La réinstallation comme outil de protection dans le cas des enfants réfugiés

Il est important de veiller à ce que les initiatives nouvelles ou déjà en vigueur de réinstallation des enfants réfugiés à risques, et notamment celle prévues à l’intention des enfants non accompagnés, soient mieux adaptées à remplir leurs besoins uniques de protection dans le contexte mondialisé d’aujourd’hui.

Aujourd’hui, plus de la moitié des réfugiés et demandeurs d’asile dans le monde sont des enfants de moins de 18 ans. Des jeunes déplacés, filles et garçons, ne laissent pas seulement derrière eux leurs maisons et les membres de leurs familles mais aussi la sécurité et la stabilité essentielles à leur développement à long-terme. Face à un phénomène de déplacement forcé sur une échelle jamais vue au cours des dernières années, la réinstallation est pertinente non seulement en ce qui concerne la protection des personnes dans le besoin mais aussi en tant que mécanisme permettant un partage des responsabilités au plan mondial. Une myriade d’agences internationales ainsi que le public dans son ensemble ont démontré un regain d’intérêt pour la réinstallation, et plus particulièrement la réinstallation des mineurs.

Accorder la priorité aux enfants à risque en tant que catégorie de personnes à réinstaller remonte aux années 1980, lorsque les États-Unis ont mis en place leur Programme pour les réfugiés mineurs et non accompagnés afin d’apporter de l’aide aux enfants qui se trouvaient parmi les « boat people » qui fuyaient le Vietnam. Depuis cette période, d’autres déplacements très médiatisés, notamment celui des Garçons perdus du Soudan, ont progressivement contribué à focaliser une attention considérable sur la situation des enfants non accompagnés qui nécessitent d’être réinstallés. D’autres pays traditionnels de réinstallation, notamment la Norvège et la Suède ont mis en place des programmes en vue de réinstaller et soutenir des réfugiés mineurs non accompagnés. Le Royaume-Uni a mis en place une nouvelle initiative en 2016 destinée à la réinstallation d’enfants réfugiés vulnérables venant du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, indépendamment du fait que leur statut soit celui d’enfant séparé ou non de leur famille.

À l’heure actuelle, le nombre de places de réinstallation est beaucoup moins important que le nombre d’enfants pour lesquels la réinstallation serait la solution optimale. Au plan mondial, l’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, a soumis en 2015 les cas de 4 500 enfants et adolescents en vue d’une réinstallation, ce qui représente 3,6 % du nombre mondial de cas soumis vue d’une réinstallation. Un nombre nettement plus important de cas d’enfants a été soumis en vue d’une réinstallation dans le cadre d’unités familiales et au titre d’autres catégories de réinstallation que celle « d’enfants et d’adolescents à risque » du HCR.

Besoins actuels de réinstallation des enfants à risque

Au plan mondial, près de 100 000 enfants – soit un peu moins de 1 % de la totalité des enfants réfugiés et demandeurs d’asile sont séparés de leurs familles. Alors même que ces enfants sont extrêmement vulnérables privés de leurs parents ou gardiens habituels pour les aider, les enfants qui se trouvent réfugiés dans le cadre des unités familiales peuvent aussi se trouver confrontés à des risques graves qui parfois mettent leur vie en danger. Outre les enfants non accompagnés ou séparés de leurs familles, les enfants à risque incluent des victimes de violence sexuelle et sexiste, des enfants recrutés au sein de groupes armés, des enfants exploités et contraints de travailler dans des conditions dangereuses et nocives ainsi que d’autres enfants soumis à la violence, la maltraitance, la négligence ou l’exploitation. Des estimations s’appuyant sur les taux de prévalence des principaux risques produisent un chiffre qui pourrait atteindre jusqu’à 1,9 millions d’enfants réfugiés en situation de risque.

En se concentrant sur des contextes spécifiques de déplacement il est possible de dégager différents schémas et prévalences de risques affectant les réfugiés mineurs. Parmi les réfugiés syriens au Moyen-Orient par exemple, environ 10 000 enfants – c’est-à-dire moins de 0,5 % de la totalité des enfants parmi cette population réfugiée – sont séparés de leur famille. Des enfants en nombre bien plus importants sont confrontés à d’autres risques tout aussi néfastes notamment des formes dangereuses de travail et des mariages précoces, particulièrement à mesure que les ressources des familles s’épuisent. Parmi les réfugiés du Sud Soudan, par contre, environ 44 000 enfants – soit 5 % des enfants réfugiés – sont séparés de leur famille ou non accompagnés. Les enfants réfugiés sud-soudanais sont également confrontés à des risques conséquents en termes de violence sexuelle et sexiste, notamment des mariages précoces ainsi que des cas d’exploitation sexuelle et de travail des enfants. Des cas de recrutement d’enfants réfugiés par les groupes armés ont également été signalés, on estime à 12 000 le nombre d’enfants qui ont été enrôlés uniquement au Sud Soudan.

