Le rôle des accords de libre circulation en réponse à la mobilité induite par le climat

Les accords de libre circulation offrent des opportunités à ceux qui se déplacent dans le contexte de catastrophes et de changements climatiques. Cependant, dans la pratique, il reste beaucoup à faire pour rendre la libre circulation accessible aux communautés touchées.

Les accords régionaux garantissant la libre circulation des personnes entre États peuvent potentiellement offrir à ceux qui traversent les frontières internationales dans le contexte des catastrophes et des changements climatiques des mécanismes leur permettant d'accéder à la sécurité et de rechercher des moyens de subsistance alternatifs. Contrairement à d'autres cadres plus limités de mobilité transfrontalière – tels que les cadres définissant la migration de main-d’œuvre ou la protection des réfugiés – qui exigent de satisfaire à des critères d'éligibilité spécifiques, les accords de libre circulation offrent généralement un accès beaucoup plus large à la circulation transfrontalière aux citoyens de pays appartenant à une même région (ou sous-région) particulière.

Cependant, jusqu'à récemment, les accords de libre circulation n'avaient pas été élaborés pour prendre en compte les besoins spécifiques des « migrants climatiques ». Ils ont plutôt été conçus comme des outils pour faire progresser l'intégration régionale et le développement économique. L'importance accordée aux intérêts politiques et économiques des États dans les accords régionaux de libre circulation signifie que ceux-ci n'abordent généralement pas les problématiques ou les difficultés auxquelles se trouvent confrontées les communautés touchées par les catastrophes, les changements climatiques et la dégradation de l'environnement. Dans la pratique, l'accès à la libre circulation peut impliquer des exigences de documentation onéreuses ou être soumis aux politiques migratoires restrictives de chaque État. La libre circulation peut même être suspendue dans des situations qui impliquent des déplacements à grande échelle, comme à la suite d'une catastrophe.

En Afrique de l'Est, l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development – IGAD) expérimente actuellement une approche plus progressiste de la libre circulation. En 2020, elle a adopté un nouveau protocole de libre circulation, l’IGAD Free Movement Protocol, qui comprend des dispositions spécifiques garantissant l'entrée et le séjour des personnes se déplaçant dans le contexte de catastrophes et de changements climatiques. Le protocole de libre circulation de l'IGAD nous permet d’imaginer ce qui pourrait être possible ailleurs. Des accords régionaux de libre circulation dans d'autres régions pourraient-ils être développés ou appliqués de manière à offrir aux communautés touchées par les changements climatiques de meilleures opportunités d’accéder à la sécurité et de garantir leur subsistance pour l’avenir ?

Opportunités

Les accords régionaux de libre circulation des personnes présentent un certain nombre d'avantages essentiels lorsqu’il s’agit de faciliter la mobilité transfrontalière dans le contexte des catastrophes et des changements climatiques. Outre des critères d'éligibilité peu restrictifs, ils offrent à ceux qui se déplacent des possibilités d'emploi, ainsi que des opportunités de faire du commerce et des affaires. Grâce à ces accords, les personnes touchées par les catastrophes et les changements climatiques pourraient donc bénéficier d’un accès à d'autres sources de revenus sur le long terme et à des moyens de subsistance plus durables.

Dans le cadre d'accords de libre circulation, des règles souples d'entrée et de séjour peuvent faciliter une migration transfrontalière de type « circulaire » en permettant aux personnes d'aller et venir entre pays voisins selon les besoins. Cela pourrait permettre à certaines personnes de rester chez elles, tandis que d'autres partiraient à la recherche d’un emploi ou de moyens de subsistance alternatifs.

La migration circulaire ou temporaire peut générer de nouveaux moyens de subsistance, soutenir le développement économique et renforcer la résilience face aux aléas futurs en permettant aux migrants d'envoyer des fonds et de rentrer chez eux avec des connaissances, des technologies et des compétences nouvellement acquises[1]. Il s'agit là d'un autre avantage de ces accords de libre circulation par rapport aux visas ou mécanismes humanitaires ou de protection internationale, qui sont généralement à sens unique, le retour dans le pays d'origine mettant fin au statut légal dans le pays de destination et pouvant rendre le retour difficile à l’avenir.

