Le déplacement comme conséquence des politiques d’atténuation du changement climatique

Les politiques d’atténuation du changement climatique et les « solutions écologiques », tels que les biocarburants, provoquent elles aussi des déplacements.

Les impacts actuels et anticipés du changement climatique ont entraîné la mise en place d’une vague de politiques d’atténuation qui, malgré leurs bonnes intentions, peuvent en fait accentuer les pressions exercées sur les terres des groupes les plus vulnérables sur le plan économique, environnemental et social des pays en développement. Un exemple particulièrement parlant concerne les politiques de production de biocarburants qui encouragent l’acquisition de grandes parcelles de terres dans le Sud, en ignorant souvent les droits des populations locales, ce qui entraîne le déplacement de communautés entières. Le changement climatique est souvent utilisé pour légitimer une grande partie de ce type d’acquisition. Parmi les exemples de cette marchandisation de la nature, on peut citer les crédits compensatoires de carbone, l’écotourisme et la production de biocarburants. Tandis que les défenseurs de ces investissements fonciers insistent sur leur potentiel favorable, leurs opposants, qui les apparentent à une appropriation des ressources naturelles à des fins environnementales[1] ou un « accaparement des terres », mettent en lumière les différentes menaces que ces investissements posent pour l’environnement, la sécurité alimentaire locale et les modes de subsistance traditionnels.[2]

Les politiques publiques ont joué un rôle crucial pour encourager ce phénomène que l’on a surnommé le « boom des biocarburants ». L’Union européenne, les États-Unis et d’autres pays ont défini des objectifs visant à accroître l’utilisation des biocarburants dans le transport, tout en offrant des incitations financières et des exonérations fiscales aux acteurs de l’énergie « propre ». Bien que ces politiques soient initialement motivées par de bonnes intentions, elles entrent souvent en concurrence avec la production alimentaire, si bien qu’elles se traduisent par une augmentation de l’insécurité alimentaire locale et parfois également par d’importantes violations des droits humains, dont le déplacement. Alors que la plupart de ces projets prétendent utiliser des terres marginales inoccupées, les recherches empiriques démontrent qu’en réalité ces terres sont souvent habitées, boisées, utilisées comme pâturages ou encore utilisées comme ressource communale.

Conséquences sur la mobilité

La Banque mondiale a reconnu que le déplacement était l’un des risques des investissements fonciers, en particulier dans les pays où la gouvernance est faible et où les droits fonciers ne sont pas clairement définis.[3] En 2007, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des peuples autochtones a estimé que l’expansion des biocarburants pouvait menacer les terres et les moyens de subsistance de 60 millions de personnes parmi les peuples tribaux.[4] Pourtant, la question du déplacement provoqué par ce type d’investissement « écologique » figure à peine sur la liste de ses conséquences négatives. De plus, les impacts de tels projets infrastructurels peuvent accentuer les tensions exercées sur ces environnements fragiles, et provoquer par la même encore davantage de déplacements.

En Indonésie, en Malaisie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Inde, l’augmentation exponentielle de la demande d’huile de palme destinée à l’exportation a déplacé des millions d’autochtones de leurs terres. En Colombie, les forces paramilitaires ont recouru à l’intimidation et à la violence pour forcer le déplacement de communautés afro-colombiennes et faire de la place pour la production de canne à sucre et de manioc. Selon le Forum pour le développement communautaire ethnique (Ethnic Community Development Forum), 14 % de l’ensemble des réfugiés birmans arrivés en Thaïlande entre 2006 et 2007 avaient été déplacés contre leur gré par la campagne de production de biocarburants à base de jatropha.[5] Quant au Brésil, le poids lourd de l’éthanol, il a également été le théâtre du déplacement de millions de petits exploitants suite à l’acquisition de terres destinées à la production du soja. Et l’on pourrait citer encore bien d’autres exemples.

Lorsque des consultations préalables sont organisées auprès des communautés concernées, comme c’est le plus souvent le cas aujourd’hui dans les pays relativement stables tels que le Sénégal, les investisseurs s’appuient sur des promesses en matière d’emploi et d’infrastructures pour inciter les populations à consentir à une réinstallation volontaire. Toutefois, si les résultats ne correspondent pas aux attentes, cette réinstallation « volontaire » peut se transformer en réinstallation forcée.