Il se peut toutefois que la réinstallation ne soit pas toujours la solution idéale dans l’intérêt supérieur de tous ces enfants. Dans une majorité de cas, les enfants réfugiés reçoivent un soutien destiné à répondre localement à leurs problèmes de protection, ils peuvent être réunis avec leur famille dans les pays qui accueillent les réfugiés dans la région ou dans certains cas ils finissent par retourner dans leur pays d’origine. Savoir s’il est approprié de réinstaller un enfant pour résoudre sa situation de protection doit toujours se déterminer sur une base individuelle par le biais d’un profilage préalable à la réinstallation et par l’application des Principes directeurs du HCR relatifs à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant[1]. Toutefois le nombre extrêmement élevé de filles et de garçons concernés par des risques graves de protection comparé au nombre très limité de places de réinstallation révèle l’abime qui sépare les besoins des solutions disponibles.

La réponse recommandée

Tout programme de réinstallation devrait inclure un ciblage de la catégorie des enfants et adolescents à risque, qu’il s’agisse d’enfants se trouvant à l’intérieur de groupes familiaux comme d’enfants séparés de leurs parents ou de leurs familles. La nouvelle initiative du Royaume Uni à l’intention des enfants venant du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord est un premier pas important dans cette direction. Il est crucial que la catégorie « enfants et adolescents à risque » cherche à éviter de promouvoir des mécanismes négatifs de survie, dans la mesure où l’on sait que des familles ont délibérément fait le choix de se séparer afin d’obtenir l’accès à des programmes qui proposent uniquement la réinstallation des enfants non accompagnés ou isolés.

Il est impératif de reconnaitre que les besoins, les capacités et les risques de protection de chaque enfant sont différents, et qu’une évaluation individuelle ou la détermination de leur intérêt supérieur doit rester l’élément central décisif qui doit guider tout processus de réinstallation. L’unité de la famille, en particulier, doit rester une priorité dans le cadre des Procédures de détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant et doit également être reconnue comme une considération primordiale par les États d’accueil en ce qui concerne le bien-être des enfants, en insistant sur l’impact déterminant des familles en matière de protection et de développement à long-terme des enfants.

Les perspectives de réunification familiale doivent être un facteur déterminant dans la décision de réinstaller un enfant, et des mesures doivent être entreprises afin de veiller à ce que la réinstallation ne diminue ou n’entrave pas sérieusement les chances de réunification familiale future de l’enfant. Suite à leur arrivée dans un pays de réinstallation, il est important pour les enfants non accompagnés et isolés de pouvoir bénéficier d’une réunification familiale à la fois avec des membres proches ou plus éloignés de leur famille. Des restrictions en termes de visa qui empêchent des enfants d’être réunis, après leur arrivée dans un pays de réinstallation avec des membres de leur famille qu’il est possible de localiser est un obstacle de taille à la réinstallation des enfants non accompagnés ou isolés.

En outre, les politiques en matière de réunification familiale doivent tenir davantage compte des structures familiales différentes et les refléter dans les lois et les politiques. À l’heure actuelle, la plupart des pays de réinstallation limitent la réunification familiale aux membres de la famille nucléaire. De telles restrictions constituent une difficulté afin de trouver des solutions pour des enfants qui cherchent à rejoindre les membres de leur famille dans le contexte de la situation d’urgence récente en Europe. De plus, une réduction des temps d’attente et la priorisation d’un traitement rapide dans le cas d’enfants à risque sont des facteurs qui peuvent contribuer à atténuer les impacts négatifs à long-terme qu’une séparation prolongée des familles peut avoir sur le développement de ces enfants.

