Mettre les principes en pratique : les enseignements provenant des Fiji à propos des réinstallations planifiées

Les Directives des Fidji en matière de réinstallation s'appuient sur l'expérience du pays en matière de planification des réinstallations et peuvent servir de guide pour d’autres États confrontés à des défis similaires.

En novembre 2020, le Premier ministre Frank Bainimarama a officiellement inauguré le village de Narikoso, nouvellement relocalisé sur l'île d'Ono, aux Fidji. Dans le cadre de ce projet, sept ménages ont été déplacés vers des logements résistants aux tempêtes, situés sur des terrains plus élevés, afin d'éviter les inondations récurrentes dues à la montée du niveau de la mer et aux ondes de tempête. Narikoso n'est que l'un des 48 villages identifiés par le gouvernement comme nécessitant une relocalisation partielle ou totale en raison de circonstances liées au climat, et il y a plus de 800 autres communautés susceptibles d'être exposées à des dommages ou à des déplacements à l’avenir.

L'expérience des Fidji concernant la réinstallation physique de communautés a éclairé l'élaboration de deux nouvelles séries de Directives - sur les réinstallations planifiées[1] (2018) et sur le déplacement dans le contexte des changements climatiques et des catastrophes[2] (2019). Alors que de nombreux États dans le monde cherchent à élaborer des politiques similaires, il est important de tirer les enseignements des premiers pays ayant adopté de telles mesures comme les Fidji afin de voir ce qui devrait être reproduit, ainsi que les problèmes à résoudre. Alors que les relocalisations sont présentées comme une option de dernier recours, le processus d'identification des communautés à risque et d'engagement avec elles peut constituer un élément important pour l’atténuation des facteurs de risque, ce qui permet ainsi aux communautés de rester plus longtemps là où elles sont, ou de trouver des solutions plus durables après leur déplacement.

Ces deux directives encadrent désormais la gouvernance des réinstallations et des mobilités climatiques partout aux Fiji. L'objectif de ces documents n’était pas de définir des procédures opérationnelles normalisées, qui font l'objet d'un document distinct, mais d'établir des principes généraux pour guider les acteurs clés au cours du processus de relocalisation. Les Fidji se sont inspirées des cadres internationaux existants pour les élaborer. Une première version des directives de relocalisation montrait une intention de fournir des orientations conformes aux Principes directeurs des Nations Unies sur le déplacement interne de 1998[3]. La version finale supprime la référence directe aux Principes directeurs mais en conserve l’essence. À remarquer également, la référence faite aux principes figurant dans les Objectifs de développement durable, le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes, la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ainsi que celle de multiples autres conventions sur les droits de l'homme.

Il est important de noter que les directives des Fidji ont été conçues comme des documents vivants qui encouragent un processus d'apprentissage itératif dans lequel des améliorations sont constamment apportées aux principes guidant la relocalisation. Il sera indispensable pour tout acteur s'engageant auprès de communautés susceptibles de devoir se déplacer de tirer des enseignements et d’adapter les pratiques afin qu’elles reflètent la spécificité de différents contextes. Pour parvenir à des solutions durables, la planification des relocalisations potentielles doit tenir compte des besoins des communautés affectées, des capacités des acteurs qui dirigent le processus et des spécificités du contexte local.

Il convient de noter que sans la volonté politique de poursuivre et de mettre en œuvre des politiques relatives aux mobilités climatiques, il est à prévoir que rien ne se produira. Il ne s'agit pas seulement de la volonté d’agir, mais de la volonté de s'appuyer sur les lois, les normes et les principes déjà en vigueur pour adopter des normes émergentes en matière de pratiques optimales. Si les idées contenues dans les Directives des Fidji ne sont pas uniques, la manière dont elles allient les lois, les normes, les canons et les principes existants, et les appliquent à ce domaine émergent est unique. Les autres acteurs pourront s'en inspirer pour modéliser leurs propres interventions.

Tirer les leçons issues de l'expérience des Fidji

Trois facteurs déterminants figurent en bonne place dans les relocalisations réalisées à ce jour aux Fidji : disposer d’un endroit où se déplacer, compter sur la participation active des personnes concernées, avoir la volonté et la capacité de financer ces projets.

Tout d'abord, il y a fort à parier que la durabilité des solutions dépende de l'existence d'un site de relocalisation approprié. Cette adéquation peut à son tour dépendre des questions suivantes : les propriétaires traditionnels ont-ils la possibilité de maintenir des liens avec leurs terres ancestrales en se déplaçant sur de courtes distances ? Les communautés peuvent-elles rester ensemble dans les nouveaux emplacements ? Les résidents peuvent-ils se permettre de se déplacer ? Et, les communautés hôtes sont-elles disposées à accueillir ceux qui se déplacent ? Lors de la réinstallation de Narikoso, la communauté a dû être séparée. Seuls sept ménages ont pu s'installer sur le nouveau site, l’intention étant que le reste de la communauté se déplace ultérieurement sur un site adjacent[4]. Des séparations de ce type, lorsqu’elles affectent des communautés très soudées, diminuent les chances de mise en place de solutions véritablement durables.

Le deuxième point repose sur l'importance d’une participation active. Pour que les réinstallations aient les meilleures chances de succès, les personnes doivent pouvoir contrôler les processus décisionnels qui les concernent[5]. Dans le cadre des réinstallations qui ont eu lieu aux Fidji, les personnes concernées ont exprimé différents degrés d'engagement et de satisfaction par rapport aux résultats obtenus. Bien que le processus de relocalisation de Vunidogoloa ait été initialement présenté comme participatif, les membres de la communauté se sont par la suite inquiétés du fait que les décisions avaient souvent été prises entre les entrepreneurs et le gouvernement sans qu’ils aient été consultés. La relocalisation de Narikoso a débuté avant l'introduction des nouvelles directives de relocalisation et a connu des problèmes similaires dans un premier temps. La communication entre les fonctionnaires et la communauté s'est améliorée au fur et à mesure de l'avancement du projet, mais il reste encore à voir si le seuil de la pleine participation a été atteint.

