MGF et demande d’asile : une situation compliquée pour les demandeuses comme pour les décideurs

Les autorités responsables de l’asile dans l’Union européenne doivent améliorer les procédures afin de répondre aux vulnérabilités spécifiques et aux besoins de protection des femmes et des filles qui ont subi des mutilations génitales féminines ou risquent d’en subir.

La procédure d’asile examine si la crainte de persécution de la demandeuse est bien fondée au regard d’un ou plusieurs motifs figurant dans la Convention de 1951 relative au Statut de réfugié ou si elle court un risque réel d’être soumise à un préjudice grave. Il existe un certain nombre de motifs sur la base desquels les mutilations génitales féminines (MGF) peuvent appuyer une demande d’asile. Il s’agit d’une violence fondée sur le genre et d’une forme de persécution propre aux enfants. C’est également une pratique qui viole le principe de la non-discrimination (dans la mesure où elle ne touche que les femmes et les filles) ainsi que le droit des enfants de sexe féminin d’être protégés contre des pratiques préjudiciables à leur santé. Les MGF ont des conséquences sur la santé à court et à long terme, et à ce titre sont considérées comme une forme permanente de persécution et également comme une forme de torture.[i]

Au regard de la Convention sur les réfugiés de 1951, les MGF constituent une forme de persécution liée au sexe qui peut être rattachée aux motifs relatifs à l’opinion politique, à l’appartenance à un groupe social particulier ou aux convictions religieuses. Les MGF sont mentionnées comme un exemple de persécution fondée sur l’appartenance à un groupe social particulier dans le cadre de la Directive Qualification de l’UE,[ii] et elles constituent également « un préjudice grave » dans le contexte de la qualification à la protection subsidiaire conférée par l’Article 15 de la Directive Qualification de l’UE.[iii] Toutefois, les survivantes de MGF (ou les personnes à risque) sont confrontées à de nombreuses difficultés procédurales pour établir les éléments de leur dossier et obtenir la protection qui en découle.[iv]

Réception et information

Les États membres de l’UE ont l’obligation d’identifier de manière précoce les demandeuses d’asile vulnérables mais certaines vulnérabilités sont difficiles à déterminer. Les MGF constituent habituellement un sujet tabou dont de nombreuses victimes ne souhaitent pas parler ; de plus, elles ne réalisent pas toujours qu’il s’agit d’une forme de violence à l’égard des femmes et ne sont pas non plus conscientes de l’impact que les MGF ont sur leur santé mentale et physique. Il est courant dans de nombreux États membres de l’UE que les demandeuses d’asile passent une visite médicale ; cette visite pourrait donner l’occasion de poser spécifiquement aux femmes qui viennent de pays dans lesquels la pratique des MGF est courante des questions à ce sujet. Toutefois, cela nécessiterait que les professionnels travaillant dans les centres de réception aient été formés et qu’ils aient des informations sur les pays d’origine et le contexte ethnique des demandeuses.[v] Plusieurs pays utilisent des outils spéciaux afin de déceler des indices de vulnérabilité comme le questionnaire Protect mis en place par des États membres comme la France, la Bulgarie ou les Pays-Bas.[vi]

Il est essentiel de donner aux demandeuses toutes les informations relatives à la procédure d’asile dans une langue qu’elles comprennent car c’est un processus qui non seulement est nouveau pour la plupart d’entre elles mais qui est aussi extrêmement complexe. Il faut également les informer de certains aspects spécifiques des MGF, en particulier qu’elles sont interdites dans les pays d’accueil et qu’elles ont des conséquences sur la santé ; les femmes peuvent ainsi comprendre qu’elles ont été victimes d’une violence susceptible de constituer un motif d’asile et contribuer à éviter la pratique des MGF sur d’autres membres de la famille. Si les demandeuses comprennent la procédure de demande d’asile elles seront mieux préparées et sauront qu’elles doivent parler de ce qui leur est arrivé et de la violence qu’elles ont subie.

Établir les faits et évaluer la crédibilité

Les autorités en charge de la procédure de demande d’asile interrogeront les demandeuses pour rassembler les éléments pertinents de leur témoignage et évaluer la crédibilité de leur demande, mais il arrive trop souvent qu’elles ne comprennent pas la finalité de cette entrevue. Les personnes ayant subi des MGF peuvent aussi rencontrer d’autres obstacles supplémentaires liés à la communication, elles peuvent être gênées de parler et d’avoir à révéler des expériences traumatisantes, elles peuvent vouloir cacher des expériences considérées comme honteuses ou éprouver de la méfiance à l’égard de personnes en position d’autorité. Le traumatisme subi et/ou le manque d’éducation peuvent également être des facteurs qui compliquent la révélation d’information. La communication avec les demandeuses se fait à travers le filtre de la langue et de la culture, et souvent par l’intermédiaire d’interprètes dont la présence peut rendre la divulgation d’informations sensibles encore plus difficile.

