La détention des immigrés : quelles alternatives ?

Mettre en danger la santé et le bien-être des personnes en les détenant est inutile ; les gouvernements peuvent recourir à des solutions alternatives au sein de la communauté qui sont plus dignes pour les migrants et plus rentables pour les États.

La détention occasionne des troubles graves à virtuellement tous ceux qui la subissent. Des études scientifiques menées sur des demandeurs d’asile détenus montrent que la détention entraîne une accumulation de symptômes cliniquement significatifs de dépression sévère, d’anxiété, de troubles de stress post-traumatique et même d’automutilation. Pendant près d’une décennie, des employés du Jesuit Refugee Service (JRS) et des bénévoles ont authentifié ces constatations en visitant régulièrement des centres de détention à travers l’Europe, et en se confrontant au désespoir, à l’incertitude, à la crainte et à la colère qui sont le lot habituel de l’existence des détenus[1]. La détention est nocive, et elle est aussi inutile parce que les gouvernements peuvent résoudre le statut d’immigration des personnes pendant qu’elles vivent dans la communauté plutôt que de les exposer aux effets nuisibles d’un centre de détention.

Ce que les gouvernements et les ONG appellent typiquement ‘les alternatives à la détention’ est quelque chose de plutôt simple dans ses prémisses. Plutôt que de placer les migrants dans des centres de détention, ils sont logés au sein de la communauté avec peu ou aucune restriction de mouvement. Mettre cela en pratique, s’avère toutefois plus difficile. Les gouvernements s’inquiètent parce qu’ils craignent que les migrants s’enfuient s’ils ne sont pas placés en détention, et que les ONG trouvent compliqué de décider quelles alternatives particulières soutenir, et comment évaluer si elles conviennent à la situation des migrants. C’est pour cela qu’en 2011, le JRS a entrepris une étude pour examiner des solutions alternatives à la détention en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni[2]. Nous nous sommes fixés comme objectif de chercher à comprendre quels étaient les facteurs nécessaires – à minima – pour garantir que des solutions alternatives à la détention fonctionnent. Et nous l’avons fait principalement en interrogeant les migrants eux-mêmes.  

Nous avons mené des entretiens avec vingt-cinq migrants dans trois pays de l’UE, chacun avec son propre type d’alternative à la détention :

  • Belgique : des familles de sans papier et de demandeurs d’asile sont placées dans des logements communautaires et assignées à des gestionnaires de cas.
  • Allemagne : des mineurs non accompagnés vivent dans une résidence gérée par l’organisation caritative d’une église protestante qui leur fournit une gamme complète de services et un accès à un soutien juridique.
  • Royaume-Uni : des personnes dont la demande d’asile a été rejetée et qui pointent régulièrement auprès du Service britannique de contrôle des frontières ; deux de ces personnes avaient récemment porté un appareil de surveillance électronique à la cheville.

 

Aucune des mesures que nous avons examinées n’étaient en soi nocives pour les migrants. Elles n’imposaient que peu de restrictions de mouvement et permettaient aux migrants de vivre au sein de la communauté en jouissant d’un degré bien plus élevé de liberté qu’ils n’en auraient eu dans un centre de détention. Et bien que chacun des pays étudiés continue par ailleurs de pratiquer la détention à grande échelle, l’existence de programmes de ce type, même limités, qui permettent à certaines personnes d’éviter la détention et de vivre au sein de la communauté dans un environnement ouvert n’en constitue pas moins une mesure tout à fait positive.

Les problèmes les plus importants que nous ayons observés sont liés aux systèmes plus généralisées relative à l’asile et l’immigration. Ce sont des systèmes qui se fondent sur des suppositions quant au comportement des migrants plutôt que sur des preuves. De tels systèmes présument le pire de la part des gens, plutôt que le meilleur. De telles approches basées sur la confrontation ne tiennent compte que des difficultés et des contraintes du système dans sa globalité. De nombreux demandeurs d’asile et migrants ont vécu une vie difficile et ont subi des événements sources de traumatismes physiques et mentaux profonds ; ils ont donc tendance à se préserver contre d’autres événements adverses. Des alternatives à la détention qui ne tiendraient pas compte de ces facteurs risquent de ne pas convenir ou d’échouer, soit parce que les migrants hésiteront à y participer par manque de confiance, ou parce que l’État ne tiendra pas suffisamment compte des questions qui préoccupent le plus les migrants.

Toutefois, à partir de nos recherches nous avons réussi à déduire six caractéristiques spécifiques qui semblent importantes pour un bon fonctionnement des alternatives à la détention que nous avons étudiées. Comme point de départ dans tous les cas, il convient de bien comprendre qu’il ne suffit pas simplement de remettre quelqu’un en liberté même s’il s’agit d’une excellente première mesure et que les migrants ont encore besoin du soutien de l’État qui doit veiller à ce que leurs dossiers d’immigration soient résolus promptement et d’une manière juste et efficace.

