Secours en cas de catastrophe et déplacement : en quête de cohérence politique

Comment pouvons-nous faire un meilleur usage des cadres existants qui régissent les secours en cas de catastrophe pour répondre aux conséquences des catastrophes sur la mobilité ? En prenant les Amériques comme étude de cas, nous pouvons ainsi nous faire une idée et traiter aussi d’autres questions connexes.

Nous savons que les cadres nationaux et régionaux relatifs à l’immigration sont importants pour faciliter l'admission et le séjour des personnes touchées par les catastrophes dans des régions telles que les Amériques[1]. Mais cela revient à considérer la question uniquement d'un point de vue politique : celui du droit de l'immigration. Qu'en est-il des cadres qui régissent spécifiquement les interventions et les secours en cas de catastrophe ? Comment abordent-ils les déplacements et autres conséquences qui résultent des catastrophes en termes de mobilité ? Et comment pouvons-nous promouvoir une meilleure cohérence entre les domaines de droit à part entière que sont la réglementation de l'immigration et la réponse aux catastrophes ?

Cadres de DRM et déplacement à l’intérieur d’un pays

La « gestion des risques de catastrophe » (Disaster risk management – DRM) est un terme générique qui couvre la défense civile, les mesures en cas de catastrophe, la réduction des risques de catastrophe, la préparation et la réponse aux catastrophes, ainsi que les interventions d'urgence. Au niveau mondial, les concepts clés de la DRM ne sont pas énoncés dans un traité juridique, mais mentionnés dans des cadres politiques non contraignants, tels les deux Cadres d’action des Nations-Unies, celui d’Hyogo de 2005, et celui de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes de 2015, ou les Lignes directrices relatives à la facilitation et à la réglementation nationale des opérations internationales de secours et d'assistance au relèvement initial en cas de catastrophe de 2007 du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Toutefois aux niveaux régional et national, les cadres de DRM sont bien établis dans le droit (ainsi que dans les politiques). Du point de vue de ce type de caractéristiques, le domaine de la DRM n’est pas dissimilaire de celui de l'immigration.

En revanche, dans les cadres de DRM, la plupart des dispositions relatives à la mobilité sont orientées vers les déplacements internes, plutôt que vers les mouvements transfrontaliers lesquels sont l’objet principal du droit de l'immigration. En effet, la majorité des dispositions relatives à la mobilité dans les cadres nationaux de DRM semblent aborder la question des « évacuations » comme une forme particulière de déplacement interne[2]. Toutefois, le concept d'évacuation n'est pas compris de manière homogène dans le monde entier. Par exemple, alors que la plupart des pays considèrent les évacuations comme une mesure préventive ou de secours prise par l'État[3], quelques pays considèrent qu’elles couvrent également le déplacement spontané des personnes menacées par une catastrophe[4].

Il est crucial que les cadres de DRM ne se limitent pas uniquement à des concepts d'évacuation étroitement définis, mais qu'ils abordent également les impacts plus larges des catastrophes sur les déplacements à l’intérieur d'un pays. À cette fin, le Cadre d’action de Sendai de 2015 appelle non seulement à la réalisation d'exercices d'évacuation, mais souligne également de manière fort utile, la nécessité de mettre en place des systèmes de soutien de proximité pour les personnes déplacées par une catastrophe, notamment l'accès à des lieux sûrs, à des vivres et autres secours essentiels en vue « d’assurer la rapidité et l’efficacité des interventions en cas de catastrophe et de déplacement de populations ». De la même manière, les Lignes directrices de 2007 de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge attirent notre attention sur le fait que les « personnes déplacées » peuvent constituer un groupe particulièrement vulnérable et avoir des besoins spécifiques lorsqu’elles se trouvent dans un contexte de catastrophe. Cependant, il semble que relativement peu de cadres nationaux de DRM abordent directement cet ensemble plus large de préoccupations liées au déplacement, du moins dans les Amériques.

En général, les cadres de DRM offrent un bon point de départ pour faire face aux déplacements internes dans les contextes de catastrophes. Dans ce type de situation, le déplacement est si étroitement lié aux autres impacts d'une catastrophe que la création d'un nouveau cadre (indépendamment du cadre de DRM déjà établi) pour traiter spécifiquement de la question des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) suite à une catastrophe, risque d’aboutir à la duplication ou à la fragmentation des politiques. Il n'est pas non plus nécessaire que le champ de la DRM s’approprie directement la terminologie du déplacement interne ou celle des PDI. Mais le contenu des normes de protection des PDI est important, et les lois et politiques de DRM doivent être mises à jour pour reconnaître et répondre correctement aux impacts des catastrophes liés au déplacement. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays adoptés par les Nations unies en 1998 offrent un point de référence crucial sur la gamme de besoins potentiels et de normes de droits qui s’appliquent.