L’exclusion des femmes lors des discussions s’est avérée être un problème récurrent lors de ces processus. À Vunidogoloa, les maisons, une fois terminées, ne comprenaient pas de cuisine. Lors des entretiens menés après la relocalisation, les femmes de la communauté ont indiqué qu'elles n'avaient pas été consultées et qu'elles avaient dû se plier à ce que les hommes avaient décidé. Le consentement et la participation active doivent refléter pleinement la communauté en question, et prendre notamment en considération les voix des personnes vulnérables, marginalisées ou négligées.

Il est extrêmement difficile, tant pour les communautés que pour les autorités, de planifier et de décider du moment où des zones particulièrement vulnérables deviennent inhabitables. Dans chaque cas de relocalisation, il a fallu faire face à la tension entre l'obligation de l'État de protéger et d'empêcher les citoyens de se mettre en danger, et le droit des personnes de choisir quand et comment elles abandonnent leurs maisons. Un engagement précoce et efficace auprès des communautés, accompagné de mesures préventives, peut potentiellement éviter les déplacements avant que toutes les options pour rester sur place n’aient été épuisées. 

Le troisième défi concerne le coût financier que représentent des politiques ambitieuses telles que celles-ci. La relocalisation de Narikoso n'a pu être accomplie qu'après l'obtention d'un financement de l'Union européenne, versé par le biais du Fonds allemand de développement, qui a fourni 700 000 des 808 750 euros estimés nécessaires à la relocalisation. Bien que les chiffres définitifs restent flous, on sait que le gouvernement a dépensé environ trois fois plus pour le projet que ce qui était initialement prévu, tandis que la communauté a également dû augmenter de manière significative sa propre contribution pour garantir que la relocalisation puisse être menée à bien[6]. En réponse à ce problème de financement, en 2019, les Fidji ont institué un Fonds fiduciaire pour la relocalisation climatique et les populations déplacées, en partie financé par leur taxe sur l'environnement et l'adaptation au climat, et en partie par des contributions volontaires d'États donateurs, comme la Nouvelle-Zélande. Reste à savoir si ce modèle est capable de financer l’énorme volume de relocalisations et de travaux de prévention que le gouvernement a identifiés.

Cette approche basée sur un fonds fiduciaire semble bénéficier d'un plus grand soutien international que les plans alternatifs, tels que ceux proposés par le Vanuatu. Le Vanuatu est favorable à l'utilisation de processus tels que le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques de la Convention-cadre sur les changements climatiques de l’ONU, qui prévoit le paiement par les pollueurs, de réparations pour les dommages causés. Le Vanuatu s'est toutefois heurté à une résistance internationale, notamment parce que cette approche implique que les États dont les émissions historiques sont les plus élevées soient disposés à reconnaître leur responsabilité à l’égard de la crise climatique. Sans se préoccuper de savoir quel est réellement le modèle le plus adéquat, si des fonds comme celui des Fidji permettent d’ores et déjà d’initier des réinstallations et de garantir la protection des communautés pour l’avenir, la démonstration aura été faite qu’une telle solution vaut la peine d’être imitée par d’autres États.

Même si ces trois facteurs sont pris en compte, chaque relocalisation devra s’adapter à la communauté concernée et s’accompagner d’un soutien à long terme suite à la relocalisation. En bref, il faut donner aux personnes toutes les opportunités de faire leurs propres choix et décider si elles veulent se déplacer, où et quand. Les acteurs gouvernementaux doivent également avoir la volonté et la capacité de planifier, de financer et de mener à bien ces projets conformément aux directives. Faire en sorte de garantir que les réinstallations soient conformes à ces normes ambitieuses n’est pas une tâche aisée ; cependant, si ces normes ne sont pas respectées, il y a fort à craindre que les personnes ne trouvent pas de solutions durables et restent à la merci de formes récurrentes ou prolongées de déplacement.

 

Liam Moore lpm982@uowmail.edu.au @Moore_liam

Doctorant, Université de Wollongong, Australie

 

[1] Ministère de l'économie des Fidji (2018) Planned Relocation Guidelines: A framework to undertake climate change related relocation bit.ly/Fiji-relocation-guidelines-2018

[2] Ministère de l'économie des Fidji (2019) Displacement Guidelines: In the Context of Climate Change and Disasters bit.ly/Fiji-displacement-guidelines-2019

[3] Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale des Fidji (2015) Fiji’s Relocation Guideline (Draft)  www.refworld.org/pdfid/5b72a0c14.pdf (en anglais)

[4] Barnett J et McMichael C (2018) 'The Effects of Climate Change on the Geography and Timing of Human Mobility', Population and Environment 39, no. 4 https://link.springer.com/article/10.1007/s11111-018-0295-5

[5] McAdam J (2014) 'Historical Cross-Border Relocations in the Pacific : Lessons for Planned Relocations in the Context of Climate Change ", The Journal of Pacific History 49 (3) www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00223344.2014.953317.

[6] Tronquet C (2015) 'From Vunidogoloa to Kenani : An Insight into Successful Relocation', The State of Environmental Migration 2015 http://labos.ulg.ac.be/hugo/wp-content/uploads/sites/38/2017/11/The-State-of-Environmental-Migration-2015-121-142.pdf ; McNamara K et des Combes H J (2015) 'Planning for Community Relocations Due to Climate Change in Fiji', International Journal of Disaster Risk Science 6, no. 3 https://link.springer.com/article/10.1007/s13753-015-0065-2

 

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