La protection sociale : une quatrième solution durable ?

Même si, en Europe et en Amérique latine, le nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés est très différent, une solution actuellement mise en œuvre par le Brésil et l’Équateur pourrait montrer à l’Union européenne la marche à suivre en matière de partage des responsabilités au sein d’un bloc régional.

Un projet pilote intitulé « Mobilité régionale et intégration socio-économique des réfugiés » a été proposé en 2014 dans le cadre de la Déclaration et du Plan d’action du Brésil.[1] Dans la pratique, ce projet vise à faire venir au Brésil des réfugiés colombiens actuellement en Équateur. Sur une période de deux ans, 200 personnes se rendraient à Paraná, dans le sud du Brésil, pour y travailler, selon des modalités d’emploi garanties par les autorités brésiliennes. En plus de leur salaire, une assistance financière supplémentaire serait apportée par l’UNHCR, sur une courte période de trois mois, aux familles colombiennes (composées d’une à cinq personnes) établies en Équateur et dont au moins l’un des membres est en âge de travailler (entre 18 et 45 ans). Via des partenariats avec des acteurs privés locaux, des emplois ont été identifiés dans le secteur des services, la construction, l’agroalimentaire, le textile et les supermarchés.

Les autorités brésiliennes reconnaîtraient ces familles comme des réfugiés, dont la protection serait assurée et qui auraient également la possibilité de déposer une demande de résidence dans le pays. Une telle solution est possible car, depuis 2013, le Brésil et l’Équateur sont parties à l’accord de visa du Mercosur, selon lequel les résidents des pays membres du bloc régional[2] ont le droit de résider dans n’importe lequel des pays signataires, sans aucune référence à leur statut migratoire.

Ce projet pilote porte intégralement sur la mobilité du travail et élargit clairement la protection des réfugiés au-delà du niveau juridique, jusqu’au niveau de la protection sociale. Au départ, ce projet pilote était présenté comme une quatrième solution mais, ultérieurement, il a plutôt été considéré comme une modalité spéciale de réinstallation. Il se distingue en effet des activités traditionnelles de réinstallation dans la mesure où les bénéficiaires seraient des entrepreneurs ou des personnes pouvant intégrer le marché de l’emploi, et non pas des groupes vulnérables ou des personnes dont la sécurité est menacée.

Toutefois, il peut également montrer une direction à suivre en tant que supplément innovant aux trois solutions durables traditionnelles, à savoir l’intégration locale, le rapatriement et la réinstallation. Les critiques envers ces trois solutions se sont intensifiées en raison du nombre élevé et sans précédent de nouvelles crises et de crises prolongées de réfugiés. Le niveau des rapatriements n’a jamais été aussi bas, les crises financières entravent les efforts d’intégration tandis que la réinstallation ne bénéficie toujours que de l’appui d’un groupe restreint de pays d’accueil.

À l’origine, ce sont les autorités brésiliennes qui ont proposé ce projet pilote, avant qu’un accord bilatéral soit présenté aux autorités d’Équateur en décembre 2014. Il était initialement prévu que le programme soit mis en œuvre d’ici octobre 2015 mais l’Équateur n’a toujours pas confirmé son acceptation. Le débat fait toujours rage au sujet de la possibilité, pour les réfugiés colombiens établis en Équateur, de conserver leur statut de réfugié aussi bien au Brésil qu’en Équateur au cours des trois premiers mois d’adaptation, les arguments se concentrant sur la garantie de protection au cas où les réfugiés ne s’adapteraient pas à la vie au Brésil et souhaiteraient retourner en Équateur.

La reproduction dans d’autres régions du monde d’un pilote sur la mobilité du travail tel que celui-ci impliquerait nécessairement de s’adapter aux réalités de chacune des régions, mais cette initiative n’en suggère pas moins comment améliorer la coordination des mécanismes régionaux d’asile via la protection sociale. Alors que traditionnellement, la protection des réfugiés s’est centrée sur une compréhension des aspects juridiques, cette question est aussi de plus en plus souvent abordée sous l’angle de la protection sociale,[3] y compris les politiques relatives aux interventions sur le marché du travail, l’assurance sociale et l’assistance sociale. Cette démarche implique une reconnaissance pragmatique du fait que les réfugiés fuyant les persécutions ont besoin de la protection apportée non seulement par les papiers et les droits, mais aussi par l’accès au marché du travail, à l’alimentation et aux services sociaux. Ce type de projet sur la mobilité du travail peut aider à répartir les répercussions d’un influx régional de réfugiés, en particulier dans les contextes où des pays pauvres ou de petite taille sont les premiers et les plus touchés ; on pense ici à l’Italie et à la Grèce.

 

Carolina Montenegro carolmontcastro@gmail.com

Journaliste spécialisée sur les questions des droits humains et humanitaires.



[2] Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Guyane, Paraguay, Pérou, Suriname, Uruguay et Venezuela.

[3] Reportez-vous à la définition de la Banque mondiale : politiques et programmes visant à réduire la pauvreté et la vulnérabilité en promouvant des marchés de l’emploi efficaces, en réduisant l'exposition des personnes aux risques et en renforçant leurs capacités à gérer les risques économiques et sociaux tels que le chômage, l'exclusion, la maladie, le handicap et la vieillesse. Banque mondiale (2001) Social protection sector strategy: from safety net to springboard Washington, D.C.

http://documents.worldbank.org/curated/en/2001/01/828354/social-protection-sector-strategy-safety-net-springboard

 

 

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