Finalement, un soutien permanent après l’arrivée dans les pays de réinstallation est crucial pour les enfants comme pour leurs familles. Les enfants et les adolescents à risque nécessiteront des services de protection et une assistance en continu afin de pouvoir s’intégrer dans leur nouvelle communauté. Des services psychosociaux, par le biais d’un accompagnement psychologique ou de réseaux de pairs locaux, seront essentiels en vue d’aider les enfants à risque et leurs familles à dépasser les expériences passées et démarrer leur nouvelle existence. Important également d’accorder de l’attention à des initiatives destinées à encourager l’intégration, plus particulièrement celles qui mettent en relation des enfants réfugiés et leurs familles avec des membres de la communauté locale et leur donnent des opportunités d’établir de nouveaux réseaux de soutien. Le Programme actuellement en vigueur au Canada, Travailleurs de l’établissement dans les écoles est un excellent exemple de ce type de dispositions en soutien des enfants et des familles[2] réfugiés. Des travailleurs de l’établissement sont présents dans les écoles et ont pour tâche de travailler individuellement avec des enfants et leurs familles en leur apportant un accompagnement en continu, en effectuent des visites à domicile et en leur proposant des conseils ainsi qu’un soutien éducatif.

L’avenir

Notre engagement collectif en vue de répondre aux besoins des enfants à risque pourrait être mieux ciblé, et il vaudrait la peine d’élaborer de nouvelles initiatives pour répondre aux besoins. Les nouveaux programmes doivent tenir compte de tous les enfants à risque et éviter l’écueil qui consisterait à se concentrer uniquement sur les enfants non accompagnés et isolés. En parallèle, le HCR doit faire plus pour assurer l’identification active des enfants et adolescents à risque pour lesquels une réinstallation est susceptible d’être la solution la plus en adéquation avec leur intérêt supérieur. Dans le cadre des opérations de réfugiés dans lesquelles il existe déjà des systèmes d’identification et de transfert vers les services locaux de protection et de soutien des enfants réfugiés à risque, ces services doivent être mieux coordonnés avec les services de réinstallation.

Le HCR, ses partenaires et les États doivent poursuivre la recherche d’approches novatrices en vue de protéger les enfants en déplacement – que ce soit par le biais d’une réinstallation ou grâce à d’autres moyens menant vers des solutions durables[3]. Il est particulièrement important, que tout progrès destiné à assurer la sécurité des enfants en déplacement inclue un soutien en vue de renforcer les systèmes nationaux de protection de l’enfance afin que tous les enfants puissent en bénéficier. Importante également est la poursuite d’une collaboration avec les États en vue de garantir le respect des principes et des lignes directrices en vigueur qui régissent la protection et l’assistance des enfants.

Il n’est pas surprenant dans la plupart des opérations d’urgence liées aux réfugiés de constater que certains pays d’asile éprouvent des difficultés à faire face à la demande et à fournir des services de protection de l’enfance de qualité. Il n’est toutefois pas envisageable que la réinstallation soit la solution optimale en réponse à l’intérêt supérieur de la majorité des quelques 12,5 millions d’enfants réfugiés et demandeurs d’asile qu’il y a actuellement dans le monde. La plupart de ces enfants et leurs familles vont rester dans leur pays de premier asile. Et pour couvrir leurs besoins de protection c’est un investissement plus conséquent dans des programmes de protection de l’enfance et d’éducation à long terme qui fait cruellement défaut dans le cadre des opérations de réfugiés.

De plus en plus fréquemment, la réinstallation devient un élément vital des efforts déployés par le HCR pour trouver des solutions et plaider en faveur d’un partage plus équitable de la responsabilité à l’égard des réfugiés. Dans le cadre d’un tel engagement, les processus de réinstallation pourraient être renforcés en vue de mieux répondre aux besoins distincts de protection des enfants et des adolescents à risque. Une augmentation de l’investissement dans la protection et les services sociaux destinés aux enfants dans les pays de premier asile comme dans les pays de réinstallation contribuera à aider les enfants réfugiés dans leur quête de solutions à long-terme.

 

Susanna Davies DAVIES@unhcr.org
Experte itinérante en protection de l’enfance, Division de la protection internationale, HCR

Carol Batchelor batchelo@unhcr.org
Directrice, Division de la protection internationale, HCR

www.unhcr.org



[1] UNHCR (2008) Principes directeurs du HCR relatifs à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant www.refworld.org/docid/48480c342.html et (2011) Manuel de terrain pour la mise en œuvre des principes directeurs du HCR relatifs à la DIS www.refworld.org/docid/4e4a57d02.html

[3] Voir Document d’information pour le Dialogue du Haut-Commissaire de 2016 sur les défis de protection, Les enfants en déplacement www.unhcr.org/fr/584562384

 

 

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