Dans la région des Caraïbes, les accords de libre circulation ont été utilisés pendant la saison des ouragans pour accorder aux personnes déplacées des permis de séjour de courte durée, des dispenses de documents, ainsi qu’un accès aux marchés étrangers de main-d’œuvre[2]. En Afrique de l'Ouest, où les changements climatiques ont un impact sur les modalités traditionnelles de déplacement, les travailleurs et les éleveurs utilisent fréquemment les accords de libre circulation pour accéder à l'eau, aux pâturages et à d’autres moyens de subsistance[3].

Le protocole de libre circulation de l'IGAD adopté en 2020 fournit un exemple prometteur de ce qu’il serait possible d’accomplir moyennant des efforts plus résolus pour rendre la libre circulation accessible à ceux qui se déplacent dans le contexte de catastrophes et de changements climatiques. Bien qu’il reste encore à démontrer l'impact réel du protocole, sa seule adoption est déjà un succès notable dans une région confrontée à des mouvements à grande échelle causés par des dangers qui se conjuguent, notamment la sécheresse, les inondations, la violence et les conflits.

Ailleurs, des dispositions spécifiques visant à faciliter la mobilité humaine dans le contexte de catastrophes ou de changements climatiques pourraient être intégrées aux accords de libre circulation, soit en apportant des amendements aux accords existants, soit en concluant des accords ou des protocoles supplémentaires ou complémentaires. En 2019, lors d'un atelier réunissant des parties prenantes et au cours duquel il était question du rôle des accords de libre circulation pour faire face aux déplacements dus aux catastrophes en Afrique, les représentants de plusieurs gouvernements d'Afrique de l'Ouest ont proposé l'idée d'élaborer un protocole additionnel aux protocoles de libre circulation de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)[4].

Les dispositions spécifiques relatives aux catastrophes ou au climat contenues dans les accords régionaux constituent une base solide pour une coopération accrue entre les États, à la fois au niveau régional et/ou bilatéral, afin de répondre aux besoins de ceux qui se déplacent. Toutefois, elles ne constituent pas le seul moyen de rendre la libre circulation plus accessible et plus utile aux communautés touchées par les changements climatiques. Dans de nombreuses régions du monde, les accords régionaux peuvent être renforcés par des dispositifs à plus petite échelle, tels que des accords bilatéraux d'assouplissement des exigences en matière de documentation pour les mouvements de populations dans les zones frontalières entre deux ou trois États. Ces accords offrent aux États la possibilité d'adopter des dispositions transfrontalières plus ciblées et adaptées à la dynamique des déplacements liés aux catastrophes et aux changements climatiques de certaines régions ou populations. L'action unilatérale des États est également importante. Une législation nationale prévoyant un accès prioritaire aux accords de libre circulation après une catastrophe, ou des dérogations aux exigences procédurales pour les populations touchées par les changements climatiques, pourraient, dans la pratique, avoir un impact positif tout à fait significatif.

Défis

À l’évidence, il existe des opportunités évidentes de développer et compléter les accords régionaux de libre circulation afin de les rendre plus accessibles aux personnes qui se déplacent dans le contexte des changements climatiques. Cependant, les origines-mêmes des accords de libre circulation fondés sur le développement économique et la libéralisation du marché sont une source d’obstacles conséquents pour l’adoption généralisée de la libre circulation comme solution à des préoccupations humanitaires telles que la mobilité humaine liée au climat.

