Résilience climatique au Rwanda : évaluation de la vulnérabilité face aux risques encourus par les réfugiés et les populations hôtes

Au Rwanda, les réfugiés vivant dans des camps et les populations d’accueil sont souvent exposés à des risques de graves dangers liés au climat. Des recherches récentes évaluent le potentiel des stratégies de réduction des risques climatiques afin de limiter les dommages corporels et les décès, améliorer la santé publique et le bien-être, et préserver les moyens de subsistance.

Les inondations et les glissements de terrain sont deux des aléas les plus meurtriers au Rwanda ; ils causent des dommages corporels, endommagent les biens publics et dévastent les terres productives, tout cela s’accompagnant d’impacts économiques à long terme[1]. Trop souvent, les communautés les plus exposées aux aléas climatiques sont aussi celles qui sont le résilientes. Nombreux sont les camps de réfugiés à travers le monde qui ont une capacité réduite d'adaptation face aux impacts socio-économiques et environnementaux induits par les changements climatiques.

La majorité des quelques 127 000 personnes qui résident dans des camps au Rwanda, ainsi que leurs communautés d'accueil, n'ont pas accès à des moyens de subsistance durables, ce qui a un impact négatif sur leur résilience. Les déplacements prolongés risquent de rendre certains groupes de réfugiés dans les camps particulièrement vulnérables face aux aléas climatiques. La politique du HCR sur les alternatives aux camps préconise d'éviter complètement l’installation de personnes dans des camps et de rechercher d’autres modalités d'accueil[2], mais il est probable que le recours aux camps perdure encore un certain temps. Nous devons donc étudier les moyens de réduire la vulnérabilité des populations installées dans des camps.

Au Rwanda, les contraintes liées à la disponibilité des terres expliquent que les camps de réfugiés soient installés dans des communautés reculées et dans des zones les plus susceptibles de subir des phénomènes météorologiques extrêmes accrus. La forte densité de population et les besoins croissants en terres productives locales ne font qu’exacerber ces problèmes. Le déplacement de populations de réfugiés d'un site établi vers un nouveau site est coûteux et perturbateur, et il n'est entrepris que lorsque le gouvernement et le HCR le jugent nécessaire pour protéger la sûreté et/ou la sécurité des réfugiés et de leurs hôtes. Les camps situés dans des zones à plus haut risque nécessitent que des mesures de réduction des risques soient instaurées de toute urgence pour aider les communautés à mieux résister aux chocs climatiques.

Données, outils et méthodologies

Dans le cadre d’une étude interne menée par les auteurs de cet article[3], nous avons utilisé les données issues d’un système d'information géographique (SIG) pour modéliser les risques d'inondation au Rwanda, puis nous avons procédé à une évaluation pour déterminer les risques d'inondation pour chaque camp de réfugiés[4]. Une étude similaire a examiné la susceptibilité aux glissements de terrain au Rwanda[5]. Nous avons également utilisé des données sur les dommages causés par les catastrophes climatiques publiées par le MINEMA, le ministère chargé de la gestion des urgences, pour aider à valider nos modèles de risques d'inondation et de glissement de terrain.

Lors de l'évaluation des risques liés aux aléas climatiques dans les zones qui accueillent des camps, il est également essentiel de prendre en compte le niveau de résilience des communautés d'accueil. Les planificateurs peuvent s'appuyer sur des ensembles de données qui fournissent des informations locales sur la localisation des ménages pour évaluer la capacité de la communauté d'accueil à faire face aux risques. Nous avons, par exemple, utilisé les enquêtes démographiques et de santé (EDS) de 2020 pour le Rwanda afin d'évaluer les niveaux de pauvreté dans un rayon de 15 km autour de chaque camp. En examinant la répartition des 20 % des ménages rwandais les plus pauvres, nous avons constaté qu'un nombre disproportionné d'entre eux résidaient dans les zones entourant les camps de Mahama et de Mugombwa[6].

Renforcer la résilience aux chocs climatiques

Pour renforcer le niveau de résilience des communautés, il faut examiner simultanément les risques climatiques et les conditions topographiques locales. La meilleure façon de renforcer la résilience aux changements climatiques est de concevoir et de mettre en œuvre des solutions intégrées qui utilisent des mesures relatives à l’infrastructure matérielle et des solutions « fondées sur la nature », alliées à des solutions de gouvernance et des pratiques ancrées dans les communautés[7]. Les investissements dans la réduction des risques liés au climat et aux catastrophes offrent en outre des avantages en termes de développement favorable aux pauvres.