Alors que les personnes analysant les conséquences sociales des investissements fonciers doivent prêter davantage d’attention aux déplacements en tant que résultat, il est également nécessaire que les universitaires et les praticiens spécialisés dans la migration environnementale élargissent leurs analyses. Même si les causes du déplacement s’entremêlent souvent et manquent de netteté, les résultats rencontrés par les déplacés sont étonnamment semblables. Le « déplacement provoqué par l’accaparement des terres » est un exemple flagrant du chevauchement des catégories traditionnelles du déplacement forcé (conflits, développement et environnement).

Les mécanismes et les lacunes actuels de la protection

Plusieurs tentatives ont cherché à contrôler les impacts et les processus négatifs de l’accaparement des terres via l’élaboration de codes de conduite et de principes d’investissement agricole responsable qui respecteraient les droits, les moyens de subsistance et les ressources.[6] Afin d’atteindre des résultats « gagnant-gagnant », les problématiques les plus souvent abordées sont la transparence des négociations, le respect des droits fonciers existants, le partage des profits, la durabilité environnementale et le respect des politiques commerciales nationales. Ces problématiques semblent indiquer qu’une bonne gouvernance permettrait de réduire la dépossession et le déplacement des communautés rurales. Toutefois, comme ces principes sont non contraignants, il est difficile, voire impossible, de poursuivre et de pénaliser les acteurs qui ne les respectent pas. Bien qu’il puisse être envisageable d’appliquer les mécanismes de protection existants pour les personnes déplacées par un conflit, un projet de développement ou la dégradation de l’environnement, il est avant tout indispensable de reconnaître, de bien comprendre et de quantifier ce déplacement.

Au vu de la croissance exponentielle de l’accaparement des terres à travers le monde, il semble nécessaire de dépasser la catégorie du déplacement d’origine environnementale afin de tenir compte des impacts des politiques d’atténuation du changement climatique comme l’un des facteurs qui influencent les résultats du déplacement ou les décisions migratoires.

L’argument selon lequel les États ont pour responsabilité d’imposer à ces investissements des réglementations en matière de durabilité sociale ne minimise en rien les responsabilités morales et éthiques des investisseurs, de même que des consommateurs du Nord, notamment lorsque leurs politiques « écologiques » sont pour une grande partie responsable de l’expulsion des populations rurales pauvres de leurs terres. Des programmes de certification transparents et bien coordonnées, intégrant les principes des droits humains et des mécanismes de protection pour les plus vulnérables, devraient être une condition obligatoire de la consommation des marchandises et des denrées produites par ces investissements.

 

Sara Vigil Sara.Vigil@ulg.ac.be est chercheuse associée FNRS au Centre des études de l'ethnicité et des migrations de l’Université de Liège. www.cedem.ulg.ac.be



[2] Consultez le Journal of Peasant Studies pour accéder aux analyses universitaires les plus pertinentes au sujet des différents types d’accaparement des terres. www.tandfonline.com/loi/fjps

[3] Banque mondiale (2012) ‘Performance Standard 5. Land Acquisition and Involuntary Resettlement’ http://siteresources.worldbank.org/OPSMANUAL/Resources/OP4.03_PS5.pdf

[4] Survival International (2008) ‘Biofuels threaten lands of 60 million tribal people’ www.survivalinternational.org/news/3279

[5] ECDF (2008) ‘Biofuel by decree. Unmasking Burma’s Biofuel Fiasco.’ www.cban.ca/Resources/Topics/Agrofuels/Biofuels-By-Decree-Burma-Report

[6] En 2010, la FAO, le FIDA, la CNUCED et la Banque mondiale ont élaboré les Principes pour des investissements agricoles responsables (http://unctad.org/en/Pages/DIAE/G-20/PRAI.aspx ). La Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, l’Union africaine, la Banque africaine de développement et l’UE ont également mis au point des cadres et des directives.

 

 

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