Développer des partenariats dans la région de l'IGAD

Comment des partenariats et des approches innovantes peuvent-ils renforcer la cohérence stratégique et favoriser une élaboration plus effective des politiques au sein de la région de l'IGAD dans le contexte des catastrophes et des changements climatiques ?

Sur l'ensemble du continent africain, les effets néfastes des changements climatiques ont intensifié la fréquence et la gravité des aléas soudains et à évolution lente. La région de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD)[1], en particulier, est considérée comme l'une des régions les plus vulnérables face aux variations et changements climatiques. La région abrite plus de 230 millions de personnes dont les moyens de subsistance et les revenus sont principalement liés à l'agriculture, et plus des deux tiers de son territoire sont arides ou semi-arides. La région de l'IGAD est l'une des régions les plus diversifiées au monde, comprenant des zones de croissance économique et d'investissement d'une part, et des zones sujettes aux conflits, à l'instabilité politique, aux crises humanitaires et aux catastrophes d'autre part. Elle est régulièrement confrontée à un large éventail de catastrophes qui entraînent des formes diverses de mobilité humaine.

Comme le reconnaît le Pacte mondial pour les migrations (PMM), aucun pays ne peut relever les défis et saisir les opportunités de la mobilité humaine seul, et aucun secteur politique isolé ne peut y faire face tout seul non plus. Cela est particulièrement vrai, étant donné la diversité et la complexité qui sous-tendent les mouvements de personnes, ou de groupes, dans les contextes de catastrophes et de changements climatiques. Il est possible d’apporter des solutions aux risques et aux besoins de protection auxquels sont confrontés ces groupes par le biais de mesures et d’outils, notamment des voies régulières de migration, des approches intégrées de réduction des risques de catastrophes (DRR), des programmes d’adaptation et de renforcement de la résilience, des mesures de soutien aux moyens de subsistance et à un travail décent, et la migration comme stratégie d’adaptation. 

C’est à cette fin qu’en février 2021, plusieurs agences et partenaires des Nations unies ont établi un Programme conjoint[2] (financé par le Fonds d’amorçage pour des migrations sûres, ordonnées et régulières[3]) dans le but d’améliorer la gouvernance régionale et nationale des migrations dans le contexte des effets néfastes des changements climatiques et de la dégradation environnementale. Ce partenariat vise à contribuer à la mise en œuvre des instruments internationaux pertinents[4] et présente une occasion unique de rassembler et partager l'expertise et l'expérience de différents acteurs étatiques et non étatiques de la région de l'IGAD.

Décloisonner le travail : partenariats et collaboration

Il existe une large gamme d'instruments et de politiques au niveau régional et national qui concernent la mobilité humaine et les changements climatiques. Il s'agit notamment de politiques régionales et nationales dans les domaines de la migration, des changements climatiques, de la RRC, de l'assistance et de la protection humanitaires, des droits humains, du développement, du travail et de la planification urbaine[5]. À l’évidence, il est nécessaire d’encourager la cohérence entre les politiques ainsi que le dialogue et les actions concrètes dans ces différents domaines politiques, notamment en apportant un soutien adéquat qu’il soit financier, technique ou ayant trait au renforcement des capacités. L’approche multipartite du Programme aborde tous ces objectifs, ainsi que les moyens de les atteindre.

Le Programme met en œuvre des interventions au sein des structures existantes de l'IGAD[6] au niveau régional, national et local. Les partenaires travaillent en étroite collaboration avec les gouvernements nationaux et locaux, et favorisent la participation de la société civile, du secteur privé et des communautés locales touchées, ou risquant d'être touchées par les catastrophes, la dégradation de l'environnement et les changements climatiques. L'objectif est d'adopter des approches axées sur les personnes dans lesquelles l’ensemble des parties prenantes gouvernementales et sociétales puisse s’impliquer. Le Programme vient également compléter d'autres initiatives dans la région qui sont liées à la mobilité humaine dans des contextes de catastrophes et de changements climatiques.

Le Programme comporte quatre domaines d'intervention interdépendants qui sont liés à quatre types de besoins régionaux spécifiques[7]. L’un des aspects du travail entrepris dans le cadre de ce Programme consiste à soutenir l’intégration de considérations relatives à la mobilité humaine dans différents domaines politiques, en s’appuyant sur les résultats et les recommandations d’un exercice de cartographie[8] portant sur la manière dont les politiques régionales et nationales de RRC, les changements climatiques et le développement abordent la mobilité humaine. Les résultats de cet exercice ont été discutés lors d'une réunion régionale en septembre 2021 et cette discussion se poursuivra au niveau local, à la fois au Kenya et en Somalie, pour s'assurer que les recommandations sont réalisables et réalistes, et que les communautés se les approprient.