Solutions fondées sur la nature : Alors que le Rwanda s'efforce de suivre la voie d’un « développement vert », des solutions fondées sur la nature – également connues sous le nom de solutions d'infrastructures vertes – pourraient être adoptées dans les districts accueillant des réfugiés afin de renforcer un développement conduisant à la résilience climatique. Les solutions fondées sur la nature sont définies comme « des pratiques durables de planification, de conception, de gestion environnementale et d'ingénierie qui intègrent des caractéristiques ou des processus naturels dans l'environnement bâti afin de promouvoir l'adaptation et la résilience »[8]. Il a été prouvé que ces solutions contribuent non seulement à atténuer les effets des changements climatiques, mais aussi à réduire les risques d'inondation et de glissement de terrain, à prévenir l'érosion des sols, à améliorer la qualité de l'eau, à protéger les zones humides et à ajouter des espaces de loisirs dans les paysages urbains.

Au Rwanda, cela peut prendre la forme de systèmes de collecte des eaux de pluie, de restauration des voies de drainage naturelles, d’enlèvement des débris dans les couloirs de crue, de restauration des zones humides, de protection des bassins versants et des zones forestières protégées, et d’introduction de variétés de cultures résistantes à la sécheresse. Dans les zones inondables de Kigali et d'autres districts accueillant des réfugiés (Gatsibo, Karongi, Nyamagabe, Gisagara, Kirehe, et, plus anciennement, Gicumbi), les solutions naturelles peuvent contribuer à stocker les eaux de crue, à réduire le ruissellement, à filtrer les polluants et à permettre à l'eau de s'infiltrer dans le sol. Parmi les autres avantages des solutions fondées sur la nature, il est possible d’inclure la réduction de la chaleur urbaine et de la pollution atmosphérique, l'amélioration de la santé et du bien-être mental, la promotion de l'habitabilité dans le paysage urbain et le renforcement de la biodiversité et de la richesse des espèces.

Les solutions relatives aux infrastructures matérielles : Dans les districts rwandais accueillant des réfugiés, les mesures structurelles peuvent inclure la construction de chenaux de dérivation, l'approfondissement des canaux, la création de réservoirs et l'établissement d'infrastructures publiques. Par exemple, des bâtiments publics bien construits, tels que des écoles, pourraient accueillir temporairement des victimes de catastrophe. En outre, la construction de réservoirs, de canaux et de systèmes de collecte des eaux de pluie peut réduire les dégâts causés par les eaux de pluie, permettre de stocker l'eau de manière à intensifier l'agriculture irriguée et répondre aux besoins en eau de la population.

Solutions basées sur la gouvernance : Les solutions basées sur la gouvernance comprennent l'investissement dans les financements climatiques et l'établissement de réglementations, de politiques et de plans appropriés. Ces éléments sont essentiels à la mise en œuvre des stratégies d'adaptation aux changements climatiques et de réduction des risques de catastrophe, et doivent être soutenus par les parties prenantes locales, nationales et internationales, telles que les ONG locales, les dirigeants communautaires, la société civile, le MINEMA, le HCR et autres. Les plans et programmes du gouvernement rwandais reflètent ce soutien à la gouvernance et cette volonté politique. Les solutions supplémentaires basées sur la gouvernance qu’il convient d’envisager peuvent inclure : a) un financement accru pour renforcer les capacités des communautés à résister aux impacts des changements climatiques, b) l’inclusion de données sur les réfugiés et les communautés d'accueil lors de la réalisation d'évaluations rapides et détaillées de l'impact des catastrophes, c) le renforcement des systèmes d'alerte précoce locaux et nationaux, et d) la mise en place de processus détaillés de planification de la résilience, notamment des estimations de coûts, des études systématiques fondées sur des données factuelles, et la participation des communautés.

Solutions fondées sur les communautés : Les stratégies de réduction des risques climatiques doivent impliquer la participation des communautés de la conception et la planification d’un projet jusqu'à sa mise en œuvre, son suivi et son évaluation9. Dans la mesure du possible, les groupes locaux pourraient lancer des campagnes de dialogue public et de sensibilisation communautaire afin de favoriser l'échange d'informations au niveau local. Ces campagnes pourraient inclure des ateliers communautaires dans les différents districts accueillant des réfugiés afin de cartographier les risques et de préparer des plans d'urgence détaillés. Toutes les parties prenantes locales, y compris les réfugiés, devraient participer aux efforts de restauration des paysages, de conservation de la biodiversité et d'atténuation des changements climatiques menés par les communautés. Par exemple, les associations communautaires composées de réfugiés pourraient lancer des projets de boisement ou de reboisement.

