Stratégies de déplacements et de réduction des risques liées aux catastrophes au sein de l'IGAD

L'analyse des stratégies, des plans et des cadres de RRC des États membres de l'IGAD montre qu’ils font référence aux risques de déplacement et aux besoins de protection qui y sont associés de manière inégale.

Les déplacements consécutifs à des catastrophes constituent un problème récurrent et croissant dans la région de l'IGAD[1]. En 2020, la région a recensé environ 2,3 millions de personnes nouvellement déplacées de force par des catastrophes : une moyenne de 100 000 personnes déplacées par mois. Lorsqu'elles sont correctement conçues et appliquées, les stratégies de réduction des risques de catastrophe (RRC) devraient apporter une solution au risque de déplacement et, le cas échéant, soutenir la protection des personnes déplacées et la mise en place de solutions durables à leur intention.

Les stratégies de RRC conçues conformément au Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (pour 2015-2030) constituent un pilier essentiel pour réduire les risques et renforcer la résilience d'une société face aux aléas liés aux catastrophes et changements climatiques. Elles doivent également clarifier les rôles et les responsabilités du large éventail d'intervenants impliqués dans la gestion des risques de catastrophe (GRC).

La cible (e) du Cadre de Sendai exigeait des pays qu’ils augmentent considérablement leur nombre de stratégies et de plans nationaux et locaux de réduction des risques de catastrophe d’ici à 2020 et qu’ils les accompagnent d’une échelle à dix points afin d’en évaluer la qualité. L'analyse montre que les huit États membres de l'IGAD ont élaboré leurs stratégies, plans et cadres connexes de RRC, ou qu’ils les actualisent conformément au Cadre d’action de Sendai. Le Kenya, la Somalie et l'Ouganda ont mis à jour leurs cadres de RRC. Le Soudan, l'Éthiopie, le Soudan du Sud et Djibouti sont en train de réviser leurs plans, tandis que les progrès réalisés par l'Érythrée ne sont pas clairs. Les stratégies de la Somalie, du Soudan du Sud et du Soudan contiennent des références plus nombreuses au déplacement et à la mobilité humaine, et documentent la façon de gérer le déplacement s'il devait se produire, tandis que dans les cadres stratégiques du Kenya, de Djibouti et de l'Ouganda, les références au déplacement et à la protection des personnes déplacées occupent une place moins importante. Il est possible d’observer ce contraste dans la manière différenciée dont les cadres de ces pays respectifs intègrent les questions de déplacement en se penchant sur les exemples suivants :

La politique nationale de GRC adoptée en 2017 par le Kenya prévoit des mécanismes de gestion proactive des risques par l’atténuation, la préparation et la réponse précoce aux crises. Elle fait référence à la mise à disposition de ressources pour la gestion des risques de catastrophe et à l’attribution de rôles et de responsabilités à différentes parties prenantes, sans toutefois inclure de référence sur la manière dont cela concerne les populations déplacées. Elle énumère divers types de catastrophes qui entraînent des pertes socio-économiques, mais ne mentionne pas les déplacements dus aux catastrophes. D’une manière générale, cette politique ne parvient pas à articuler des mesures claires concernant le déplacement, la réduction du risque de déplacement et la protection des personnes déplacées par les catastrophes. Il n’y apparait aucune mention de la mobilité humaine ou des mesures d'évacuation.

La Somalie est sur le point de finaliser sa politique nationale de gestion des catastrophes. Le projet indique explicitement « que la prévention de nouveaux déplacements et la prise en charge de personnes déjà déplacées », dans le contexte des crises multiformes de déplacement prolongé que connait le pays, font partie des défis les plus importants auxquels la reconstruction de la Somalie doit faire face. La politique somalienne indique clairement « qu’il est essentiel que l’État permette à toutes les personnes déplacées à l’intérieur du pays d'accéder et/ou de faire remplacer tous leurs documents, personnels ou autres et leur propose des recours efficaces en cas de violations de leurs droits suite au déplacement ». Cela est conforme à la loi somalienne de 2016 qui établit un mécanisme de gestion des catastrophes et donne au bureau du Premier ministre la responsabilité de veiller à la protection de toutes les personnes déplacées par des catastrophes. La politique prévoit, en outre, l'évacuation des populations vulnérables en prévision d'une catastrophe et leur inclusion dans les programmes de rétablissement. Les gouvernements des États sont tenus de « veiller à ce que les registres officiels pertinents concernant les titres fonciers, les droits de propriété et de location de biens, la possession de comptes bancaires, etc. soient récupérés ou reconstitués, s'ils ont été détruits, car ils seront essentiels au rétablissement de chaque ménage ». Il est noté, en outre, que le processus de renforcement de la résilience face aux catastrophes futures doit également intégrer les personnes déjà déplacées, car elles sont bien souvent vulnérables à des déplacements secondaires. Par conséquent, la politique somalienne fait largement référence à la migration, à la mobilité et au déplacement des personnes, ainsi qu’aux mesures visant à protéger les personnes déplacées par les catastrophes.