Premièrement, il est important pour les migrants d’avoir accès à un logement décent. Si une personne ne dispose pas d’un endroit approprié pour vivre, elle aura des difficultés à se concentrer sur les exigences relatives aux procédures d’immigration et à s’y conformer, et dans ce cas elle risquera de sombrer dans la misère.

Deuxièmement, les solutions alternatives qui fonctionnent bien sont celles qui offrent un soutien intégral aux migrants. Ce type de soutien prend souvent la forme d’une gestion des cas accompagnée de toute une gamme de services – soutien social, aide juridique, soins médicaux, garde d’enfants si nécessaire – autour d’un soutien individualisé. Si les migrants peuvent cesser d’avoir à se préoccuper de leurs besoins essentiels, comme la nourriture, les vêtements, les transports publics et les soins médicaux, ils sont dans de meilleures conditions pour prendre des décisions concernant leur dossier d’immigration.

Troisièmement, les migrants doivent recevoir des informations régulières et à jour qui leur soient présentées aussi clairement que possible. Un manque d’information, ou même des informations erronées, peuvent entraîner de la méfiance et décourager les migrants de coopérer avec les représentants de l’État. Le fait de recevoir des informations régulières peut contribuer à rendre les procédures plus efficaces, les résultats plus justes et plus rapides, et entraîner un degré plus important de respect des règles de la part des migrants. 

Quatrièmement, les gouvernements doivent s’assurer que les migrants ont accès à une assistance juridique qualifiée. C’est là un élément crucial qui manque dans les centres de détention, et il est très important de fournir un tel service dans le cadre de solutions alternatives au sein de la communauté.

Cinquièmement, il conviendrait d’insister sur tous les résultats possibles. Les alternatives à la détention qui ne sont centrées que sur le retour ont tendance à moins bien fonctionner que celles qui explorent toutes les différentes manières dont le dossier d’une personne pourrait être résolu[3]. Même si dans la réalité certaines options sont exclues, comme une résidence légale, il est toute de même important pour les migrants que chaque option leur soit clairement expliquée et qu’ils puissent l’explorer de manière à être sûrs que toutes les voies ont été envisagées. C’est uniquement de cette manière qu’il est possible d’instaurer un climat de confiance entre migrants et gouvernements.

Finalement, tous les aspects mentionnés ci-dessus peuvent fonctionner correctement s’ils sont mis à disposition dès le départ, lors de la constitution du dossier d’immigration ou d’asile d’une personne, et les délais devraient rester aussi brefs que possible. Les gouvernements qui ont une approche franche et transparente avec les migrants, qui les informent de toutes les conditions, de toutes les procédures et de toutes les possibilités, et leur offrent un soutien complet s’apercevront probablement que le respect des règles augmente à mesure que les migrants développent une relation de confiance à l’égard des autorités. Concentrer un maximum de soutien au début du processus n’implique pas nécessairement une accélération des procédures d’immigration mais seulement d’assurer aux migrants d’être mieux préparés dès le départ.

Des recherches empiriques continuent de démontrer, de manière plutôt convaincante, les effets nuisibles de la détention sur ceux qui la subissent. Virtuellement n’importe qui se trouvant en détention subit des niveaux élevés de stress et présente des symptômes liés à un état de dépression sévère et d’anxiété. Malgré cela, les États continuent de recourir à la détention parce qu’ils restent convaincus que c’est le meilleur moyen de gérer les flux d’asile et de migration. Les études menées par nous-mêmes et d’autres, montrent cependant que les craintes des gouvernements de voir les migrants s’enfuir s’ils ne sont pas détenus sont largement sans fondement. Bien plus, les solutions alternatives au sein de la communauté sont beaucoup plus rentables que la détention ; en Belgique, l’alternative retenue, non seulement obtient des taux élevés de respect des règles[4], mais elle revient également moitié moins cher par personne et par jour que la détention. En plus des économies réalisées, le fait de résoudre les dossiers d’immigration des personnes au sein de la communauté plutôt qu’en détention s’avère une opération beaucoup moins stressante à la fois pour les migrants et pour l’État. Par-dessus tout, les alternatives à la détention préservent la dignité humaine des personnes concernées ce qui devrait être l’objectif des procédures d’immigration dans tous les cas.

 

Philip Amaral europe.advocacy@jrs.net est Coordinateur plaidoyer et communications pour Jesuit Refugee Service Europe www.jrseurope.org



[1] Voir : JRS Europe, Becoming Vulnerable in Detention, 2010

http://tinyurl.com/JRS-Vulnerable-in-Detention

[2] JRS Europe, From Deprivation to Liberty, 2011

http://tinyurl.com/JRS-Deprivation-of-Liberty

[3] Voir: évaluation de projets pilotes à Glasgow et Millbank au RU :

http://tinyurl.com/JRS-UKpilots-evaluation

[4] 75-80% de conformité : c.-à-d. un taux de 20-25% de fuite. Note de bas de page 2, p 21.

 

 

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