Réduction des risques et camps de réfugiés

À mesure que s’intensifient les impacts du réchauffement climatique au niveau mondial, les réfugiés résidant dans des camps deviendront plus vulnérables. Nous recommandons aux agences concernées de procéder à des évaluations détaillées des infrastructures matérielles, ainsi que des solutions basées sur des infrastructures douces (fondées sur la nature) dans les districts rwandais accueillant des réfugiés, en vue de réduire les risques d'inondation, de minimiser les glissements de terrain et d'augmenter la productivité agricole.

Bien que nous soyons tout à fait conscients de la myriade de facteurs concurrents à prendre en compte dans le choix de l’emplacement des camps de réfugiés (y compris les considérations politiques, la disponibilité des terres et la proximité de la frontière), il n’en reste pas moins que les planificateurs de sites devraient procéder à un examen global de la vulnérabilité de ces sites face aux aléas naturels et climatiques. Lors des débats sur les sites potentiels, l'imagerie satellite, les outils géospatiaux et les méthodes d'analyse décisionnelle peuvent aider les gouvernements hôtes et le HCR à prendre en considération les preuves empiriques d'exposition des sites aux risques. Des investissements locaux et adaptés, destinés à renforcer la résilience pourraient améliorer le bien-être des réfugiés, comme de leurs hôtes.

 

Nfamara K Dampha damph002@umn.edu @Dr_Dampha

Consultant de la Banque mondiale, ancien membre du Centre conjoint de données sur les déplacements forcés de la Banque mondiale et du HCR.

 

Colette Salemi salem043@umn.edu @colette_salemi

Doctorante en économie appliquée, Université du Minnesota

 

Wendy Rappeport rappepor@unhcr.org @wrappen

Responsable principale Développement, HCR Rwanda

 

Stephen Polasky polasky@umn.edu @JPLab_UMN

Professeur Regents et titulaire de la chaire professorale Fesler-Lampert d'économie écologique/environnementale, Université du Minnesota

 

Amare Gebreegziabher gebreega@unhcr.org @AmareGebreegzi1

Coordinateur principal Énergie et environnement, HCR Rwanda

 

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Banque mondiale, du HCR ou du Centre conjoint des données sur les déplacements forcés.

 

[1] Mugagga F, Kakembo V et Buyinza M (2012) « Land use changes on the slopes of Mount Elgon and the implications for the occurrence of landslides », Catena, 90, 39-46. https://doi.org/10.1016/j.catena.2011.11.004

[2] HCR (2014) Politique du HCR sur les alternatives aux camps opendocpdf.pdf (refworld.org)

[3] Veuillez contacter les auteurs pour accéder à l'étude et aux cartes relatives aux risques d’inondation.

[4] Dampha N K, Salemi C, Polasky S et Egziabher A G (2021) « Refugees and host communities' vulnerability to climate and disaster risks in Rwanda : an integrated GIS-based remote sensing approach », Document de travail.

[5] Nsengiyumva J B, Luo G, Nahayo L, Huang X et Cai P (2018) « Landslide Susceptibility Assessment Using Spatial Multi-Criteria Evaluation Model in Rwanda », International Journal of Environmental Research and Public Health, 15(2) https://doi.org/10.3390/ijerph15020243.

[6] DHS Rwanda dataset www.statistics.gov.rw/datasource/demographic-and-health-survey-dhs

[7] WWF (2016) Natural and Nature-based Flood Management: A Green Guide www.worldwildlife.org/publications/natural-and-nature-based-flood-management-a-green-guide

[8] FEMA (2021) Building Community Resilience With Nature-Based Solutions : A Guide for Local Communities. June, 1-30.
www.fema.gov/sites/default/files/2020-09/fema_Riskmap-nature-based-solutions-guide-2020_071520.pdf

L'analyse présentée dans cet article a été réalisée alors que Nfamara K Dampha était membre du Centre conjoint des données sur les déplacements forcés de la Banque mondiale-HCR, à Copenhague.

 

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