Le Groupe de haut niveau chargé de la question des déplacements internes : une vision d'avenir sur les changements climatiques et les catastrophes ?

Le récent rapport du Groupe de haut niveau chargé de la question des déplacements internes examine l'impact des catastrophes et des effets néfastes des changements climatiques sur le déplacement interne, et appelle à une action immédiate et à une meilleure planification en amont. Certains commentateurs, tout en reconnaissant le travail de fond effectué par le Groupe, se demandent si le rapport va suffisamment loin.

Le Groupe de haut niveau chargé de la question des déplacements internes (ci-après le Groupe) a été créé par le Secrétaire général des Nations Unies en 2019 pour identifier des recommandations concrètes sur la manière de mieux prévenir, répondre et trouver des solutions à la crise mondiale du déplacement interne[1]. Il a été chargé de contribuer à faire progresser « la collaboration entre les acteurs de l'humanitaire, du développement et, le cas échéant, de l'adaptation au changement climatique, de la réduction des risques de catastrophe et de la paix », et a reçu des contributions issues de consultations sur les déplacements dus aux catastrophes dans des régions spécifiques[2] et d'organes tels que la Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (Platform on Disaster displacement – PDD) et la Plateforme sur le climat, les migrations et les déplacements (Climate, Migration and Displacement Platform – CMDP)[3].

Le 29 septembre 2021, le Groupe a publié son rapport, Éclairage sur les déplacements internes : Une vision pour l'avenir[4]. Le rapport met en évidence l'impact dévastateur des catastrophes et des changements climatiques, et vise à susciter une dynamique politique et à fournir des directives pour relever les défis que pose le déplacement interne. Il souligne notamment que « beaucoup des pays les plus exposés aux effets des changements climatiques font partie de ceux qui émettent le moins d’émissions » (p.48). Le Groupe a conclu que la crise mondiale du déplacement interne est aggravée par la crise climatique mondiale concomitante, et que les tendances en termes de catastrophes et de changements climatiques placent la communauté internationale face à des défis urgents en matière de déplacement, ainsi qu'à un besoin pressant de planifier l'avenir.

Recommandations : prévention, solutions ou les deux ?

Cependant, malgré le double défi de l'urgence immédiate et de la planification pour l'avenir, les recommandations spécifiques du Groupe se trouvent presque toutes dans le chapitre intitulé « Renforcer la prévention ». Reconnaissant que le Groupe s'est concentré sur les solutions et qu'il n'a donc « pas examiné de manière aussi approfondie la question de la prévention », le rapport considère principalement les effets des catastrophes et des changements climatiques en analysant les mesures qui devraient « être prises d’urgence pour prévenir et atténuer les risques de déplacement » (p.49), plutôt que d'envisager la façon d’apporter des solutions à des situations existantes, et parfois prolongées, et en rapport avec des facteurs environnementaux.

Une telle approche a suscité des réticences parmi la société civile et les experts en la matière. Tout en saluant le travail du Groupe, certains considèrent que le Rapport ne parvient pas à cerner le sujet comme une question de justice climatique, ou que les changements climatiques ont été traités de manière « superficielle »[5] dans le Rapport, ce qui représente une occasion manquée de contribuer à combler les lacunes en matière de protection. D'autres ont exprimé leur inquiétude quant au fait que cette manière de présenter les choses pourrait « renforcer l'idée erronée selon laquelle [les déplacements dus aux catastrophes] sont rarement, voire jamais, prolongés et qu'ils nécessitent un moindre degré de volonté politique et moins d'investissements soutenus dans des solutions durables que les déplacements déclenchés par les conflits et la violence ». Cette manière de présenter les choses pourrait également contribuer à reléguer la question au domaine des solutions techniques, au lieu de souligner la nécessité de mieux l'intégrer dans une planification nationale et des processus politiques plus vastes, ainsi que dans les cadres multilatéraux[6].

