Mexique: des Principes directeurs à la responsabilisation nationale en faveur des droits des PDI

Le gouvernement mexicain a besoin de données chiffrées et concrètes sur le déplacement interne avant de mobiliser les institutions nationales pour élaborer des réponses appropriées.

Le 3 août 2013, le personnel de la Commission nationale des droits de l’homme du Mexique (CNDH) s’est rendu dans la commune de Tlacotepec où, selon les informations des autorités locales, environ 700 personnes issues de différentes communautés avaient été déplacées par crainte de la violence engendrée par le crime organisé.

Dans ce cas, comme dans d’autres cas documentés par la CNDH, être forcé d’abandonner une région, une ville ou un lieu de résidence implique de s'engager dans un périlleux et épuisant voyage, de subir une perte de capital et de connaître l’appauvrissement, le tout dans le contexte d’un futur incertain. Néanmoins, le déplacement peut aussi être porteur d’espoir pour celui qui recherche la protection et la sécurité, et il est parfois entrepris de manière préventive pour éviter le pire.

Au Mexique, la CNDH a recensé des cas de déplacements provoqués par des conflits locaux, des catastrophes naturelles et la violence ainsi que des déplacements probablement dus à de grands projets de développement, au sujet desquels les communautés concernées auraient dû être consultées, mais ce principe de consultation n'avait pas été respecté.

Les personnes déplacées sont immédiatement confrontées à la nécessité de trouver un abri, un hébergement, à boire et à manger; d’assurer leur sécurité physique et celle de leur famille; d’accéder aux conditions d’hygiène de base, ainsi qu’à des services médicaux et psychologiques. Souvent, ces personnes ont abandonné leur domicile  si précipitamment qu’elles n’ont pas emporté avec elles leurs documents d’identité, ce qui limite le plein exercice de leurs droits civils (travail, éducation, sécurité sociale et propriété, entre autres).

À plus long terme, elles devront choisir entre les options suivantes: retourner vivre sur leur lieu d’origine, s’installer dans leur communauté d’accueil ou même se déplacer à nouveau vers une nouvelle destination. Si elles décident de retourner chez elles, elles devront faire face à deux grandes difficultés: découvrir ce qui est arrivé à leur propriété pendant leur absence (ce qui signifie peut-être de découvrir qu’elle n’existe plus ou qu’elle est occupée par  quelqu’un d’autre) et s’adapter à un nouvel environnement social. Si elles décident de s’établir dans leur communauté d’accueil ou de se réinstaller ailleurs, il faudra alors qu’elles s’intègrent à une nouvelle société, où elles devront nécessairement créer de nouveaux réseaux et où elles pourront être confrontées à des situations de rejet ou de discrimination. Le plus grand défi sera de trouver des solutions durables et viables pour les populations déplacées.

De ce fait, le médiateur national mexicain a souligné que «les autorités auront le devoir et la responsabilité d’apporter une protection et une assistance humanitaire aux populations déplacées à l’intérieur du territoire, sans aucune discrimination. Elles devront porter une attention particulière aux personnes les plus vulnérables, à savoir les enfants, les personnes handicapées, les personnes âgées et les femmes.»[1]

Afin de mettre en place une politique publique sur le déplacement interne des personnes, chaque institution nationale devra identifier ses propres responsabilités envers les personnes déplacées et il faudra définir un mécanisme de coordination afin d’éviter le chevauchement des fonctions et de garantir le déploiement d’une intervention d’urgence rapide et efficace.

Actuellement, la plupart des personnes déplacées au sein du Mexique ne sont pas reconnues comme telles et dans la majorité des cas, elles ne sont pas installées dans des camps ou des sites spécialement conçus et équipés pour les déplacés. Au contraire, les personnes sont hébergées dans des familles d’accueil ou dans des abris provisoires. Ces dynamiques de mobilité qui caractérisent les schémas d’installation rendent particulièrement difficiles l’élaboration de statistiques et le suivi des personnes déplacées, une difficulté que vient encore accentuer la réticence des personnes à parler de leur expérience. Étant donné les efforts considérables menés par le gouvernement actuel pour développer des outils permettant de quantifier ce phénomène, il serait recommandable que le Mexique mette en place un programme portant spécifiquement sur le déplacement interne. Ce programme, organisé au sein du cadre juridique mexicain et conformément aux compétences des institutions nationales, prendrait en compte l’opinion des entités de la société civile travaillant dans ce domaine mais aussi des personnes déplacées elles-mêmes. Il devrait également permettre de procéder à une analyse détaillée de la situation et, par là-même, de mettre en relief les vulnérabilités particulières des groupes et des personnes qui devront être ciblés en priorité par des mesures qui leur permettront d’exercer pleinement et véritablement leurs droits fondamentaux.

Pour servir de tremplin à ce programme, il est important de mettre en place un processus national de collecte de statistiques sur le déplacement interne au Mexique en vue d’identifier les schémas, les causes et l’ampleur de ce phénomène. L’établissement de diagnostics est un premier pas vers la reconnaissance du problème et peut jouer un rôle fondamental dans l’élaboration de politiques et de programmes publics efficaces. Dans ce but, il serait bon d’encourager la réalisation d’études permettant d’identifier les problèmes rencontrés pendant le déplacement mais aussi d’analyser les conséquences de ce phénomène sur le plan social, économique, juridique et politique au niveau du pays.

 

Diverses mesures dans le domaine de l’aide juridique doivent également être considérées afin de garantir aux personnes déplacées l’organisation d’une enquête sur les événements qui se sont déroulés, le rétablissement de leurs droits menacés, la défense de leurs propriétés et leur retour volontaire sur leur lieu d’origine dans des conditions de sécurité et de dignité ou, le cas échéant, leur réinstallation. La conception d’un tel programme devrait inclure des activités et des indicateurs permettant son suivi. La participation des autorités municipales et nationales y est d’une importance primordiale car les politiques relatives à cette problématique doivent se fonder sur un sentiment de responsabilité partagée en faveur du développement.

Enfin, en réponse aux récentes vagues de déplacement provoquées par la violence, il est impératif d’élaborer des outils visant à consolider la paix en tant que condition préalable et inévitable à la mise en place de solutions durables.

 

Fernando Batista Jimènez fbj@cndh.org.mx est Cinquième Inspecteur Général de la Commission nationale des droits de l’homme au Mexique. www.cndh.mx



[1] Raul Plascencia Villanueva, président de la Commission nationale des droits de l’homme. www.cndh.org.mx/sites/all/fuentes/documentos/PalabrasRPV/20120305.pdf
(Espagnol uniquement)

 

 

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