Réfugiés, changements climatiques et droit international

Comment la catégorie de « réfugié climatique » peut-elle être envisagée dans le cadre du droit international au 21e siècle ?

Si nous acceptons l’existence d’un changement climatique anthropique, alors nous ne pouvons pas en refuser les implications évidentes en termes de droits de l’homme. Ce qui par contre n’est pas aussi évident est la manière et l’ampleur dont il est possible d’en décrire les effets en tant qu’atteintes portées au sens juridique strict. Juridiquement le concept de « réfugié climatique » n’existe pas, même si le terme est fréquemment utilisé, dans la mesure où les questions de climat et d’environnement ne figurent pas dans la définition du réfugié de la Convention sur les réfugiés de 1951.

Néanmoins, le principe de non-refoulement pourrait s’appliquer dans des situations dans lesquelles il y a peu d’espoirs raisonnables de voir des migrants retourner dans des situations qui menacent leur vie. Le changement climatique est souvent considéré comme un multiplicateur de risques dans le contexte de conditions sociales, économiques ou environnementales préalables qui constituent les facteurs de risque déterminants de chaque communauté. Même s’il est également possible d’argumenter qu’une justification similaire pourrait être appliquée à des personnes confrontées à une situation de pauvreté extrême dans leur pays d’origine en partant du postulat qu’il existe des questions structurelles et économiques sous-jacentes qui échappent à leur contrôle, c’est ici qu’entre en jeu l’élément crucial de la « responsabilité », et à cet effet un accord sur la cause des changements climatiques est fondamental. Nous vivons dans une situation mondialisée où même la contamination est mondialisée et où la responsabilité extraterritoriale est, tout au moins, difficile à établir.

Il existe un décalage entre les droits de l’homme et les changements climatiques. La question implique deux discours entièrement dissociés qui, à toutes fins pratiques, s’excluent mutuellement. Sur un échantillon de 65 documents sélectionnés parmi 294 résolutions, conventions, traités et autres rapports et documents pertinents, 23 % mentionnaient le changement climatique et 25 % traitaient de questions relatives aux migrants et aux réfugiés, mais seulement 6 % établissaient une connexion entre les deux.

Il apparait donc clairement que le lien entre changements climatiques d’une part, et migration et traitement juridique de la catégorie de réfugié d’autre part, est manquant. Les instruments juridiques dont nous disposons actuellement et dont beaucoup ont été formulés il y a des années, ne tiennent pas compte des aspects qui suscitent le débat aujourd’hui, alors que d’autres ne peuvent que servir d’instruments subsidiaires (comme la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies et les Pactes internationaux qui l’accompagnent, la Convention sur la réduction des cas d’apatridie et la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés). Définir la responsabilité des États par rapport aux changements climatiques est l’une des questions les plus complexes.

Étant donné qu’aucun instrument juridique n’offre de protection aux personnes déplacées par des facteurs environnementaux ou climatiques, certaines personnes considèrent qu’un nouvel instrument spécifique est nécessaire. Les réponses les plus effectives devraient prendre en considération tous les mouvements liés aux changements climatiques à l’intérieur d’un cadre des droits de l’homme élargi. En 2010, une deuxième version d’un projet de 2008 a été présentée, rédigée par des spécialistes de l’Université de Limoges, et c’est l’une des propositions les plus abouties à ce jour.[1] Il s’agit d’une contribution précieuse dans la mesure où elle allie protection, assistance et responsabilité, en y incorporant les principes de proximité, de proportionnalité et de non-discrimination et qu’elle met en exergue le principe de responsabilités communes mais différenciées.

Il existe à l’heure actuelle une série d’obstacles incontournables à l’établissement d’un accord international, dont certains sont liés à la volonté politique. Au cours des dernières années, le nombre de forums internationaux sur les questions de climat et d’environnement s’est multiplié, mais aucun d’entre eux n’a abouti à des solutions contraignantes. Toutefois, même si un instrument venait à être adopté, on peut s’attendre à ce que son taux de ratification reste insuffisant, ce qui aurait pour effet de l’affaiblir.

Aujourd’hui, il semble donc être difficile, voire impossible, d’obtenir un consensus mondial sur la question des mouvements internationaux de population et les changements climatiques. Il semblerait également risqué de vouloir transférer au domaine du droit international un débat qui continue d’engendrer des controverses dans la sphère scientifique, et pire encore, que ce transfert entraîne la modification d’institutions juridiques qui fonctionnent à l’heure actuelle – malgré leurs déficiences – et réussissent à protéger les réfugiés. Toute modification des statuts en vigueur pourrait mettre en danger les avancées obtenues à ce stade au cours des premières années du 21e siècle. Le nombre de réfugiés (au terme de la définition actuelle) a augmenté au cours des dernières années ; gonfler ce chiffre encore davantage ne servirait à rien si cela ne se traduit pas par une amélioration de la situation des personnes concernées en matière de droits de l’homme et de dignité.

D’autre part, restreindre la protection des personnes touchées par les questions de changements climatiques aurait pour effet d’en marginaliser d’autres touchées par des phénomènes et des changements géo-environnementaux (anthropiques ou non), qui pourraient faire l’objet d’une discussion en termes de responsabilités mais pas en termes de droits de l’homme.

Les conditions actuelles ne permettent peut-être pas d’adopter une définition adéquate d’un problème qui reste encore enlisé dans l’incertitude. Une définition a posteriori du statut juridique de ces migrants devrait être créée, établissant si, d’une manière ou d’une autre, il est possible de les différencier en tant que groupe par des caractéristiques qui leur soient propres.

Une fois cette approche établie, des solutions régionales ou bilatérales deviendraient la voie à suivre de préférence. Cela signifierait de travailler avec les gouvernements touchés à l’élaboration de solutions impliquant des mesures et des stratégies d’adaptation in situ, accompagnées d'un véritable engagement à réduire la contamination. Des réponses régionales de ce type, même si elles peuvent paraître peu ambitieuses, pourraient constituer la première étape positive vers des efforts internationaux plus généralisés.

 

María José Fernández mjfernandez84@live.com.ar est diplômée en Relations internationales de l’Université Catholique de Salta, Argentine. www.ucasal.edu.ar/



[1] Projet de Convention relative au statut international des déplacés environnementaux http://tinyurl.com/CIDCE-Environmental-displaced

 

 

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