Il peut valoir la peine de garder à l'esprit que le rapport s'articule autour du concept d'interconnexion et de la nécessité de travailler simultanément à la prévention, aux réponses et aux solutions durables. En tant que telle, l’importance qu’il accorde à la prévention n'implique pas nécessairement un cloisonnement strict et une indifférence à l’égard de la protection et de la recherche de solutions. Le chapitre central intitulé « Trouver des solutions durables : un impératif » fait référence aux catastrophes et aux changements climatiques, notamment lorsqu’il aborde la nécessité d'actions plus cohérentes et mieux coordonnées. Le chapitre sur la prévention, lui-même, s’intéresse également à l'interconnexion entre la prévention et les solutions. Par exemple, en soulignant les lacunes et les insuffisances du financement climatique (en termes de couverture, de quantité, de mécanismes et d'opportunités), le rapport demande instamment qu'un financement plus important soit consacré à des interventions d'adaptation climatique sensibles aux déplacements. En dénonçant le manque d'investissements financiers dans la prévention, le Groupe appelle à investir davantage dans des outils d'anticipation fondés sur des données factuelles, tels que le financement basé sur les prévisions. De même, tout en discutant la nécessité de renforcer les investissements et le soutien aux mécanismes d'alerte précoce et aux initiatives communautaires de prévention, le rapport souligne que « lorsqu’il n’existe pas d’autres solutions, les États devraient faciliter la migration hors des zones à haut risque ou procéder à une réinstallation planifiée avec le consentement et la participation des communautés concernées » (pp.52-55).

Achever le travail du Groupe : catalyser l'action pour parvenir à des solutions

Néanmoins, le rapport aurait pu examiner plus attentivement les étapes programmatiques nécessaires à différents niveaux pour assurer la protection des personnes et proposer des solutions durables dans les contextes de déplacement liés aux catastrophes et aux changements climatiques. Il aurait été extrêmement utile d’explorer de manière plus approfondie la manière dont les recommandations du Groupe en termes de solutions pourraient être rattachées à la spécificité des situations de déplacement liées aux catastrophes et aux changements climatiques. En effet, le rapport peut, par inadvertance, laisser entendre que la programmation des solutions est une préoccupation qui concerne principalement les situations liées aux conflits et à la violence, alors que des ressources récemment publiées soulignent la nécessité d'inclure des considérations sur les changements climatiques et les catastrophes à la planification globale des solutions au déplacement. La stratégie nationale du Bangladesh sur le déplacement interne, par exemple, souligne la façon dont chacune des trois solutions durables présente un ensemble spécifique de contraintes, de dynamiques, d'opportunités et de paramètres de planification dans les situations de déplacement interne liées aux changements climatiques et aux catastrophes. Le HCR réfléchit et prend également en compte ce niveau de complexité programmatique[7].

Sans aucun doute, on aurait pu en dire beaucoup plus sur la manière dont les mécanismes proposés par le Groupe pourraient avoir un impact positif. De toute évidence, compte tenu des commentaires formulés ci-dessus, il aurait fallu établir un lien plus clair entre le Fonds mondial pour les solutions au déplacement interne qui est recommandé et le financement basé sur les prévisions. De même, le rapport aurait pu mieux expliquer le rôle de la fonction de responsable de haut niveau de l’ONU dans le cadre de déplacements liés aux catastrophes et au changement climatique[8] qui a été suggérée. Il en va de même pour la plupart des recommandations et des principes énoncés dans le chapitre principal du rapport, comme la nécessité de trouver de nouveaux moyens de susciter et de maintenir la volonté politique, tant au niveau national qu'international, ou l'appel du Groupe à accroître considérablement les possibilités d'échange et d'apprentissage entre pairs, notamment par un meilleur partage des données et des preuves entre les États.