Cadres de DRM et mobilité transfrontalière

Les cadres de DRM peuvent également jouer un rôle déterminant dans les contextes de mobilité transfrontalière. Dans la mesure où les cadres de DRM n’établissent habituellement aucune distinction entre ressortissants et non-ressortissants, les migrants qui se retrouvent pris dans une catastrophe sont bien souvent en mesure d’accéder à l'aide offerte dans le pays en question simplement se prévalant du critère de besoin (et les directives[5] MICIC de 2016 préconisent que cette approche soit généralement suivie). Malgré tout, les législations et politiques de DRM au niveau national restent parfois floues et n’indiquent pas si des migrants en situation irrégulière ou sans papier peuvent bénéficier de ce type d’assistance. Toutefois, étant donné le contexte d’urgence et les droits en jeu, le principe de DRM consistant à privilégier le besoin devrait prévaloir sur les préoccupations de statut au regard du droit de l'immigration. De nombreux pays doivent également veiller à une meilleure prise en compte des besoins spécifiques des migrants dans leurs plans nationaux de réponse aux catastrophes.

Dans ce domaine, la question qui est moins bien comprise est celle des cadres de DRM et de la possibilité de s’y référer pour motiver l'entrée ou le séjour légal de personnes fuyant des conditions de catastrophe dans un autre pays. Les préoccupations concernant les mouvements transfrontaliers de personnes font sans aucun doute partie intégrante des cadres internationaux de DRM, toutefois, dans la plupart d’entre eux, les dispositions relatives aux mouvements transfrontaliers visent principalement à faciliter le déplacement des personnels de secours dans l'État touché par la catastrophe, plutôt qu'à faciliter la fuite ou l'évacuation des personnes hors de ce territoire[6].

Ces instruments internationaux admettent que l’octroi de mesures spéciales en termes d’exigences de visa et d'entrée s’appliquant aux personnels de secours peut être soumis à des intérêts étatiques, tels que la sécurité nationale et l'ordre public. Cependant, ils soulignent également que toute mesure visant à sauvegarder les intérêts de l'État devrait, selon les termes des Lignes directrices de 2007 du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, « être adaptée aux exigences de la catastrophe donnée, et en adéquation avec l’impératif humanitaire de répondre aux besoins des populations touchées ». En d'autres termes, dans le contexte d'une catastrophe, la nécessité pour les États de s’efforcer de garantir la compatibilité de leurs contrôles en matière d’immigration avec les exigences de secours humanitaire est un principe pertinent.

En effet, au cours des dix dernières années, ce principe de DRM a commencé à influencer les politiques relatives au mouvement des personnes dans le sens inverse, c'est-à-dire des personnes qui fuient un État touché par une catastrophe pour chercher à être admises ou à rester dans un autre pays. Plus précisément, ces dernières années, plusieurs forums régionaux de DRM ont reconnu la nécessité de faire en sorte que les cadres de DRM intègrent des mesures pratiques pour répondre à ce type de déplacements transfrontaliers. Par exemple, le Plan 2014-19 de l'entité régionale de coordination des catastrophes d'Amérique centrale, le CEPREDENAC, lui demande de promouvoir des « mécanismes garantissant la protection internationale des migrants en cas de catastrophes ». De même, la CDEMA, l'entité régionale de coordination des catastrophes de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), propose l'adoption de « dispositions pour l'accueil des personnes déplacées en provenance des États [sinistrés] » au niveau régional et dans les politiques nationales.

Bien évidemment, les cadres de DRM ne sauraient remplacer la loi sur l'immigration lorsqu’il s’agit de réglementer le domaine appartenant au contrôle de l'immigration. Cependant, dans un souci de cohérence juridique et politique, les cadres régissant l'immigration – lorsqu'ils sont appliqués à des contextes de catastrophe – devraient chercher à être compatibles avec l'impératif d'urgence qui prévaut en matière de secours aux sinistrés, en facilitant, non seulement, l'aide d'urgence, mais aussi, si nécessaire, l'admission des personnes touchées par la catastrophe. En outre, dans la mesure où les cadres internationaux de DRM mettent l'accent sur la coopération entre l'État touché par la catastrophe et les autres États, ils offrent une base pour développer davantage d’interventions pratiques conjointes pour gérer la mobilité transfrontalière dans les contextes de catastrophes. Par exemple, plusieurs pays des Amériques ont conclu des accords bilatéraux avec leurs voisins pour établir des mécanismes et des politiques afin d’aider leurs systèmes respectifs de réponse aux catastrophes et de gérer conjointement les déplacements transfrontaliers dans le contexte de catastrophes (par exemple, Colombie-Équateur, Équateur-Pérou, Costa Rica-Panama).