Au Soudan du Sud, le ministère des Affaires humanitaires et de la Gestion des catastrophes est en train de finaliser le plan stratégique de gestion des risques de catastrophes du pays qui donne quelques indications sur son approche de la réduction et de la gestion des risques de catastrophe. La politique remarque que « les migrations et les déplacements internes de populations se sont intensifiés en raison... des catastrophes, des changements climatiques, des phénomènes météorologiques extrêmes et de la concurrence pour les moyens de subsistance », et que la hausse des températures a entraîné des changements dans les schémas de déplacement des éleveurs nomades. Elle décrit en détail la vulnérabilité particulière des personnes déjà déplacées, tant à l'intérieur du pays, qu'au-delà des frontières, en soulignant que la probabilité de nouveaux déplacements est « très élevée » en raison des conflits et des catastrophes dans la région. Ainsi, ce cadre fait largement référence au déplacement et à la protection dans le contexte de catastrophes.

L'Ouganda s’est doté de deux cadres pour orienter les efforts de RRC du pays : sa politique nationale de préparation et de gestion des catastrophes de 2010 et son plan stratégique national pour 2018-2022. Ces cadres prévoient un dispositif de coordination institutionnelle et une stratégie de financement, mais ne font pas spécifiquement référence aux déplacements liés aux catastrophes. Pour accompagner ces cadres, l'Ouganda est actuellement en cours d’élaboration d’un projet de loi de GRC sur la réduction des risques de catastrophe qui comprend des dispositions importantes relatives aux déplacements dus aux catastrophes, telles que la réalisation de profils de risque et l'identification de zones exposées aux catastrophes. Ce projet de loi stipule tout particulièrement que le gouvernement « aidera les personnes affectées à se réinstaller ailleurs dans le cadre d'un arrangement volontaire ».

Conclusions et recommandations

Cette analyse montre qu’il est encore nécessaire de poursuivre la réforme et le développement des cadres de réduction des risques de catastrophe afin de s'assurer que le risque de déplacement et les besoins de protection des personnes déplacées sont traités de manière adéquate. La disparité dans l'utilisation et l'application des concepts de déplacement entre ces pays semble refléter des niveaux de compréhension différents, et suggérer qu’un besoin de sensibilisation est nécessaire aux niveaux politique et décisionnel. Exception faite de la politique de la Somalie, les déplacements internes ou transfrontaliers, ainsi que les besoins de protection des personnes déplacées ne sont pas pris en considération de manière adéquate.

Les pays devraient utiliser le Guide de mise en œuvre intitulé Des paroles aux actes (Words into Action – WiA) sur les déplacements liés aux catastrophes et sa liste de vérification qui vise à garantir une meilleure intégration des risques de déplacement et de protection des populations déplacées[2]. Les pays, tels que le Kenya et l'Ouganda, qui ont déjà élaboré leurs stratégies en accordant une place limitée à l’intégration du déplacement, pourraient décider d’élaborer une annexe à leur cadre afin de mieux y incorporer le déplacement dans le contexte des catastrophes. Une évaluation exhaustive des risques et des systèmes de collecte de données pour le suivi des déplacements devraient figurer dans ces différents documents stratégiques. Leur adjoindre des dispositions concernant le renforcement de la sensibilisation, les systèmes d'alerte précoce, la préparation aux catastrophes et aux évacuations pourrait contribuer à réduire le risque de déplacement lié aux catastrophes.

 

Nicodemus Omoyo Nyandiko nnyandiko@mmust.ac.ke @nomoyo2005

Maître de conférences, Université des sciences et technologies Masinde Muliro

 

[1] Nyandiko N et Freeman R (2020) Disaster Risk Reduction, Climate Change Adaptation and Development Policies and their consideration of Displacement and Human Mobility in the IGAD Region https://disasterdisplacement.org/portfolio-item/drr-cca-development-policies-and-disaster-displacement-human-mobility-in-igad. ; les États membres de l'IGAD sont Djibouti, l'Éthiopie, l'Érythrée, le Kenya, la Somalie, le Soudan du Sud, le Soudan et l'Ouganda.

[2] UNDRR (2018) Des paroles aux actes : Déplacements liés aux catastrophes : Comment en réduire les risques, faire face à leurs répercussions et renforcer la résilience des populations touchées.
www.preventionweb.net/files/58821_disasterdisplacementfrench2.pdf

 

Avis de non responsabilité
Les avis contenus dans RMF ne reflètent pas forcément les vues de la rédaction ou du Centre d’Études sur les Réfugiés.
Droits d’auteur
RMF est une publication en libre accès (« Open Access »). Vous êtes libres de lire, télécharger, copier, distribuer et imprimer le texte complet des articles de RMF, de même que publier les liens vers ces articles, à condition que l’utilisation de ces articles ne serve aucune fin commerciale et que l’auteur ainsi que la revue RMF soient mentionnés. Tous les articles publiés dans les versions en ligne et imprimée de RMF, ainsi que la revue RMF en elle-même, font l’objet d’une licence Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification (CC BY-NC-ND) de Creative Commons. Voir www.fmreview.org/fr/droits-dauteurs pour plus de détails.