« Un avenir sûr » aux Philippines

Le programme « Un avenir sûr » du gouvernement philippin a permis de réinstaller les familles pauvres touchées par un désastre dans les zones où les structures permettant des opportunités font défaut.

En 2013, les Philippines ont occupé les écrans de télévision du monde entier après le passage du typhon Yolanda (connu internationalement sous le nom de « Haiyan ») qui avait mis le pays à genoux en entraînant la mort de milliers de personnes et en causant des dommages matériels de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Ce typhon est resté dans l’histoire humaine comme le plus violent jamais enregistré et en est venu à incarner le côté obscur du changement climatique.

Le monde doit aujourd’hui accepter le fait qu’il n’a jamais été aussi vulnérable aux calamités, en raison du changement climatique. Quant aux cas des Philippines, que l’on préfère parler d’un acte de la nature ou du changement climatique, l’expérience des catastrophes impose aux autorités et aux responsables l’obligation de préparer le pays en termes de lois et de politiques (en appliquant celles qui existent ou en en créant de nouvelles). On observe aujourd’hui des changements sous la forme du renforcement des programmes de réduction des risques de catastrophe, de la formulation de plans d’action préventifs à tous les niveaux de leadership et de l’établissement de conseils de coordination pour faciliter et accélérer la dissémination des informations

De tous les côtés, à l’échelle locale comme nationale, des initiatives ont vu le jour et des efforts ont été déployés pour corriger les défauts du bouclier national contre les catastrophes en reconsidérant comment le pays utilise les terres urbaines et rurales. Sous l’effet de cette révision, des familles ont été déracinées et transférées sur des sites de réinstallation préparés par les autorités. Dans la région de la capitale nationale Métro Manille, par exemple, où la population a en partie augmenté en raison de la migration économique de familles venues des régions rurales éloignées du pays, l’administration a lancé un programme de logement sur cinq ans (2011-16) pour réinstaller sur des terres plus sûres les familles en danger vivant dans des zones à risque élevé et non adaptées à l’habitation.

Ce programme, intitulé « Un avenir sûr » est louable dans la mesure où il vise à secourir les familles vivant au bord des cours d’eau ou au-dessus de ceux-ci, dans des logements sur pilotis. En fait, les familles se sont vite laissées convaincre, en partie grâce au budget alloué à ce programme mais surtout parce qu’elles-mêmes en avaient assez. Elles étaient plutôt disposées à déménager pour garantir leur sûreté, notamment après l’expérience du typhon Ondoy qui avait laissé Métro Manille sous 6 à 9 mètres d’eau en 2009. La disposition de ces familles, qui jusqu’alors avaient toujours indiqué leur ferme désir de continuer de vivre dans leur logement dangereux, représente une évolution dont les autorités ont su tirer avantage, en particulier dans un pays qui a encore beaucoup à faire en matière de démolitions et d’expulsions justes et humaines.

Il existe environ 104 000 familles touchées dont la taille moyenne est légèrement supérieure à 5 personnes et dont le revenu familial moyen est inférieur au seuil de pauvreté officiel. Selon ces familles, la véritable raison qui pourrait les inciter à abandonner leurs conditions de vie actuelle (en dehors des dangers liés à leur emplacement) serait de recommencer une nouvelle vie et d’échapper à la pauvreté chronique en saisissant de nouvelles opportunités que la réinstallation pourrait leur offrir. Elles ont également indiqué qu’elles souhaitaient retrouver leur fierté en passant du statut de squatters à celui de propriétaires.

Toutefois, rien ne pourrait être plus difficile que de quitter le lieu que vous considérez depuis longtemps comme votre maison, même si votre situation est particulièrement désastreuse, et de recommencer une nouvelle vie dans un environnement que vous n’avez pas choisi vous-même. C’est pourquoi, comme le savent tous les praticiens de la réinstallation, la réinstallation non volontaire des familles s’accompagne de nombreux risques sur le plan de la vie et des moyens de subsistance, dont l’impact pourra être atténué uniquement si les autorités agissent dans l’optique du développement social.

Évaluation du programme

Par conséquent, la Commission présidentielle pour les pauvres en milieu urbain à étudié, par le biais de son unité informelle des familles réinstallées, l’impact à court terme du programme sur les familles réinstallées sur 10 sites différents entre 2013 et août 2014.