Conclusions

La législation et les politiques de DRM ont un rôle important à jouer dans l'élaboration de la réponse à la mobilité dans les contextes de catastrophes. La DRM offre à un État touché par une catastrophe un cadre de référence composé de règles et de mécanismes en vigueur lui permettant de faciliter les mesures d'évacuation et d’élaborer une réponse aux autres impacts de la catastrophe sur la mobilité (y compris en ce qui concerne les migrants pris dans une catastrophe). Une loi ou une politique à part entière spécifique aux personnes déplacées n'est peut-être pas nécessaire, tant que le cadre national de DRM aborde ces impacts de manière adéquate. En attendant, des pays comme la Colombie, qui disposent déjà d'une loi ou d'une politique autonome spécifique aux personnes déplacées touchées par un conflit, devront veiller à harmoniser les cadres de DRM et ceux qui traitent de la situation des PDI[7].

Pour ce qui touche à la mobilité transfrontalière dans les situations de catastrophe, les cadres de DRM jouent un rôle légèrement différent. Les cadres d'immigration conservent la primauté pour juger des questions d'admission et de séjour des non-ressortissants. Mais la recherche d’une cohérence juridique et politique implique également que, lorsqu'une catastrophe frappe un autre État de la région, les cadres nationaux d'immigration des autres États soient élaborés et appliqués en tenant compte de l'impératif d'urgence des secours en cas de catastrophe qui sous-tend la législation et la politique de DRM. Bien entendu, pour les migrants transfrontaliers qui sont touchés par une catastrophe dans le pays où ils se trouvent, les principes de DRM doivent prévaloir dans la réponse nationale aux catastrophes.

Pour finir, l'importance de la coopération entre les États en matière de réponse aux catastrophes sous-tend les cadres internationaux de DRM et doit être mise en exergue dans tous ces scénarios. Les autres États ont le droit d'offrir une assistance à un État touché par une catastrophe, notamment pour faire face aux aspects de déplacement interne induits par cette situation. Des accords de coopération interétatiques visant à admettre temporairement ou à accorder un séjour aux personnes qui doivent être évacuées de l'État touché par la catastrophe ou qui ont fui les effets de la catastrophe devraient également être envisagés. Aux Amériques du moins, et comme l'indiquent les exemples présentés ici, les États semblent être disposés à tirer un meilleur parti des lois et des cadres politiques de DRM en vigueur afin de répondre aux conséquences des catastrophes sur la mobilité. Il convient, dans l'intérêt de tous, d’encourager cette tendance au sein des forums de DRM aux Amériques et dans d'autres régions.

 

David James Cantor david.cantor@sas.ac.uk

Directeur, Refugee Law Initiative, School of Advanced Study, Université de Londres.

 

[1] Cantor D J (2015) « Désastres, déplacement et un nouveau cadre aux Amériques », Revue migration forcée numéro 49 www.fmreview.org/fr/changementsclimatiques-desastres/cantor.

[2] Cela semble également faire partie d'une tendance plus large dans les stratégies de DRM. Voir :Yonetani M (2018) « Mapping the Baseline : To What Extent Are Displacement and Other Forms of Human Mobility Integrated into National and Regional Disaster Risk Reduction Strategies? », Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes https://disasterdisplacement.org/portfolio-item/drrmapping

[3] Par exemple, Costa Rica Loi No. 8488 of 2005, Article 30.a

[4] Par exemple, Mexique Loi General de Protección Civil de 2012, réformée en 2017, article 2.XIX.

[5] Migrants in Countries in Crisis (MICIC) Guidelines https://micicinitiative.iom.int/guidelines-protect-migrants-countries-experiencing-conflict-or-natural-disaster

[6] Par exemple, les projets d’articles de 2016 de la Commission du droit international sur la protection des personnes en cas de catastrophe et les Lignes directrices de 2007 du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que dans des traités régionaux tels que la Convention interaméricaine de 1991 visant à faciliter l'assistance en cas de catastrophe et l'Accord de 1991 portant sur la création de la Caribbean Disaster Emergency Response Agency.

[7] Pour une analyse des cadres de DRM dans les pays où les déplacements internes sont provoqués à la fois par des conflits et des catastrophes, voir : Weerasinghe S (2021) « Bridging the Divide in Approaches to Conflict and Disaster Displacement : Norms, Institutions and Coordination in Afghanistan, Colombia, the Niger, the Philippines and Somalia », OIM/ UNHCR https://reliefweb.int/report/world/bridging-divide-approaches-conflict-and-disaster-displacement-norms-institutions-and

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.