Le droit relatif aux catastrophes

Ce sont les lacunes du champ d’application et de la portée géographique du droit international actuel qui motivent la création de nouvelles lois sur les interventions en cas de catastrophe. Il existe également des lacunes dans l’application des normes internationales actuelles, et notamment dans la capacité des lois nationales à traiter les questions juridiques communes qui apparaissent au cours des opérations internationales de secours et de relèvement suite à une catastrophe.

Plusieurs accords internationaux et instruments de droit souple énoncent un grand éventail de réglementations applicables pendant et après le déroulement d’une catastrophe, notamment des dispositions relatives à l’efficacité de l’assistance sur le terrain ou encore la protection des victimes. Par exemple, les personnes qui migrent en conséquence d’une catastrophe survenue dans leur pays d’origine ne sont pas couvertes par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. En revanche, plusieurs accords internationaux prévoient des dispositions relatives aux catastrophes ou à leurs conséquences directes, tels que le Pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou la Convention de 1990 relative aux droits de l’enfant.[1]

En outre, la Convention internationale de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[2] couvre les travailleurs étrangers ayant migré pour des raisons climatiques, même si un moindre nombre d’États l’ont ratifiée.

Parmi les accords régionaux relatifs aux droits humains, on peut citer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, la Convention américaine de 1969 relative aux droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.[3] Aucun de ces traités, ni la Convention de 1969 de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, ne couvre les personnes partant de chez elles en raison ou en anticipation d’une crise à déclenchement lent.[4] Il en va de même pour la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés, datée de 1984.[5] L’Accord de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est sur la gestion des catastrophes et les interventions d’urgence[6], daté de 2005, s’attache aux divers aspects des risques liés aux catastrophes et porte une attention particulière à la prévention et à la migration, mais aussi à la préparation, à l’intervention d’urgence et à la réhabilitation.

Le seul instrument abordant ouvertement les catastrophes provoquées par les changements climatiques est la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique[7] (2012, appelée aussi Convention de Kampala), dans la mesure où elle affirme que les États parties ont l’obligation de prendre des mesures pour protéger et aider les personnes ayant été déplacées dans leur propre pays suite à une catastrophe d’origine naturelle ou humaine, y compris le changement climatique. En outre, la Convention de Kampala impose aux États parties de définir des systèmes d’alerte rapide dans les zones potentielles de déplacement. Grâce à cette disposition et à l’obligation imposée aux États de définir et de mettre en place des stratégies de réduction des risques et des mesures de préparation et de gestion des catastrophes, il est également possible de s’attaquer de manière anticipée à la question du déplacement.

Certains instruments, même s’ils ne sont pas en eux-mêmes juridiquement contraignants, n’en ont pas mois un certain impact politique et pourraient être révélateurs d’une tendance, voire contribuer à l’apparition d’un ensemble de règles de droit coutumier. Ces instruments de droit souple comprennent les Principes directeurs de 1998 relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays[8] et le Cadre d’action de Hyogo 2005-2015 (signé en 2005) inclus dans le rapport final de la Conférence mondiale sur la réduction des risques de catastrophe.[9] De plus, les principes de Pinheiro[10] sont conçus pour fournir des conseils pratiques aux États, aux organismes de l’ONU et à la communauté internationale au sens large sur les meilleures manières d’aborder les questions complexes d’ordre juridique et technique dans les domaines du logement, des terres et de la restitution de propriété. Enfin, les Directives opérationnelles sur les droits de l’homme et les catastrophes naturelles (2011) du Comité permanent interorganisations[11] visent à compléter les directives actuelles relatives aux normes humanitaires dans les situations de catastrophes naturelles.

Au niveau régional de l’Union européenne, les directives de 2012 en appui aux pays hôtes (Host Nation Support Guidelines) sont des directives non contraignantes relatives à la fourniture d’une assistance dans un pays hôte, destinées aux pays participant à des activités d’assistance au cours d’une urgence de grande envergure, et visant à compléter les accords et directives internationaux existants.[12] Les États non-membres de l’UE sont encouragés à tenir compte de ces directives lorsqu’ils sollicitent ou reçoivent une assistance internationale par le biais du mécanisme européen de protection civile. Ces directives visent à supprimer autant que possible tous les obstacles prévisibles entravant l’assistance internationale afin de garantir le déroulement sans heurt des opérations d’intervention en cas de catastrophe. Elles couvrent quatre domaines: planification d’urgence, gestion et coordination de l’urgence sur le terrain, logistique et transport, et questions financières.

DIIC

Les directives relatives au Droit international des interventions lors de catastrophes (DIIC) de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) ont pour objet mettre à disposition des États un instrument qui leur permet d’analyser leur législation en la matière et, le cas échéant, d’en combler les carences normatives. L’objectif est de renforcer le cadre international des interventions humanitaires en cas de catastrophe et d’être mieux préparés pour résoudre les problèmes de réglementation relatifs à la fourniture d’une assistance internationale. Ces directives ne s’appliquent pas aux conflits armés ni aux catastrophes qui surviennent pendant un conflit armé, et ne recommandent aucune modification du droit international ou des accords internationaux en vigueur.

La partie centrale de ces directives suggère un certain nombre de moyens juridiques pouvant servir de points d’entrée ou faciliter les opérations sur le terrain, et se concentre particulièrement sur l’accélération des procédures habituelles et la réduction des obstacles juridiques et administratifs dans les situations de catastrophe. De plus, lorsqu’ils en ont le pouvoir et dans la mesure permise par les circonstances, les États touchés devraient envisager de fournir certains services (transport et soutien logistique, utilisation de bâtiments ou équipements) à un coût réduit ou gratuitement afin d’aider les acteurs impliqués.