La planification de solutions dans le contexte des déplacements liés aux catastrophes et au climat est peut-être l'un des principaux domaines thématiques dans lesquels il convient de poursuivre les travaux afin de présenter une « vision de l'avenir » qui soit clairement à la hauteur de nos objectifs et adaptée aux défis déterminants de notre époque. Toutefois, il est important de noter que le rapport et ses recommandations n'avaient pas pour objectif de fournir toutes les réponses en même temps. Il est encore possible d'ajouter des recommandations, d'étoffer des détails et d'intégrer d'autres perspectives. À la suite de la publication du rapport, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a, en particulier, inauguré un processus visant à élaborer un programme d'action sur le déplacement interne[9]. Ce programme d'action vise à détailler les engagements de l'ONU pour prévenir et trouver des solutions durables aux déplacements internes, tout en garantissant l'assistance et la protection aux personnes déplacées. Tout en prenant le rapport du Groupe de haut niveau comme point de départ, ce programme d'action devrait également se rattacher aux priorités du Secrétaire général, en particulier à son programme commun. Le Programme d'action pourrait accorder davantage d’attention aux situations de déplacement dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques. Il pourrait aider à éclaircir le rôle des institutions de l'ONU et à renforcer leurs capacités dans ce domaine, tout en énumérant des engagements concrets, des collaborations et des plans pour favoriser la recherche de solutions. En tant que tel, le programme d'action pourrait également générer un élan pour que d'autres parties prenantes, en particulier les États et la société civile, s’engagent sur les déplacements liés aux catastrophes et aux changements climatiques.

 

Jerome Elie jerome.elie@icvanetwork.org @ElieJee

Chef – Migration forcée, Conseil international des Agences Bénévoles (ICVA)

 

[1] Mandat du Groupe de haut niveau sur le déplacement interne (2021) www.un.org/internal-displacement-panel/sites/www.un.org.internal-displacement-panel/files/tor_of_the_panel.pdf

[2] Par exemple, voir Pacific Regional Consultation on Internal Displacement: Pacific perspectives and practices on climate change and disaster displacement, 11 février 2021 https://www.un.org/internal-displacement-panel/sites/www.un.org.internal-displacement-panel/files/record_of_discussions_hlp_internal_displacement_pacific_consultation_final.pdf

[3] Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (2020) Internal Displacement in the Context of Disasters and the Adverse Effects of Climate change: Submission to the High-Level Panel on Internal Displacement https://www.un.org/internal-displacement-panel/sites/www.un.org.internal-displacement-panel/files/27052020_hlp_submission_screen_compressed.pdf ; Plateforme Climat, Migration et Déplacement (2020) Addressing the Impact of Climate Change on Internally Displaced People: Submission to the High-Level Panel on Internal Displacement https://www.un.org/internal-displacement-panel/sites/www.un.org.internal-displacement-panel/files/published_cmdp_submission.pdf

[4] www.internaldisplacement-panel.org

[5] Voir : Aycock B, Jacobs C et Mosneaga A (octobre 2021) « Justice or Charity? Climate Change in the UN High-Level Panel on Internal Displacement Report », Researching Internal Displacement https://researchinginternaldisplacement.org/short_pieces/justice-or-charity-climate-change-in-the-un-high-level-panel-on-internal-displacement-report/ (en anglais). ; Tweet de Kayly Ober, Refugees International, 29 septembre 2021 https://twitter.com/KaylyOber/status/1443232318697709579?s=20

[6] Observatoire des situations de déplacement interne (2021) Building on the momentum : Building on the momentum: IDMC’s commitment to carry forward recommendations by the UN Secretary-General’s High-Level Panel on Internal Displacement, p.5 www.internal-displacement.org/publications/building-on-the-momentum

[7] HCR (2021) Practical Guidance for UNHCR Staff on IDP Protection in the Context of Disasters and the Adverse Effects of Climate Change www.unhcr.org/617170734.pdf

[8] Alors que le rapport du Groupe avait suggéré la création d'un représentant spécial du Secrétaire général (RSSG), les développements ultérieurs suggèrent plutôt la nomination éventuelle d'un conseiller spécial sur les solutions au déplacement interne.

[9]www.un.org/en/pdfs/Draft%20SG's%20Action%20Agenda%20pour%20consultation_pour%20dissémination.pdf

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.