Faciliter la migration adaptative volontaire dans le Pacifique

La migration adaptative volontaire et transfrontalière constituera un élément essentiel de la stratégie d’adaptation globale des individus et des ménages à risque dans la région Pacifique afin d’accroître leur résilience aux risques naturels et prévenir de futurs déplacements.

Le processus de colonisation, puis les systèmes de mandat et de tutelle mis en place suite aux première et deuxième guerres mondiales, ont eu de profondes répercussions sur la mobilité régionale en Océanie. Ils ont posé les bases de la multiplication d’« ensembles » sous-régionaux de pays et territoires insulaires du Pacifique, au sein desquels les membres jouissent de différents niveaux de privilèges. Les États anciennement ou actuellement colonisateurs ou chargés de ces mandats et tutelles (tels que la Nouvelle-Zélande, la France et les États-Unis) agissent comme un « État central » pour ces ensembles.

La création de ces ensembles a eu pour effet d’accroître fortement les possibilités globales de mobilité transfrontalière, mais avec des variations considérables. Les droits octroyés sont divers et variés : octroi du droit absolu d’entrer sur le territoire de l’État central et d’y séjourner, facilité par un droit à la citoyenneté ; droit préférentiel de résidence via des quotas ciblés ; et accès privilégié au marché du travail de l’État central et à un emploi temporaire dans certains secteurs de son économie.

En revanche, un autre ensemble sous-régional nommé le « Groupe mélanésien Fer de lance », regroupant les quatre États indépendants de Papouasie-Nouvelle-Guinée, Fidji Iles Salomon et Vanuatu, de même que le parti indigène dirigé par les Kanaks en Nouvelle-Calédonie (qui est toujours une colonie française), ne dispose d’aucun État central. Les conséquences de l’appartenance à cet ensemble sont donc plus homogènes, et se rapportent à des droits privilégiés d’entrée en tant que visiteur et d’accès temporaire à certaines professions sur le marché du travail des membres de cet ensemble.

Le regroupement des États en ensembles sous régionaux n’est pas statique : de nouveaux ensembles continuent d’apparaître comme une manifestation de l’évolution des intérêts et de l’alignement des États au niveau sous-régional. Ce dynamisme pourrait accroître considérablement la mobilité dans la région en favorisant la conclusion de nouveaux accords prévoyant le déplacement transfrontalier temporaire ou permanent des peuples du Pacifique. Le statut des citoyens au sein d’un ensemble peut s’avérer crucial pour déterminer le type et la portée de l’assistance post-catastrophe et, en particulier, dans quelle mesure cette assistance aura des implications sur le plan des déplacements transfrontaliers.

Le cadre juridique régional actuel

Dans une région insulaire, où la plupart des frontières sont des lignes sur une carte traversant de vastes espaces océaniques, il est difficile d’influencer les mouvements transfrontaliers. Les cadres actuels d’immigration régionale ne disposent généralement d’aucune politique visant spécifiquement à faciliter les mouvements transfrontaliers en réaction à une catastrophe naturelle ou en anticipation de désastres futurs liés au changement climatique.

En termes absolus, le nombre de personnes déplacées par les désastres en Océanie est peu élevé comparativement à d’autres régions du monde. On estime que 318 000 personnes ont été déplacées par des catastrophes à déclenchement rapide au cours des cinq dernières années. Toutefois, si l’on rapporte ces chiffres au nombre d’habitants, le tableau est différent : en 2012, Samoa et Fidji figuraient parmi les dix pays du monde présentant les taux de déplacement par habitant les plus élevés.

 

Les pays et territoires insulaires du Pacifique s’accordent entre eux de nombreux privilèges, en permettant aux visiteurs de voyager sans visa ou d’en obtenir un à leur arrivée. Ces mesures contrastent avec celles des autres pays de la bordure du Pacifique qui n’octroient généralement pas d’exemption de visa aux citoyens des îles du Pacifique, ni de visa à leur arrivée sur leur territoire. On pourrait donc en déduire que les personnes ou les ménages souhaitant fuir à l’étranger en réaction à un désastre naturel sont plus susceptibles d’y parvenir en se rendant dans un autre pays insulaire que dans un autre pays de la bordure du Pacifique.

En matière d’emploi, certaines caractéristiques du cadre juridique actuel limitent potentiellement les possibilités de migration adaptative volontaire. Lorsqu’il est autorisé, l’accès à l’emploi dans les pays du Pacifique est souvent hautement réglementé et contrôlé, et de nombreuses personnes s’engagent contractuellement à retourner chez elles une fois leur emploi terminé. Ces caractéristiques, communes à de nombreux systèmes régionaux, peuvent entraver la capacité de ces systèmes à réagir aux catastrophes naturelles en facilitant la migration transfrontalière de manière opportune ou soutenable sur le plan économique. Les discussions concernant la migration adaptative et la réinstallation volontaires devront prendre en compte ces aspects, de même que les questions régionales plus familières telles que les droits fonciers et l’accès aux terres par les non-citoyens.

Les cadres d’immigration de la région prévoient plusieurs trajectoires menant au droit de résidence. Dans de nombreux cas, la résidence est octroyée aux époux ou épouses et aux enfants à charge des citoyens du pays d’accueil. Dans les pays d’accueil où vit une diaspora établie, ce mécanisme politique sera utile pour faciliter la migration adaptative volontaire au fil du temps. Toutefois, bien que dans l’ensemble du Pacifique la vie familiale implique généralement des réseaux familiaux étendus couvrant des communautés ou des villages très soudés, la plupart des politiques d’immigration de la région ne contiennent aucune disposition spécifique visant à faciliter la migration du groupe familial au sens large.

Bien qu’il faille encourager la production de nouveaux mécanismes politiques relatifs à la situation spécifique des personnes touchées par les désastres naturels, les mécanismes politiques actuels peuvent également être ajustés. Ils pourraient être modifiés de manière à autoriser les personnes touchées par des catastrophes naturelles, y compris celles liées au changement climatique, de choisir de leur propre gré de quitter un endroit où le changement climatique compromet considérablement la possibilité de résider à long terme, en particulier dans ces états du Pacifique où la plus forte croissance démographique devrait se produire dans les décennies à venir.

 

Cet article est tiré d’une étude réalisée au nom de l’initiative Nansen : Clusters and Hubs: Toward a Regional Architecture for Voluntary adaptive Migration in the Pacific (Ensembles et États centraux : vers une architecture régionale de la migration adaptative volontaire dans le Pacifique)
http://tinyurl.com/Nansen-PacificRegional

Bruce Burson bruceburson@me.com est membre du Tribunal d’immigration et de protection de Nouvelle-Zélande ainsi qu’un consultant indépendant dans le domaine du droit et des politiques relatifs aux réfugiés et à la migration. Richard Bedford rdb@waikato.ac.nz est professeur émérite à l’Université de Waikato et professeur d’études migratoires à l’Université de technologie d’Auckland.

 

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