Au cours de l’étude qui a mené à l’élaboration des directives DIIC, certaines lacunes ont été identifiées concernant le champ d’application et la couverture géographique du droit international actuel, mais aussi la connaissance et l’application des normes internationales existantes, et surtout la question de la compétence du droit national à résoudre les questions juridiques qui surviennent couramment au cours des opérations internationales de secours et de relèvement post-catastrophe.

Une loi-cadre DIIC est en cours de rédaction afin d’aider les États à intégrer les recommandations des directives DIIC à leur propre législation.[13] Cette loi-cadre a pour objet de servir de complément aux Directives mais aussi d’exemple et d’outil de référence aux législateurs cherchant à définir une législation adaptée à leurs circonstances nationales. Plusieurs pays ont réalisé de grands progrès pour mettre en œuvre les recommandations des directives DIIC, à l’instar de la Colombie et du Mozambique qui ont élaboré de nouvelles politiques et de nouvelles lois.

La FICR et le PNUD travaillent actuellement sur un projet conjoint de recherche, de comparaison et de consultation, portant sur les efforts de plusieurs pays pour renforcer leurs lois en appui à la réduction des risques de catastrophes (RRC), en particulier au niveau communautaire et en insistant particulièrement sur la mise en œuvre.[14] L’un des domaines où des cadres juridiques efficaces pourraient être nécessaires concerne la question de la RRC dans les installations informelles (habitats précaires ou bidonvilles) où les habitants sont exposés au risque du déplacement.

En 2007, la FICR a établi un cadre stratégique pour répondre aux dimensions humanitaires de la migration et du déplacement interne et préparé des documents de politique, parmi lesquels la Politique relative à la migration.[15] Dans sa Stratégie 2020, la FICR a énoncé plusieurs objectifs: fournir des services d’assistance et de protection aux migrants vulnérables; renforcer la résilience des migrants et des communautés d’accueil grâce à la sécurité économique, le relèvement et l’inclusion sociale au sein des communautés locales; rendre l’accès aux services sanitaires, psycho-sociaux et sociaux plus équitable; faire preuve de sensibilité en abordant les questions environnementales, notamment les facteurs d’attraction-répulsion liés à la rareté des ressources et au changement climatique; et multiplier les efforts pour faire évoluer le discours sur la migration en promouvant l’intégration sociale, en facilitant la réintégration des migrants qui choisissent de rentrer dans leur pays et en combattant la xénophobie, la stigmatisation, la discrimination et la violence à l’encontre des migrants (dont les violences sexistes, la traite et le trafic des êtres humains).

Carences et problèmes pratiques pour les personnes déplacées

Le déplacement à grande échelle provoqué par une catastrophe peut être aussi bien la cause que la conséquence de grandes inégalités sociales. Les organisations humanitaires et les autres acteurs de l’assistance opérant dans le contexte d’une catastrophe, dont les États, doivent affronter un grand éventail de problèmes provenant en partie des carences de la législation actuelle. De plus, certains problèmes affectent les réfugiés et les PDI quel que soit le motif de leur migration, même si ce motif s’apparente le plus souvent à une crise ou une catastrophe et à ses conséquences.

Plusieurs aspects alimentent les lacunes en matière de protection des migrants. Pour commencer, les instruments existants sont pour la plupart non contraignants tandis que le droit souple peut seulement être utilisé comme instrument de plaidoyer. Il arrive que des régulations contraignantes ne soient pas ratifiées par des États d’importance cruciale ou qu’aucun organe indépendant ne soit chargé de contrôler leur application. De plus, les accords applicables ne prévoient aucun instrument particulier permettant aux personnes de revendiquer réellement leurs droits ou bien les personnes concernées n’ont pas la possibilité concrète de le faire. Par conséquent, l’existence d’un instrument juridique ne garantit pas automatiquement la protection des droits octroyés par tel instrument.

En outre, ces instruments n’ont qu’une visée plutôt étroite puisqu’ils n’accordent certains droits à certaines personnes qu’en cas de situation exceptionnelle. Ainsi les personnes ne remplissent-elles pas toujours les critères définis dans les diverses Conventions, en particulier les motifs de déplacement reconnus, si bien qu’elles n’ont pas forcément droit à une protection. C’est le cas par exemple pour les personnes qui migrent en raison d’une catastrophe de grande ampleur (un motif valide en vertu de certaines Conventions) mais dont le déclenchement est lent. Qui plus est, les personnes se déplaçant volontairement pour éviter, par exemple, les impacts d’une (nouvelle) sécheresse prolongée ne sont pas protégées puisqu’elles ne remplissent pas les critères des instruments juridiques applicables. Parallèlement, la loi et la réglementation ne sont qu’un des outils visant à faciliter la RRC et l’efficacité de la loi dépend de l’efficacité de sa mise en application.

Il est probable que plusieurs problèmes (factuels) ne puissent pas être résolus (par la loi). C’est pourquoi nous ne devrions pas seulement nous attacher à l’élaboration de nouvelles réglementations mais aussi à la mise en application de celles qui existent déjà. L’élaboration d’un cadre juridique qui, par exemple, ciblerait spécifiquement la migration provoquée par des facteurs environnementaux ne doit pas être envisagée comme la réponse au déplacement climatique, surtout si ce nouveau cadre ne s’accompagne pas de la volonté politique nécessaire à sa mise en application.

 

Stefanie Haumer HaumerS@drk.de travaille en tant que Conseillère juridique en droit humanitaire international pour la Croix-Rouge allemande. www.drk.de Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l’auteure et ne représentant pas forcément ceux de la Croix-Rouge allemande.



 

 

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