Le Protocole de libre circulation des personnes de l'IGAD (adopté en juin 2021 par le Conseil des ministres de l'IGAD) reflète un autre domaine prioritaire qui a également connu un succès précoce. L'article 16 du Protocole appelle les États membres à faciliter l'entrée et le séjour des personnes qui se déplacent en prévision, pendant ou à la suite d'une catastrophe. C'est la première fois qu'un protocole de libre circulation aborde spécifiquement les besoins des personnes touchées par des catastrophes. Il s’agit d’une opportunité déterminante car ce protocole facilite non seulement l'entrée et le séjour des personnes qui se déplacent pendant ou après une catastrophe, mais permet également aux personnes menacées de déplacement de se déplacer de manière préventive. En outre, leur séjour sera prolongé tant que le retour dans le pays d'origine n'est pas possible ou raisonnable.

Afin de faire progresser la mise en application du Protocole, et plus particulièrement de son article 16, le Programme soutient la capacité de préparation et la réponse opérationnelle des États membres, ainsi que la coopération régionale et bilatérale en matière de déplacement transfrontalier en cas de catastrophes. Cette coopération sera mise en œuvre grâce à l’élaboration de procédures opérationnelles normalisées (SOP) qui feront l’objet de tests dans des zones transfrontalières potentiellement touchées par des déplacements dus à des catastrophes.

En outre, les solutions locales mises en place par le Programme favorisent la mobilité de la main-d'œuvre et le développement de marchés du travail locaux dans les zones exposées aux changements climatiques et aux catastrophes. Elles permettent également l’approfondissement des connaissances sur les mouvements transfrontaliers, la protection internationale et les droits des migrants, et contribuent à favoriser un développement durable, une économie verte et des voies de migration régulières.

Approches novatrices : modélisation des risques

Les données factuelles sont essentielles pour soutenir les processus d'élaboration des politiques. Le Programme conjoint élabore des solutions innovantes pour combler les lacunes en matière de données, et la modélisation des risques est l'une d'entre elles. L'un des principaux défis consiste à saisir la relation complexe entre la vulnérabilité face aux catastrophes et le déplacement, un domaine encore peu représenté dans la recherche universitaire malgré l'attention croissante accordée à ce concept dans les milieux politiques. Le Programme se fixe pour objectif d’aborder cette complexité en élargissant l'approche pour évaluer le niveau de risque de déplacement dû à une catastrophe.

En général, on évalue ce risque en tenant compte du type d'aléa (par exemple, inondation ou cyclone), de l'exposition à l'aléa et du niveau de vulnérabilité de la population (qui est principalement lié aux caractéristiques physiques du secteur du logement). Par le biais du Programme, les partenaires techniques appliquent désormais une nouvelle méthodologie de modélisation des risques qui prend en compte des caractéristiques supplémentaires, telles que les moyens de subsistance, afin de fournir une image plus précise de la réalité sur le terrain. Une représentation plus globale de la vulnérabilité, tenant compte des éléments socio-économiques, contribuera à identifier des stratégies efficaces pour réduire la vulnérabilité et, par extension, réduire le nombre de personnes risquant d'être déplacées de force.      

Les personnes qui dépendent du secteur primaire de l'économie, par exemple (agriculture, élevage, pêche, etc.) – en particulier pour leur survie – sont plus exposées au risque de déplacement en cas de catastrophe soudaine, en raison de l'impact relativement plus important de ce type de catastrophe sur leurs moyens de subsistance. Le caractère diversifié de la vulnérabilité n'est pas souvent représenté dans les modèles prédictifs actuels, principalement en raison d'un manque de clarté sur la conceptualisation de la « vulnérabilité », mais aussi, en raison du manque de données désagrégées et locales. Les interventions dans ce domaine se concentrent généralement sur la réduction des impacts possibles des aléas sur les infrastructures physiques (par exemple, la protection des maisons contre les catastrophes) et ignorent largement les interventions dans d'autres domaines stratégiques, tels que l'accès aux marchés du travail et les voies de migration régulière.         

Cette nouvelle méthodologie de modélisation des risques vise à fournir une évaluation plus exhaustive de la vulnérabilité, en tenant compte de trois composantes interdépendantes dans l'évaluation de l'impact des catastrophes : 1) l'impact direct sur les biens et les personnes, 2) l'impact direct sur les moyens de subsistance et 3) l'impact indirect sur les installations, les services et les moyens de subsistance essentiels. Le premier élément, déjà inclus dans les modèles traditionnels de risque de déplacement dû aux catastrophes, fournit une estimation du nombre de personnes qui doivent quitter leur maison ou leur lieu de résidence habituel, ventilé par âge, sexe et revenu. Le deuxième élément dépasse la modélisation traditionnelle  des risques. Il mesure l'impact direct d'une catastrophe sur les moyens de subsistance des populations en termes de pertes matérielles et économiques (par exemple, le nombre d'hectares endommagés et d'animaux perdus). Troisièmement, les impacts indirects sont pris en compte (à savoir, les impacts à plus long terme d'un manque prolongé d'accès aux services essentiels) dans la mesure où les décisions de migration dépendent non seulement de l'accès à une alimentation suffisante et à l'eau potable, mais aussi aux installations éducatives et sanitaires.

Les résultats de cette évaluation plus complète sont intégrés aux profils de risque du déplacement lié aux catastrophe et incorporés dans l'élaboration des politiques afin de définir des stratégies spécifiques, localisées et efficaces pour réduire la vulnérabilité des personnes.

