CRISE SYRIENNE - L’aide en Jordanie et au Liban: manque d’adaptation

Au Liban et en Jordanie, de nombreuses agences se retrouvent prisonnières d’un paradigme de l’assistance totalement inadapté dont elles sont incapables de s’extraire.

Alors que la mécanique de l’assistance se déployait dans son intégralité face à la dernière situation d’urgence de la planète, il est vite apparu qu’elle était mal équipée pour répondre de manière adaptée aux besoins de la population déplacée d’un pays à revenu intermédiaire.

Bien que la majorité des réfugiés soient hébergés par des hôtes ou dans des logements loués, le camp jordanien de Za’atari (qui est aujourd’hui le plus grand camp de réfugiés) se démarque dans la mesure où il abrite la population syrienne la plus visiblement «gérée». Il représente tout ce qu’il ne faut pas faire avec les camps. Les autorités jordaniennes confinent la population, saisissent ses biens et ses papiers d’identité et lui interdisent de se déplacer librement vers d’autres régions du pays. Les organismes d’aide sont de connivence et distribuent l’aide pour contenir la crise. Ces deux parties restent stupéfaites lorsque les résidents du camp expriment leur frustration en leur jetant des pierres. Il s’agit d’une population principalement instruite, dotée de ressources et dont l’histoire se caractérise par une migration régionale ayant tissé des liens à travers le Moyen-Orient. Ils ont du mal à se sentir «reconnaissants» de devoir faire la queue pour une miche de pain et un colis alimentaire alors qu’ils se retrouvent prisonniers dans un champ poussiéreux à la frontière jordano-syrienne.

On observe certains exemples frappants d’organisations apportant des solutions potentiellement créatrices de problèmes. Au Liban, le plus grand souci de la population concerne la hausse continue des loyers, que la réduction des possibilités d’emploi vient encore aggraver. L’insécurité alimentaire ne menace généralement pas la population, et pourtant celle-ci reçoit des bons d’achat (27 dollars US par mois) émis par le PAM qui ne couvrent qu’une partie de la consommation alimentaire des personnes qui ont l’habitude de dépenser bien plus chaque moins en produits essentiels. Loin d’être une intervention vitale, ce bon d’achat n’est qu’une «stratégie de survie» parmi plusieurs autres ressources sur lesquelles la population peut se reposer, et il est peu surprenant de constater que jusqu’à 40 % de ces bons sont revendus plutôt qu’échangés. À ce stade de la crise, l’épuisement des ressources des ménages est d’ordre financier et non pas nutritionnel ou alimentaire. Affirmer qu’un bon de 27 dollars US par mois permet de compenser d’autres coûts est une évidence qui ne justifie en rien une initiative si coûteuse, dont l’administration accapare de nombreuses ressources tant humaines que financières.

Au moins deux fois par mois, les personnes font la queue pour recevoir leurs bons d’achat dans des entrepôts ou des stades en milieu urbain où sont distribués un ensemble d’«articles non alimentaires» (de l’UNHCR), de bons alimentaires (du PAM) et de diverses donations de la part des États du Golfe et de philanthropes. Le processus d’enregistrement a été conçu méticuleusement pour éviter toute fraude, ce qui a coûté énormément de temps et d’argent. Les bénéficiaires apportent ensuite leur bon d’achat dans un magasin désigné où le personnel de l’agence «surveille» le comptoir pour vérifier que le bon soit uniquement échangé contre des articles alimentaires nutritifs, et non pas du dentifrice, du shampooing ou du chocolat. Si le magasin enfreint trop souvent les règles, il est pénalisé, voire exclu de ce programme de distribution reconnu par les commerçants comme relativement lucratif.

Inévitablement, ces bons en papier ont fini par générer leur propre micro-économie. Le calcul est simple: le bon est vendu par le bénéficiaire à l’intermédiaire pour 20 dollars US (généralement devant l’entrée du centre de distribution), l’intermédiaire le revend pour 23 dollars au commerçant, qui l’échange ensuite pour sa valeur nominale de 27 dollars. C’est une véritable industrie: environ 20 millions de dollars US changent de main chaque mois. En vue de limiter ce type de transaction dommageable, le bon d’achat sera prochainement remplacé par une carte électronique dont une portion sera destinée à l’achat d’articles non alimentaires. On ne sait pas encore comment l’intermédiaire pourra capitaliser sur cette carte de crédit de l’aide, mais il y parviendra.

Entre-temps, l’ONU prépare la transition de la distribution généralisée à la distribution ciblée, par laquelle les familles «les plus vulnérables» seront identifiées. Il s’agit toutefois d’une cible mobile, qui change pratiquement tous les jours au fur et à mesure que les personnes sont expulsées du logement loué dans lequel elles ne pensaient pas devoir rester plus de quelques mois avant de pouvoir retourner chez elles. Les familles de classe moyenne, arrivées dans des voitures confortables, voient leurs économies rapidement disparaître, d’où le paradoxe apparent d’une famille venant chercher un colis ou un coupon alimentaire en Mercedes.

Il n’est certainement pas nécessaire de devoir subir la mascarade et les coûts immenses que représentent les bons d’achat détaillés, les colis alimentaires et non alimentaires et la logistique de la distribution dans un pays où l’offre est abondante. Il semble que les bailleurs de fonds et les organismes d’aide fassent preuve d’un aveuglement volontaire et restent prisonniers d’un scenario répétitif et stéréotypé de l’assistance aux réfugiés. Sans les modalités superflues de l’industrie de l’aide sur le terrain, les réfugiés syriens auraient probablement pu recevoir deux fois plus d’argent grâce à de simples distributions en espèces. 

 

Jon Bennett Jon.Bennett@dsl.pipex.com est un consultant indépendant.

 

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