Étant donné que les accords de libre circulation n'ont pas été élaborés à des fins de protection, les garanties qu’ils offrent en matière de droits humains à ceux qui se déplacent peuvent être limitées, voire inexistantes. Il est tout à fait possible, par exemple, que les accords de libre circulation ne prévoient aucune protection contre le retour forcé de personnes qui risquent de subir un préjudice grave dans leur pays. Il peut même arriver que les accords de libre circulation soient suspendus dans certaines situations – par exemple, pour des raisons de sécurité nationale, d'ordre public ou même d'afflux de réfugiés[5]. En théorie, les droits humains des personnes qui se déplacent sont protégés par d'autres cadres applicables, qu’ils soient internationaux, régionaux ou nationaux, indépendamment de l’inclusion (ou non) de ces droits dans les textes des accords de libre circulation. Dans la pratique, cependant, l'application des normes relatives aux droits humains dans le cas de migrants en situation de vulnérabilité est souvent mal comprise[6]. Le fait que ces droits soient limités ou absents des accords de libre circulation peut compromettre encore davantage les normes de traitement qu’il convient d’appliquer à ceux qui se déplacent.

Les accords de libre circulation ne tiennent pas non plus compte des difficultés pratiques auxquelles peuvent être confrontées les personnes qui se déplacent dans des contextes de catastrophes et de changements climatiques, notamment celles qui sont déplacées de force. La difficulté que représente l’obligation de respecter les exigences documentaires et financières – documents de voyage, frais de permis ou preuve de poursuite du voyage, notamment – peut exclure les personnes les plus vulnérables face aux catastrophes et aux changements climatiques. Pour les millions de personnes dans le monde qui vivent sans aucune preuve légale de leur identité, la simple obtention d’un passeport ou d’un autre document de voyage valide est extrêmement difficile. 

Enfin, et surtout, les accords de libre circulation laissent à chaque État une discrétion considérable pour limiter ou définir la portée de leurs engagements à faciliter l'entrée et le séjour des citoyens d’États voisins. Dans la pratique, la mise en œuvre des accords de libre circulation est souvent entravée par un manque de volonté politique, des préoccupations de sécurité intérieure et autres inquiétudes, ainsi que par les disparités économiques entre les États.

Les pistes à suivre

Les accords de libre circulation ne sont pas une panacée – ils présentent autant d’opportunités que de défis. En effet, il est nécessaire d'en savoir plus sur le potentiel, ainsi que sur les limites, des différents types d'accords de libre circulation pour faire face à la mobilité humaine liée au climat, ainsi que sur la manière dont les communautés touchées par les catastrophes et les changements climatiques utilisent déjà ces accords en quête de sécurité et de moyens de subsistance plus durables[7]. En conjuguant les différents efforts qui sont faits aux niveaux régional, bilatéral et national, la libre circulation pourrait, toutefois, offrir des solutions meilleures et plus durables aux communautés touchées par des catastrophes et des changements climatiques.

 

Tamara Wood tamara.wood@unsw.edu.au

Chercheuse invitée, Kaldor Centre for International Refugee Law, UNSW ; chercheuse postdoctorale, Hertie School. (extérieure)

 

[1] Initiative Nansen (2015) Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques p.9
https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2014/08/EN_Protection_Agenda_Volume_I_-low_res.pdf

[2] Ama Francis (2019) « Free Movement Agreements & Climate-Induced Migration: A Caribbean Case Study » http://columbiaclimatelaw.com/files/2019/09/FMAs-Climate-Induced-Migration-AFrancis.pdf

[3] Voir, Plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes (2019) Stakeholder Workshop Report – The role of free movement of persons agreements in addressing disaster displacement in Africa https://disasterdisplacement.org/portfolio-item/free-movement-stakeholder-workshop-report.

[4] Ibid

[5] Voir, Tamara Wood (2019) The Role of Free Movement of Persons Agreements in Addressing Disaster Displacement : Une étude de l'Afrique, notamment pages 22 et 27
https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2019/06/52846_PDD_FreeMovement_web-single_compressed.pdf

[6] HCDH (2019) ) Principles and Guidelines, supported by practical guidance, on the human rights protection of migrants in vulnerable situations (Principes et lignes directrices concernant la protection des droits humains des migrants en situation de vulnérabilité) p.9
www.ohchr.org/Documents/Issues/Migration/PrinciplesAndGuidelines.pdf

[7] Voir, par exemple : Research Agenda for Advancing Law and Policy Responses to Displacement and Migration in Context of Disasters and Climate Change in Africa (2021), notamment 3.2.3 https://disasterdisplacement.org/portfolio-item/research-agenda.

 

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