa, Université ibéro-américaine, Mexique

http://ibero.mx/derecho @AfClinica 



[1] Fiche d’information du HCR. Février 2017 [Hoja informativa ACNUR. Febrero 2017]
http://reporting.unhcr.org/sites/default/files/Mexico%20Fact%20Sheet%20-%20Februrary%202017.pdf

[2] Également désigné de nos jours par les termes « nord de l’Amérique centrale ».

[3] Source: Ministère de l’Intérieur – Unité de politique migratoire.

 

 

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