Lorsque vous vous rendez sur ces sites, vous constatez qu’ils se trouvent loin du centre commercial et qu’ils sont mal reliés au réseau routier. Ces sites sont en fait des bandes de terres situées dans des emplacements éloignés, sur lesquelles des milliers de maisons sont alignées. Comme ces sites sont détachés des pôles de l’économie et des moyens de subsistance formels, des compensations doivent être apportées au problème de la distance et du manque d’opportunités afin que les communautés puissent prospérer.

À la première approche, les familles ont réagi comme nous le faisons aux Philippines : en souriant comme si tout allait bien. Mais quand nous leur avons demandé comment ils allaient et qu’ils ont compris que nous étions venus pour enquêter, les membres de la communauté ont rapidement exprimé leurs angoisses. Ils se sont plaints de ne pas avoir échappé au désastre qu’est la faim, même s’ils ont échappé aux dangers liés à leur lieu de résidence précédent. 60 % des familles étudiées ont signalé un déclin de leurs revenus, certaines personnes n’ayant jamais retrouvé d’emploi depuis leur réinstallation. Cette situation est encore exacerbée par la prestation irrégulière et inadaptée des services essentiels, tels que l’eau potable et l’électricité, l’accès à la santé et l’éducation pour les enfants d’âge scolaire. Ils affirment ainsi que la vie sur le site de réinstallation est deux fois plus difficile.

Selon leurs propres mots, ils ont été réinstallés d’une zone dangereuse vers une zone mortelle. Ils n’ont jamais connu de telles difficultés, au point de devoir supplier pour obtenir des services essentiels. Certains de leurs voisins sont retournés en ville, et se sentent trahis par les autorités. Il est à la fois particulièrement perturbant et alarmant d’entendre ces récits. Pourquoi les autorités, malgré tous leurs efforts, n’ont pas rempli la promesse de l’amélioration du bien-être des familles qu’elles réinstallent ? Il est difficile de savoir si la faute en revient à une carence des politiques et à un cadre au fonctionnement ambigu ou bien à une mise en œuvre inefficace du programme par l’organisation chargée de son application conformément au cadre opérationnel.

L’aggravation de la pauvreté dans tous les sites de réinstallation est le résultat de l’effondrement de la structure-même des opportunités. Ces opportunités auraient dû être créées avant la réinstallation des familles ou, au moins, un programme de subventions aurait dû être mis en place pour aider les familles à retrouver progressivement leur qualité de vie.

Dans les communautés où elles vivaient avant, elles disposaient d’une source de revenus et de réseaux fiables dans le voisinage. Presque tout ce dont elles avaient besoin était à portée de main, en ville. Le déplacement les a privés de cette vie, qu’il a remplacée par la distance, la non-prestation des services élémentaires et des voisins inconnus. Si cette pratique se poursuit, les autorités ne réaliseront jamais leur objectif d’avenir sûr pour les personnes réinstallées.

Le programme de réinstallation « Un avenir sûr » est honorable dans la mesure où il adopte une approche multisectorielle et crée un espace de participation plus large pour les familles touchées. Néanmoins, la vision réductrice de cet avenir sûr pour les familles réinstallées, qui n’implique rien de plus que de mettre les familles à l’abri du risque d’inondation, empêche de répondre aux exigences plus vastes qui permettraient de garantir véritablement un avenir sûr aux personnes réinstallées dans ce nouveau contexte. Éloigner ces personnes des cours d’eau constitue seulement la première étape, et la plus facile, d’une série de nombreuses étapes difficiles. Les efforts post-réinstallation du programme devraient capitaliser sur une approche multisectorielle et participative et réorienter ses ressources de manière à répondre aux besoins essentiels des familles et à reconstruire la confiance sociale en rétablissant la structure d’opportunités de notre société. Lorsqu’il s’agit des besoins élémentaires de ses habitants, une nation ne peut jamais trop dépenser.

 

Lloyd Ranque ranquedequezon@gmail.com est membre du service technique et Melissa Quetulio-Navarra melisnavarra@gmail.com est la principale coordinatrice dans une agence gouvernementale participant directement à la mise en œuvre du programme Oplan Likas aux Philippines.

Les vues exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne représentent pas celles des institutions pour lesquelles ils œuvrent.

 

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