Rassembler des preuves n’est habituellement pas nécessaire si le témoignage est cohérent et logique. Toutefois, ceux qui ont la responsabilité d’évaluer les motifs d’asile peuvent demander des preuves matérielles et faire état d’un manque de coopération si la demandeuse n’est pas capable d’étayer son témoignage. En général, les victimes de persécution sexiste rencontrent des difficultés majeures à donner des preuves de ce qu’elles avancent par rapport à des persécutions passées. Un examen médical ou le rapport d’un psychologue peuvent s’avérer utiles pour prouver la violence ou le traumatisme subis, mais ces éléments de preuve ne devraient pas être une condition pour obtenir le statut de réfugié. La charge de la preuve est moindre si la demandeuse d’asile a subi des persécutions dans le passé et si elle est considérée comme faisant partie d’un groupe vulnérable. Néanmoins, dans le cas de femmes et de filles ayant subi ou risquant de subir des MGF, le principe du bénéfice du doute devrait être appliqué de façon libérale.

Dans son évaluation de crédibilité, la personne chargée de la décision doit examiner les circonstances individuelles et contextuelles de la demandeuse d’asile. Un fonctionnaire peut arriver à la conclusion qu’une demandeuse devrait être en mesure de protéger son enfant contre les MGF en cas de retour dans son pays mais une telle décision ne tient pas compte du fait que l’enfant appartient à la communauté et qu’une mère n’est pas nécessairement dans une situation qui lui permet de protéger son enfant contre des pratiques traditionnelles aussi préjudiciables.

Information sur le pays d’origine

La situation individuelle de la demandeuse doit être évaluée par rapport à des informations objectives relatives au pays d’origine. Le taux de prévalence des MGF dans le pays d’origine de la demandeuse d’asile est un indicateur très important ; les informations relatives au pays d’origine incluent également la protection que l’État peut apporter aux femmes qui craignent que leurs filles soient soumises à des MGF. S’il existe une loi interdisant la pratique des MGF dans le pays d’origine, c’est l’application concrète de cette loi qui doit être évaluée. Est-il possible pour une personne ayant subi une MGF de porter plainte ? La police interviendra-t-elle avec diligence si une femme demande une protection pour sa fille?

Les informations relatives aux pays d’origine doivent être recueillies auprès de différentes sources (gouvernementales comme non-gouvernementales), elles doivent être spécifiques à la situation des enfants et inclure également une dimension relative au sexe ; le Bureau européen d’appui en matière d’asile a pris l’engagement d’améliorer ces aspects, et un module de formation sur le genre et sur les techniques d’entretien à l’égard des groupes vulnérables est en cours d’élaboration.

Toutefois, même si les faits avancés ne sont pas corroborés par les informations relatives aux pays d’origine, cela ne devrait pas en soi affaiblir la crédibilité de la demandeuse. C’est un aspect qui est particulièrement pertinent s’il s’agit d’une deuxième excision (une nouvelle excision à une date ultérieure), dans la mesure où ces cas font l’objet d’un tabou encore plus fort que les MGF initiales et qu’aucune corroboration de cette pratique n’apparaît dans les informations relatives aux pays d’origine - l’absence d’éléments appuyant une assertion de ce type ne doit donc pas mettre en cause sa véracité.

Certaines autorités responsables de l’asile se posent la question de savoir si les demandeuses pourraient se réinstaller dans une autre partie de leur propre pays, un endroit où la pratique des MGF/E est moins courante. Dans des cas de ce type, il est nécessaire de déterminer si une alternative de cet ordre est à la fois sûre, pertinente, accessible, appropriée et raisonnable.[vii]

Persécution spécifique à l’enfant et unité de la famille

Comme mentionné antérieurement, les MGF sont des formes de persécution spécifiques à l’enfant. Si un enfant non accompagné demande l’asile pour ce motif, les autorités responsables de l’asile doivent s’assurer que la procédure, les techniques d’entretien et l’évaluation de la crédibilité sont adaptés et approprié à un enfant.

Dans certains pays (comme la France), lorsqu’une famille dépose une demande de protection internationale parce qu’elle craint qu’une enfant soit soumise à des MGF, la protection est accordée uniquement à l’enfant. Dans les cas de ce type, les autorités responsables de l’asile considèrent que les parents n’ont pas de raisons légitimes de demander l’asile pour eux-mêmes parce que leur opposition à cette pratique n’entraîne pas de persécution ou de dommage grave à leur égard. Toutefois, l’unité de la famille et l’intérêt supérieur de l’enfant sont des principes fondamentaux au regard des droits de l’homme au niveau international et régional et du droit des réfugiés qui devraient être prioritaires dans les cas de demande d’asile relatives aux MGF lorsque l’objectif suprême est de protéger les femmes et les filles contre une forme de persécution et de dommages graves.

 

Christine Flamand christine.flamand@intact-association.org est Conseillère juridique et Direct



[i] Manfred Nowak (15 janvier 2008) Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants www.refworld.org/pdfid/47c2c5452.pdf

[iii] Une forme différente de protection complémentaire contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui n’est pas liée aux cinq motifs de persécution reconnus par la Convention relative au statut des réfugiés de 1951.

[iv] Un rapport de 2012 relatif à une étude comparative des causes de demande d’asile liées au genre dans neuf États membres de l’UE, inclut une série d’exemples de bonnes (et de mauvaises) pratiques. Voir : http://tinyurl.com/EU-Gender-asylum-claims-2012

[v] Voir par exemple, le cours de formation en ligne United to END FGM/C: www.ueFGM/C.org/

[vii] Voir UNHCR (May 2009) Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminine, Section C. www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=4d74ad072

 

 

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