Premiers enseignements et bonnes pratiques

En rassemblant l'expertise et les capacités de différents partenaires sous une seule structure de gouvernance, le Programme conjoint peut limiter les problèmes habituels de coordination et améliorer la qualité des interventions. Bien que l'engagement de différents partenaires soit un avantage notable, il est certain que la planification et les efforts de préparation prennent davantage de temps. Toutefois, grâce à une planification minutieuse et à l’élaboration de processus efficaces au cours de la mise en œuvre, il est possible de minimiser cet inconvénient. L'équipe a mis en place un système de contrôle, d'évaluation et d'apprentissage, et suit de très près le processus pour s'assurer que les activités sont pertinentes, opportunes et qu’elles mènent aux résultats et au succès escomptés. Enfin, il convient de noter que de nombreuses composantes du Programme pourraient être facilement reproduites ou étendues à d'autres régions confrontées à des défis similaires, tout en sachant que toutes les interventions doivent être adaptées au contexte et aux réalités locales.

 

Lena Brenn Lena.Brenn@igad.int

Conseillère en matière de déplacements liés aux catastrophes, Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD)

 

Noora Mäkelä nkmakela@iom.int

Coordinatrice de programme, Organisation internationale pour les migrations

 

Eleonora Panizza eleonora.panizza@cimafoundation.org

Doctorante, Fondation pour la recherche CIMA, Université de Gênes

 

Ahmed Amdihun aamdihun@icpac.net

Coordinateur du programme de gestion des risques de catastrophes, Centre de prédiction et d’applications climatiques de l’IGAD (ICPAC)

 

Roberto Rudari roberto.rudari@cimafoundation.org

Directeur de programme, Fondation pour la recherche CIMA

 

[1] L'IGAD est l'une des huit communautés économiques régionales (CER) de l'Union africaine, Elle comprend Djibouti, l'Éthiopie, le Kenya, la Somalie, le Sud-Soudan, le Soudan et l'Ouganda.

[2] Programme conjoint : Addressing Drivers and Facilitating Safe, Orderly and Regular Migration in the Context of Disasters and Climate Change in the IGAD Region https://environmentalmigration.iom.int/addressing-drivers-and-facilitating-safe-orderly-and-regular-migration-contexts-disasters-and-climate-change-igad-region

Les partenaires sont l'OIM, l'Organisation internationale du travail (OIT), la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (PDD), le HCR et le Secrétariat de l'IGAD, y compris le Centre de prédiction et d’applications climatiques de l’IGAD.

[3] Le MPTF (Migration Multi-Partner Trust Fund) est le premier et le seul instrument de financement commun inter-institutions des Nations unies axé sur la migration. Sa création a été demandée par les États membres lors de l'adoption du Pacte mondial sur les migrations (A/RES/73/195) en 2019.

Plus d'informations sur www.migrationnetwork.un.org et https://mptf.undp.org/factsheet/fund/MIG00

[4] Notamment le Pacte mondial sur les migrations, les Objectifs de développement durable, l'Accord de Paris de 2015 sur les changements climatiques dans le cadre de la CCNUCC et le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030. Elle fait également avancer la mise en œuvre du plan d'action triennal de l'Union africaine pour la mise en œuvre du Pacte mondial pour les migrations en Afrique 2020-2022 et du protocole de l'IGAD sur la libre circulation des personnes adopté par les États membres de l'IGAD en juin 2021.

[5] Voir OIM (2014) IOM Outlook on Migration, Environment and Climate Change https://publications.iom.int/system/files/pdf/mecc_outlook.pdf.

bit.ly/IOM-MECC-outlook-2014 ; et The Nansen Initiative (2015) Agenda for the Protection of Cross-Border Displaced Persons in the Context of Disasters and Climate Change. Volume I https://disasterdisplacement.org/the-platform/the-context

[6] Tels que : National Coordination Mechanisms on Migration (NCM), Regional Consultative Process on Migration (RCP), Greater Horn of Africa Climate Outlook Forum (GHACOF) et Technical Working Groups on DRR and Climate Change.

[7] 1) générer des données de manière à mieux cartographier, comprendre, prédire et faire face aux mouvements migratoires et au risque de déplacement; 2) inclure les catastrophes, les effets adverses dus aux changements climatique et à la dégradation de l’environnement aux politiques nationales et régionales sur la migration et la mobilité dans le cadre de stratégies de préparation face aux changements climatiques et aux catastrophes ; 3) renforcer la préparation, la capacité d’intervention et la coordination par le biais d’une coopération régionale, subrégionale et bilatérale ; et 4) soutenir la mise en œuvre de cadres régionaux et nationaux sur la mobilité humaine pour accroitre la disponibilité et la flexibilité des voies pour la migration régulière, et pour les personnes déplacées dans le contexte de catastrophes, des effets adverses des changements climatiques et de la dégradation de l’environnement – particulièrement – pour les femmes migrantes.

[8] https://disasterdisplacement.org/portfolio-item/drr-cca-development-policies-and-disaster-displacement-human-mobility-in-igad

 

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